Je vais vous dire que ma première réaction à cette victoire du Brexit au Royaume-Uni en fut une de réjouissance, car ça vient en quelque sorte chambouler tout ce qu’il y a eu comme précédent aux derniers référendums au sujet de la souveraineté, notamment celui qui nous concerne personnellement : le référendum de 1995. Si vous avez suivi un peu la campagne, vous aurez sûrement remarqué les similitudes avec la campagne de peur du camp du Bremain et celle des fédéralistes du Camp du Non en 1995. Toujours les mêmes arguments fallacieux sur l’instabilité de la Bourse, l’écroulement de l’économie, le retrait de sièges sociaux des grosses compagnies, le marasme, l’apocalypse, la fin du monde et finalement notre système solaire qui explose dans une supernova détruisant l’humanité toute entière. Ok, j’exagère, mais disons que je ne suis pas du tout impressionné par des campagnes menées sous l’hégide de la peur plutôt que sur un plan d’avenir alternatif. À cet égard, malgré ma satisfaction à l’égard du résultat final de ce référendum, je n’ai pas non plus trop de félicitations à faire pour la campagne du Brexit, qui elle était plutôt basée sur une campagne de peur contre l’immigration, sujet qui ne doit pas être balayé du revers de la main, car c’est un sujet qu’il faut traiter, mais pas sous le couvert de la peur non plus. L’espace de discussion qui doit être fait au sujet de l’immigration n’est occupée que par la droite ou l’extrême-droite, et ce partout en Europe, alors que la gauche se fait plutôt silencieuse sur cet enjeu. Pourtant l’enjeu est assez important pour ne pas laisser des extrémistes s’en occuper de la pire façon qui soit. L’immigration n’est ni positive ni négative, c’est un enjeu dont il faut traiter comme n’importe quel sujet politique, social ou économique, car cela touche en définitive toutes ces sphères. Que peut-il y avoir de positif à accueillir des milliers d’immigrants et de n’absolument pas établir aucun plan d’intégration? On en voit justement le résultat au Canada avec les Syriens qui n’ont pas tous jouis d’une aide soutenue du Canada dans le processus de migration. Cela n’est positif pour personne, ni pour les citoyens du pays ni pour l’immigrant, ce dernier qui, malgré qu’il fuit souvent une situation de vie ou de mort dans son propre pays, est finalement confronté à un sort qui n’est guère mieux, soit celui de vivre souvent sous le seuil de la pauvreté parce qu’il peine à se trouver un emploi décent pour pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
Cependant, malgré les points négatifs de part et d’autre des campagnes de ce référendum, il y a un détail très important à soulever sur l’issue de ce vote : l’acceptation d’un résultat serré pour la souveraineté du pays. Je dois admettre que je pensais réellement que, même si on prévoyait que le vote serait serré entre les deux choix, le camp du Bremain aurait eu le dessus. Les derniers référendums, celui du Québec en 95 et le récent référendum de l’Écosse, nous avaient un peu programmé à ce résultat presque arrangé d’avance. Mais surprise, l’idée de la souveraineté a pour une fois surpassé les arguments de peur de l’élite économique. Tous les pays ont dû reconnaître, certains avec grand désarroi bien sûr, le choix des Britanniques, malgré une mince avance. Cela vient défier directement la fameuse Loi de la Clarté qui avait été mise de l’avant par l’ineffable ministre de l’Économie de la Guerre, Stéphane Dion, qui n’a d’ailleurs jamais défini ce qu’était un pourcentage clair. Historiquement, l’on a décidé que la majorité claire était basée sur le principe du 50% plus 1. Mais le Parti libéral du Canada s’était probablement beurré les culottes en faisant des cauchemars sur un résultat en 1995 qui serait à l’image du Brexit 2016. Heureusement pour lui, il a été aidé par les malversations du Camp du Non pour réussir à arracher une victoire par la peau des fesses… en fait, la peau des fesses n’est même pas assez mince, je dirais plutôt par la peau des yeux. On a voulu s’assurer par la suite de ne jamais avoir à reconnaître la victoire du Oui pour la souveraineté du Québec. Mais, en pleine journée de la Fête nationale du Québec, le chevelu Justin Trudeau a reconnu, sans même sourciller, le choix des Britanniques, même avec un mince 52%. Il faut retenir ça pour le futur.
J’aimerais aussi attirer votre attention sur les intérêts des différentes classes pour les deux camps. Vous aurez sans doute remarqué sans surprise que ceux qui défendaient principalement le Bremain furent les tenants de l’élite financière, principalement les grosses entreprises qui jouissent d’avantages fiscaux et politiques des alliances économiques internationales et de la mondialisation des marchés. Mais ce qu’on voit moins, par contre, c’est que les PME, elles, ont majoritairement voté pour le Brexit, et cela est bien normal, car elles ont une économie locale qui est souvent éprouvée par la présence des méga entreprises dans leur pays, ces dernières ayant un pouvoir d’achat injuste et phénoménal à cause de l’exploitation des travailleurs et travailleuses à travers le monde, faisant fi des règles élémentaires de qualité et de conditions de travail établies dans le pays hôte et en défiant les syndicats, dernier rempart des travailleurs et travailleuses. Je crois aussi que le Brexit vient s’arrimer parfaitement avec la vague de l’augmentation du salaire minimum à 15$/h qui prend de plus en plus d’envergure à travers l’Amérique du Nord surtout, parce que cette mesure vient s’attaquer principalement aux grandes entreprises, même si les opposants prétendent que cela mettrait plutôt en échec les PME. En fait, cette réforme du salaire minimum doit nécessairement s’accompagner d’une révision complète de la façon dont les subventions et les allègements fiscaux sont accordées aux entreprises : il doit y avoir une inversion de la charge fiscale imposée aux entreprises : elle doit être diminuée considérablement de la petite entreprise pour être majoritairement soutenue par les grandes entreprises. Mais demander ça à des gouvernements qui sont soutenus financièrement par des grosses entreprises, c’est plus une idée révolutionnaire que réformiste. Ça prend une volonté et une solidarité populaire sans précédent, et je rajouterais aussi une compréhension des enjeux sur notre quotidien à tous. D’ailleurs, une nouvelle assez troublante sur l’ignorance de certains électeurs aux Royaume-Uni a été diffusée dans les médias : « Selon le moteur de recherche [Google], les questions «Qu’est-ce que l’Union Européenne?» et «Qu’est-ce que le Brexit?» ont été davantage recherchées par les internautes du Royaume-Uni après la fermeture des bureaux de vote, particulièrement lorsque l’option de quitter l’UE prenait du gallon. » Même si on doit prendre ce genre de sondage avec un grain de sel, faute de jouer le jeu de propagande de nos rivaux, voilà quand même à quoi on est confronté partout dans le monde : un peuple qui est gardé dans l’ignorance pour éviter qu’il se prenne en main de façon éclairée. Il est à parier qu’on pourrait trouver des éléments d’information de ce genre lorsque les Québécois sont confrontés au sujet de l’indépendance du Québec.
Finalement, dernier élément que je veux aborder par rapport à ce référendum, c’est qu’il est probablement annonciateur et instigateur d’un futur morcellement de l’UE, la même réflexion qui est véhiculée lorsque l’on parle du probable effet domino que créerait l’indépendance du Québec (ou de toute autre province qui proclamerait son indépendance avant le Québec) sur le Canada, le mettant à risque de se désunifier progressivement en plusieurs États indépendants. Que des pays déjà indépendants veulent se sortir de l’UE pour récupérer leur souveraineté économique, je comprends tout à fait. Mais que des pays en lutte pour leur liberté trouve dans l’accession à cette fédération économique centralisatrice un moyen de se libérer du joug d’un pays qui les tient en laisse, je trouve qu’il y a quelque chose de schizophrénique dans cette approche, même si je conçois que ce soit probablement une stratégie efficace pour y parvenir. Faut dire que le Royaume-Uni a utilisé l’argument de l’UE pour convaincre l’Écosse de rester au sein du pays, mais il n’a pas réussi à livrer la marchandise de tout évidence, ce qui devient un argument valable pour se retaper un autre référendum très rapidement et peut-être le gagner cette fois. Mais est-ce vraiment une bonne idée à long terme? Est-il sensé de se libérer de l’économie d’un pays étranger qui vous contrôle pour tomber dans les mains d’une fédération plus grosse dont les administrateurs ne sont même pas des élus au même titre que ceux d’un pays souverain? C’est comme si on quittait le Canada pour devenir un État américain avec l’argent américaine : il y aurait quelque chose d’incohérent dans ce processus. Bien entendu, balayer du revers de la main cette idée en prétendant que c’est farfelu, c’est probablement plus facile à dire qu’à faire dans le système capitaliste dans lequel on baigne inévitablement, il y a toujours beaucoup de facteurs qui entrent en compte lorsqu’on veut établir des rapports de force, et le rapport de force, c’est ce qui doit primer pour réussir tout changement.
Les dogmes abstraits n’ont aucun poids politique s’ils ne sont pas soutenu par une masse de citoyennes et citoyens organisés. La libération n’est jamais une histoire d’un moment, d’un grand soir, mais la lutte constante pour le changement graduel du système actuel vers un système plus humain.
Article intéressant. J’aimerais apporter deux éléments suivants :
a) le Canada va sûrement faire valoir que la sortie de Royaume-Uni de l’UE n’est pas équivalente à la séparation du Québec d’un état existant. En faisant cela cependant, ils sont en complète contradiction avec un des éléments qu’on nous a servi dans le passé. À savoir que l’avenir des pays est dans l’union des groupes comme en UE et pas à leur séparation. L’intérêt premier pour ce vote du Royaume-Uni est don que comme nation souveraine, ils font les choix qui leur conviennent. C’est ce que nous voulons pour le Québec.
b) suivant le même raisonnement, je crois que l’indépendance de l’Écosse sera un prérequis pour se joindre à l’UE. Il revient donc aux écossais de décider par et pour eux-mêmes , comme nation souveraine, ce qui est préférable. Si ils choisissent l’UE, qu’il en soit ainsi.