Encore un siècle de journalisme et tous les mots pueront
– Nietzsche
Faites-leur manger le mot, ils avaleront la chose
– Lénine
Texte dont la rédaction a débuté au lendemain du 7 octobre (et qui s’est étiré pendant plusieurs mois), depuis que cette « guerre Israël-Hamas » correspond davantage à une formule occupant nos esprits, aujourd’hui encore, qu’à une réalité sur laquelle nous pourrions prendre position. Je le livre dans un désordre qui, de sa forme même, rend compte de l’état de notre mouvement indépendantiste — et voilà peut-être son seul intérêt — notre mouvement dis-je qui, au-delà des formules pour se donner bonne conscience face au désastre humanitaire à Gaza, n’a su que se replier dans les réflexes des pouvoirs impériaux comme surpris par l’Histoire et offensé par la vue d’une résistance palestinienne qui a mis à nu nos lâchetés, tant en matière de solidarité internationale qu’à l’égard de nous-mêmes…
Octobre 2023
À en croire les Miss météo promues correspondantes de guerre et les présentateurs de nouvelles à l’éthique « objective », aussi droite et jamais très loin des colonnes de chars, à en croire les faces molles des chroniqueurs anesthésiant tout ce qu’ils pensent et les hommes de paroles qui n’en ont que pour celle des plus offrants, tous ces imbéciles viendraient de se découvrir, en un matin, autant de principes moraux qu’il en faut pour garder un enjeu à distance et ne jamais s’engager véritablement. Car derrière leur prise de position en faveur d’Israël contre le Hamas, c’est le peuple palestinien qu’ils éradiquent des consciences avant que le phosphore payé par nos taxes se charge de leurs corps. Derrière la réalité qu’ils cherchent à éclairer, c’est la solidarité instinctive des peuples opprimés qu’ils viennent de mettre sous cadenas.
La volte-face du milieu indépendantiste sur ses positions historiques en faveur de la Palestine et du sanctionnement d’Israël, en plus d’exposer au grand jour la légèreté avec laquelle nos partis se permettent de voter tout et n’importe quoi paraissant bien sur le moment, ne fait que reproduire l’acte manqué de notre existence où notre élite se défait de toutes ses responsabilités quand le réel lui impose davantage que des discussions de congrès et des échéanciers constitutionnels. En un mot, nos politiciens préparent, derrière leurs appels à la démocratie et aux solutions concertées, la débandade et la lâcheté avec laquelle ils combattront, ici, pour notre indépendance. À quoi donc se rapporte leur politique internationale en ce moment décisif sinon au membre amputé d’une nation qu’ils agitent en cheerleader devant les convois de missiles américains ; sans rôle et sans destin qu’espèrent nos politiciens sinon de compenser l’inexistence du Québec sur la scène mondiale en se fantasmant aux côtés des shérifs de ce monde ?
Ainsi dénonce-t-on la guerre entre Israël et le Hamas pour ne pas reconnaître l’existence d’une coalition de groupes au cœur de la résistance palestinienne et impliquant toutes les tendances politiques qu’une société peut porter en son sein. Ainsi, les hypocrites qui se faisaient un lit de lauriers sur les victimes palestiniennes du temps où Israël avait le monopole de la brutalité se prennent pour des héritiers de Gandhi en brandissant leur parti pris pour « les vies humaines » et la « solution à deux États » — autant de mots nécessaires afin d’occuper de la place dans des esprits qui ne formuleront jamais « indépendance palestinienne ».
On en vient dès lors à se fermer aux grandes perspectives qui régissent toutes actions politiques. Les intellos gagnent en humanisme à mesure qu’ils restent la gueule ouverte devant les mêmes images passées en boucle. Et on tourne le dos à l’Histoire qui cherchent désespérément à avancer tandis que les grandes âmes du commentariat n’attendent que l’occasion de se rendormir ou de chérir les Palestiniens en éternelle figure de victimes. Ainsi brandit-on le « droit d’Israël à l’autodéfense » pour ne pas dire colonialisme. Ainsi de suite, les exemples ne manquent pas. Les mots frappent à peine les esprits qu’ils ont déjà effectué le travail de ne pas penser. En ce sens, ils nous conviennent mieux qu’à quiconque lorsque nous commençons toujours nos réflexions avec des morceaux en moins dans l’exercice de notre souveraineté nationale.
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Le temps des femmes afghanes à sauver est révolu. L’époque est maintenant aux bébés-mangés-tout-crus-par-le-Hamas-qui-ne-représente-pas-tous-les-palestiniens. L’humanisme Ronald McDonald des géants de l’armement a trouvé l’objet justifiant ses crimes et abreuve nos politiciens nationaleux qui, en guise de politique internationale, ont la tête l’un dans le cul de l’autre, et ce, en remontant la chaîne jusqu’au département d’État américain. Et plutôt qu’une fiole vide, peut-être verra-t-on un autre secrétaire d’État brandir une couche Pampers à l’ONU pour nous faire gober un canular mainte fois démenti.
Quand bien même consentirions-nous au narratif d’une guerre entre le Hamas et Israël que nous aurions déjà perdu tout le sens de ce qui se joue et que nous aurions posé un pas de plus vers la défaite des Palestiniens. La situation qu’Israël s’applique à rétablir à la « normale » — par le retour au silence des opprimés, par davantage de bombes et le renforcement du colonialisme — en mois ou en années, aura été prévenue, ici, dès le départ en mobilisant la morale contre la conscience. Autrement dit, on veut nous faire consentir au narratif d’une guerre où la justice serait du seul côté des agresseurs et des occupants. Les Palestiniens réclament-ils le simple droit de participer au combat que les dilemmes moraux se mettent soudainement à pleuvoir. Ils n’ont comme seule issue — et pour que leur intégrité soit reconnue — d’être les victimes éternelles, d’abandonner et d’offrir l’indépendance à quelques rois nègres ivres de provincialisation sous couvert de paix. Bref, les Palestiniens n’auront plus, en guise d’existence à nos yeux, qu’une somme de négations pour donner consistance à nos lâchetés.
Et voilà que les téteux de chroniques en tout genre qui voient de la grande politique à s’exclure de l’Histoire, tous ces grands intellectuels qui n’inspirent rien de plus que les lignes de communication de petits politiciens et toute cette gibelotte de notre politique nationale qui fait de notre immobilisme l’avant-garde des valeurs occidentales — les voilà tous angoissés à mort à l’idée de contredire les positions d’Ottawa et de Washington — les voilà tous qui s’imaginent tenir le sort du monde en hésitants prudemment entre les « d’une part » et « d’autre part » et les questions du genre « devons-nous, même si l’on soutient la cause palestinienne, nuancer nos déclarations, condamner le Hamas ? »
On en oublie que le propre de la violence consiste justement en ce qu’elle ne s’annonce jamais, pas plus qu’elle ne met de gants blancs pour éviter d’éclabousser nos molles définitions de justice et d’humanisme. La violence enfante le réel aux yeux de tous. Elle le rend à ce point insoutenable qu’il faut le changer. En avançant ou reculant, mais il faut le changer. La morale n’a aucun sens pour ceux que l’on maintient dans leur statut de sous-hommes et ce serait mystifier leur misère avec des valeurs truquées que de prétendre le contraire — ce serait leur préparer un ciel imaginaire pour un salut qui n’adviendra que le lorsque le ciel, réel, aura fini de leur tombe en missiles sur la tête.
Entre ne rien dire et ne rien dire, le mouvement indépendantiste a trouvé l’occasion de se rendre aussi utile que l’est un quêteux de canettes pour le réchauffement climatique. Qu’on ne vienne pas nous bercer d’un humanisme de centre communautaire pour la cause des civils innocents lorsque nous les avons livrés d’un trait, le 7 octobre dernier, à la sainte justice de l’OTAN et au « droit à Israël de se défendre » avec l’aisance de délateurs aguerris. Comment expliquer notre récent sursaut en faveur d’un cessez-le-feu après avoir dénoncé un acte significatif de résistance sinon comme l’établissement d’un no mans land moral qui réactive ce vieux complexe de honte à la vue d’hommes libres ? Étouffer la révolte des opprimés et jouer les mères Térésa après la répression qui s’annonce ; jeter de l’huile sur les résistants et dénoncer le feu qui s’abat sur eux — vieux compromis que notre élite connait trop bien face au risque de la victoire.
Comme peu de fois où elle a cherché à l’être, cette dernière a été responsable. Elle n’avait plus, en guise de politique internationale, cette vieille charité de colonisé à brandir à la face des damnés. Cette charité où l’on préfère sauver l’âme (et se sauver dans l’inaction) plutôt que l’homme. Elle n’avait pas plus de misérables à tenir à distance avec le juridisme abstrait du droit international qui ne sert qu’à lui donner l’illusion d’une grandeur dans son irréalité. Des hommes se sont levés et ont mis à nu le mensonge sur lequel s’édifie le statu quo des peuples opprimés. Comble de l’indiscipline pour des partis indépendantistes qui enfantent des lignées de politiciens battus d’avance, toujours prêts à célébrer la nature démocratique de leurs chaînes comme un syndicat jaune s’émeut de se retrouver à la même table d’un patron prêt à le saigner. Bien sûr, ils finiront toujours en souhaitant vaguement l’émergence d’un État palestinien, à conditions seulement d’enfermer son destin national en quelques catégories de privilégier qui pavent la voie aux abus de toute sorte et à la défaite perpétuelle comme façon de se trouver du bon côté de l’Histoire.
N’importe quel animal mord s’il est acculé au mur. Qui donc ira se plaindre de son manque de classe, de son primitivisme ? Qui donc mettra en cause l’intégrité de son être alors que, pour avoir tenté de le nier, il a fallu le reconnaître dans un premier temps ? Toute notre confusion vient de ce que nous cherchons à imposer aux Palestiniens des codes moraux qui régissent la conduite de carriéristes provinciaux habitués à flotter au-dessus de l’Histoire. Nous voudrions tant les voir réfléchir au milieu des ruines, des pluies de missiles et de l’extrême austérité de la guerre comme un manuel de philo pour cégépien. Nous faisons toute la rente de notre pacifisme en concevant la violence comme un acte étranger à la conduite des luttes politiques, comme une action qui porte hors d’eux-mêmes et dans une passion mortifère les militants indépendantistes, alors que le propre de tout processus de décolonisation consiste justement en ce que la violence, pour l’avoir subi dans un premier temps, obéit, lorsque retournée contre l’oppresseur, à une évidence qui ne fait qu’un avec leur projet : il en va de la nature du combat, comme impliqué par leur être même. Quiconque reconnaît le colonialisme comme système de relation entre deux peuples se doit de reconnaître qu’il animalise. Tant le maître que le colonisé. Mais l’une de ces violences mène à bout sa violence contre la mort, tandis que l’autre n’a que cette dernière comme mode d’existence pour les colonisés. Apartheid ou indépendance. Il faut choisir pour avancer.
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C’est le sort du Québec qui se joue en Palestine.
Davantage ici que chez les autres nations en lutte pour conserver ou conquérir leur indépendance. L’être de ces dernières a acquis suffisamment de consistance au travers des périls nationaux imposés par leurs luttes qu’ils savent, comme s’il en allait d’une seconde nature, reconnaître la liberté à conquérir de celui qui en prive un peuple. Si l’indépendance a toujours un sens dans un monde où les souverainetés s’intègrent à des ordres qui les dépassent et finissent par s’y abolir, où, au demeurant, chaque État est réduit au silence face au jeu d’ombres hypocrite qu’est la diplomatie, ce sont des pays comme l’Afrique du Sud, l’Irlande et le Yémen qui font figure de vie. Et par vie, il ne s’agit pas du simple fait d’être là, jeté au monde et d’y ergoter passionnément pour les soins de fin de vie, le temps d’attente aux urgences, le transport en commun et autres enjeux qui font la prospérité subventionnaire de notre identité provinciale.
L’enjeu réside dans la (sur)vie même d’une communauté et de sa capacité à trouver, dans l’adversité, la confirmation de ses choix passés l’ayant amené à se constituer comme indépendante et à se projeter continuellement dans l’avenir de sorte à donner un sens au présent[1]. Vouloir l’indépendance, en d’autres termes, c’est d’abord assumer la dimension conflictuelle de toute existence pour un « petit » peuple comme s’il en allait d’un choix originel, indiscutable, mais conditionnel à l’exercice d’une liberté qui se conçoit comme projet. Car liberté, justice et démocratie s’estompent et ne deviennent que de vieux mots-cadavres brandis à la face du peuple lorsque leur réalisation ne dépend plus d’un projet historisant, d’un destin à surmonter.
Ici, nous nous sommes empêtrés dans la gestion d’un État avant d’atteindre la libre expression de ce vouloir-vivre ; enfoncés en nous-mêmes jusqu’à ne plus envisager notre existence collective comme une dose de morphine contre la brûlure de l’Histoire qui s’agite. Vie politique désigne ces moments de grand vide où le consensus règne sur les moyens que nous prenons, en les consacrant, pour entretenir quelques vivotements provinciaux. Ni indépendance, mais référendum ; ni colonialisme, mais constitution ; ni peuple, mais sondage. Nous travaillons de notre propre chef à déshistoriser notre conscience. Même en clamant le temps des grandes batailles, quand la souveraineté revient à la bouche de quelques faces à pancartes électorales depuis que l’on avait oublié à quel point elles l’avaient trahie, quand cette classe politique prétend s’ériger en grand refus d’on ne sait quel enjeu parlementaire gonflé au prêt-à-manger journalistique, ces refus dissimulent une pleine soumission au cadre politique qui les détermine, véritable tragédie bon marché dont l’issue s’échoue d’avance en quelques lignées incestueuses de députés à vie qui se donneront ensuite de l’esprit à démissionner après avoir institué le ratage de toute démarche sérieuse.
Nos politiciens, d’ailleurs, aspirent moins à la naissance d’un peuple libre et régénéré qu’à pérenniser le réalisme léthargique d’une raison d’État qui nous nie et qui se présente toujours sous forme d’injonctions vides à respecter la démocratie des autres. Ainsi des Yves-François Blanchet qui s’imagine écrire une page de diplomatie en brassant de l’air en point de presse avec la solennité d’un directeur de polyvalente, affirmant que son parti n’allait pas s’opposer aux livraisons d’armes destinées à Israël, parce qu’un pays, ça doit tout de même se défendre[2]. Où en serions-nous si toute cette précaution à garantir les droits d’un État génocidaire était appliquée à la défense du droit, pour le Québec, de faire usage de tous les moyens nécessaires pour conquérir son indépendance ?
Comme si la collaboration à un ordre dont il ne participe d’aucune façon et, surtout, qui ne lui accorde aucune reconnaissance constituait la preuve que nous possédions tous moyens pour assurer notre destinée collective. Lorsque les peuples pointent vers leurs indépendances, les idiots se cherchent un maître, même le torse bombé. Véritable séquelle coloniale dont la posture décontractée des ailes jeunesse du Bloc et du PQ, de même que leurs associations civiles se multipliant comme autant de Villages des valeurs à militants dociles, n’en cache pas moins la passion morbide et aveugle pour les inconditionnels du souverainisme officiel. Censées incarner l’esprit contradiction et le pas en avant dans la direction de notre mouvement, elles se voit réduites au rôle de commis à l’amusement, et ce, par autant de verbiage cosmétique qu’il en faut pour entretenir une classe de militants dont le souper spaghetti et le cocktail de financement fait toute l’ardeur de son patriotisme. Nous gardons ainsi hors du champ de notre conscience — c’est-à-dire dans l’impossibilité même de les formuler — tout un ensemble de responsabilités à l’égard de la lutte pour un peuple qui se veut libre, nous sachant pertinemment en défaut face au désir ardent de liberté qui pourrait en surgir. À quoi nous y substituons la contemplation festive d’un vide qui fait le socle de la sacro-sainte convergence des souverainistes dont la stratégie consiste à retirer tout ce qui dans un programme nuirait au bon déroulement d’avortements électoraux répétés aux quatre ans.
Gaza croule en flammes et ici, c’est tout comme si une partie de notre histoire et du réel y passait aussi ; ce sont des décennies de solidarité active entre nos mouvements de libération que l’on perd au profit d’une méconnaissance active de l’enjeu, entretenue par des professionnels de l’évitement, politiciens rassembleurs dit-on, dont le talent se mesure par l’habileté à être à la remorque des événements. Et à eux de se féliciter par la suite de voter des motions affadies par le pouvoir et dont il lui incombe de ne rien y faire, renversant une fois de plus les termes du réel en célébrant l’audace d’une posture qui consiste à être le plus en retrait possible. C’est le peuple québécois qui, en définitive, risque de succomber de l’inconscience délibérée de son élite qui l’a façonnée en masse absente, errante à l’égard de l’Histoire et incapable de rejoindre la forme politique de sa présence au monde. La pente de cette Histoire, au demeurant, s’abat en mort violente sur les Palestiniens pendant que nous aménageons une paix de cimetière contre le péril de l’engagement et donc, de l’existence.
Oui, c’est le sort du Québec qui se joue en Palestine, car lorsque les formules creuses de nos ennemis à Ottawa ou à Washington s’essoufflent à la source, que le citoyen de tous les jours n’en croit plus un mot et que les politiciens détournent les yeux, notre situation ne peut nous apparaître plus clairement que par les protestations de notre lumpen-intelligentsia de province. Intellectuels manqués en cela qu’ils ne participent en rien aux courants des idées qui émanent des luttes actuelles, mais, tout au plus, les reproduisent en sous-produit du conservatisme à la française ou à l’américaine, confondant leur démarche de larbins à celles des Lumières lorsqu’il s’agit de considérer une lutte de libération nationale à l’étranger et tirant, en réalité, tout leur prestige de la petite besogne éditoriale où ils étendent la mesure de leur provincialisme à celle de la pensée. Ce sont des Joseph Facal, des Richard Martineau, des Loïc Tassé, etc. qui témoignent mieux que quiconque des réussites du colonialisme au Québec en cela qu’ils prennent en charge la sécurité des fondements au cœur de l’univers mental colonialiste — dont ils sont pourtant eux aussi les victimes — lorsqu’ils se font un devoir de marteler, jour après jour, leur discrédit à l’égard de la résistance palestinienne comme si elle mettait à mal leur propre existence. C’est dans ce climat d’irrationalité́ profonde que l’absence à la réalité́ et au monde chez ces intellectuels de colonie s’exprime et atteste de notre dissolution sous couvert d’affirmation, notamment lorsqu’un Mathieu Bock-Côté, par exemple, résume l’essentiel d’une pensée qui donne moins sens qu’elle ne témoigne de nos limitations en affirmant que l’impérialisme — qui résume notre dépendance et qui nous lie à celle des autres peuples — est, en dernière instance, doux et bienveillant. L’on nous objectera qu’il s’agit d’une vérité indéniable compte tenu de notre situation. Ce à quoi un indépendantiste devrait répondre en passant un peu moins de temps à disserter sur l’état d’esprit de ses maîtres et à en faire sa signature d’intellectuel qu’à chercher à s’en émanciper par tous les moyens nécessaires.
Il va en effet dans la logique des choses que cette classe de sous-intellectuels hissés au-dessus de leur peuple par des béquilles provinciales ne puisse que s’émerveiller face à la propagande d’un génocide aseptisé où une frappe aérienne visant femmes et enfants incarne à leurs yeux l’esprit de l’État alors qu’un résistant palestinien en lutte pour son indépendance et prenant à son compte tout le tragique de sa situation — ce tragique même qui met en mouvement les peuples contre le risque de leur disparition — est associé à l’islamisme.
Et dès lors, quand je dis que c’est le sort du Québec qui se joue en Palestine, j’entends qu’il ne suffit plus de simplement vouloir l’indépendance du Québec, comme nous l’avons si longtemps fait dans la sécurité d’un parti qui nous dispensait de l’action et du peuple, mais de chercher en nous, au milieu de ces intellectuels et de ces politiciens, la force pour combattre cette part de soi-même qui l’a vendu avant même de l’avoir réalisée.
Mars 2024
[1] Il est évident que notre histoire ne revivra jamais, à moins que le présent n’en vienne un jour à justifier notre passé […] de même que le passé ne nous dira à nouveau quelque chose que le jour où nous construirons un avenir national.
Pierre VADEBONCOEUR, Un génocide en douce, L’Hexagone / Parti pris, p. 19, 21.
[2] « Le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, ne loge pas à la même enseigne. « Nous ne demandons pas au Canada de cesser ses exportations d’armes vers Israël puisque nous reconnaissons bien sûr à Israël le droit de se défendre », a-t-il exprimé. »