Un vent d’argent sale!

Pendant que le Québec cherche à déterminer de qui, entre l’Église ou les drag queens, devons-nous protéger nos enfants pour mieux les abandonner au précariat des fastfoods et pendant que la solidarité de la gauche indépendantiste ne sait plus s’exprimer qu’en demandant des sous au gouvernement entre deux polémiques de ruelles qui font vivoter le peuple dans un semblant subventionné de conscience nationale, Le Devoir de vendredi dernier nous apprenait que les parvenus du Parti libéral et la direction de notre chère Université de Montréal ont quant à eux une solidarité bien ancrée avec l’argent sale du lobbyisme étranger afin d’avancer leur agenda politique.

Comme l’événement où deux têtes carrées de la GRC ont tenté de faire leur propagande de recrutement sur nos campus n’a pas suffisamment ridiculisé l’UdeM et son progressisme de cantine, on peut lire dans l’article que l’Université, le cul entre deux chaises, dit considérer « toutes les options » quant à l’argent de donateurs chinois qu’elle aurait reçu en 2016, les mêmes donateurs qui ont plongé le gouvernement de Justin Trudeau et la fondation au nom de son père dans la tourmente avec des allégations d’ingérence étrangère.

Un cadeau, ça ne se refuse pas ! Et puisqu’il date de 2016 ces fameux dons, il faudrait entendre par « envisager toutes les options » tous les moyens pour dissimuler les quelques billets qui resteraient sur la table. Tous les moyens pour décliner les quelques entrevues de journalistes qui chercheraient à élucider l’affaire. Tous les moyens pour pratiquer leurs faces de faux surpris. Tous les moyens pour faire passer les jours en tournant les pages d’un livre de procédures qu’on n’a jamais eu besoin de lire.

Et pour nous tenir dans les rangs de l’insignifiance, notre intelligentsia de Carrefour Laval, à l’avant-garde de la fuite du réel, se cache dans l’escalier de secours de la pensée en polémiquant sur des salles de prières inexistantes. La liberté de ces intellectuels d’après-service, toujours prêts à entretenir l’illusion de leur engagement par les miettes qu’on leur laisse, s’arrête là où commence l’argent des autres. Votre droit à scander le titre du livre de Vallières sans jamais le lire, vous l’aurez ! Pendant ce temps, le fédéralisme le plus grossier et ses chaires de recherches à gages continuent d’encaisser les chèques et de faire de l’UdeM une chambre d’écho du Parti libéral. Comme quoi on n’a pas à s’inquiéter de neutralité académique lorsqu’on peut acheter les recteurs. Quand le chèque du donateur est de 800 000 $. Et qu’une armée de relationnistes va fouiller les fonds de poubelle pour trouver les mots qui feront passer ce minable lobbying pour un acte philanthropique.

Qui aurait cru que le Parti communiste chinois était désintéressé en envoyant ses émissaires financer notre faculté de droit et qu’il était passionné par la qualité de nos procédures de divorce constaterait, en s’intéressant un peu que ce soit au réel, que c’est de l’argent qui a également servi à « “honorer la mémoire et le leadership de Pierre Elliott Trudeau”, notamment par l’érection d’une statue représentant l’ex-premier ministre canadien », projet pour lequel c’est l’ex-diplomate Guy Saint-Jacques qui aurait dirigé le donateur chinois vers le vice-recteur Guy Lefebvre.

Si ce réseau de bienfaiteurs des commandites n’était pas suffisamment consanguin, l’article nous présente une photo de cette brochette de « grands hommes » embaumés d’avance avec Alexandre Trudeau, frère du premier ministre qui représentait la fondation Pierre-Elliot Trudeau lors de la remise du don en 2016. Et tout ce beau ramassis de profiteurs cherche à s’acheter une fierté factice sur le dos de notre université et sur celui des étudiants qu’ils tiennent à la gorge (par l’endettement) et aux mots (en les dirigeant vers ce qui sera avantageux de chercher ou pas lors de leur parcours scolaire).

Une fierté, dis-je, pour le pays de ces banquiers séniles et leurs artistes de sous-département, une fierté pour leurs chercheurs engagés à hauts frais et leur exotisme bilingue dans leurs cercles de Torontois manqués. Une fierté pour une culture de beigne ontarien sublimée dans l’esthétisme aseptisé de petits bourgeois en mal d’être inutiles. La voilà votre Université-University of Montréal on territoire non cédé. Une fierté achetable et achetée à toutes les causes. Une de plus, une de moins, qu’importe : autant de causes qu’on leur délivre comme une déduction d’impôts et qu’ils brandissent pour se féliciter de leurs honnêtes transactions. Et ça permet de cacher que 800 000 $, c’est vite dépensé. À vrai dire ça n’a même pas suffi à l’ériger la statue de Peter Elliot. Il paraît toujours bien pour une classe d’affirmer sa puissance en élevant des phallus en l’honneur de ceux qui ont le mieux fourré le peuple. Mais ce n’est pas fondamental. Il s’agit avant tout de laisser sa trace comme un chien s’approprie un poteau dans ce vaste parc à merde où nous nous faisons les ramasseurs satisfaits. Il s’agit avant tout de nous rappeler qu’entre les écoles, les musées, les organismes artistiques, etc., il n’y a plus un secteur de la société où on ne leur appartient pas.

Et il ne s’agit pas ici de crier au scandale. Tout ça est légal. Très légal. Affreusement légal comme David Johnston, ancien vice-roi, ancien vice-président du comité pour le non lors du référendum de 95 et ancien membre de la fondation Pierre Elliot Trudeau. Et ce parvenu sur-mesure est chargé de recommander le gouvernement fédéral quant à l’ingérence étrangère chinoise dont ladite fondation aurait été l’une des portes d’entrée. De quoi trouver chez les vilains d’Austin Powers des chefs d’œuvres de subtilité et nous faire comprendre que la légalité au Canada se résume bien souvent à un CV de bloke.

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Quelle est l’utilité du Bloc québécois dans cette histoire, parti plus occupé aujourd’hui à se battre pour l’indépendance de Radio-Canada que celle de son pays ? Jamais les moyens « démocratiques » n’auront été aussi ouverts, disponibles et nécessaires par le travail de ces chiens de garde de notre provincialisation. Et voilà tout notre malheur. Ils ont déjà appris la langue du pouvoir avant même que l’on ait pu formuler un programme de rupture. Ce sont de grands démocrates pour autant que la démocratie reste canadienne et que le Québec puisse continuer à s’occuper des toilettes ou des subventions à la cafétéria. J’aimerai que les bloquistes me disent à quelle « démocratie canadienne » et à quelle « intégrité du système électoral » ils en appellent lorsqu’il s’agit de les défendre contre l’ingérence étrangère. La démocratie de 70, des commandites, de la loi sur la clarté ? Le système électoral de la Brinks, des lois spéciales ? D’ici à ce qu’ils trouvent l’état de nature bienveillant de la démocratie canadienne, la fonction qu’ils occupent ne fait pas d’eux les défenseurs d’un idéal, mais les domestiques bien entretenus du manoir.

Ils agissent comme de vulgaires sous-traitants de screw. Toujours prêts à chérir la prison. À y entrainer le peuple québécois. Et à crier victoire chaque fois que la démocratie canadienne barre le cadenas derrière nous, comme si elle nous protégeait d’un mal plus grand que la dépendance. On leur mettrait un fusil sur la tempe qu’ils voudraient négocier le prix des balles.

Les bloquistes s’achètent une virginité de principes à peu de frais en criant à l’ingérence chinoise. Une ingérence qui, si l’on arrêtait de se battre pour perdre, serait une occasion en or de profiter de la déstabilisation du régime fédéral.

En se jetant aux bras de la démocratie canadienne, comme ils le font depuis maintenant des années, les bloquistes se sont baissé les culottes avant même d’avoir perdu et, le plus tragique, avant même d’avoir essayé de gagner.

Voilà peut-être tout ce qu’il nous reste à nous, indépendantistes de la base : essayer. Essayer de cracher à la face de tous les parvenus, essayer de rester droit en s’appuyant sur quelques mots, essayer à deux, trois ou quatre militants d’ouvrir les fenêtres sur le réel pour reprendre l’expression de Pierre Falardeau.

Et vive l’ingérence d’intellectuels comme Aimé Césaire pour nous sortir de notre nombrilisme provincial :

« Donc, camarade, te seront ennemis – de manière haute, lucide et conséquente – non seulement gouverneurs sadiques et préfets tortionnaires, non seulement colons flagellants et banquiers goulus, non seulement macrotteurs politiciens lèche-chèques et magistrats aux ordres, mais pareillement et au même titre, journalistes fielleux, académiciens goîtreux endollardés […]

Et balaie-moi tous les obscurcisseurs, tous les inventeurs de subterfuges, tous les charlatans mystificateurs, tous les manieurs de charabia. Et n’essaie pas de savoir si ces messieurs sont personnellement de bonne ou de mauvaise foi, s’ils sont personnellement bien ou mal intentionnés, s’ils sont personnellement, c’est-à-dire dans leur conscience intime de Pierre ou Paul, colonialistes ou non, l’essentiel étant que leur très aléatoire bonne foi subjective est sans rapport aucun avec la portée objective et sociale de la mauvaise besogne qu’ils font de chiens de garde du colonialisme » (Discours sur le colonialisme)

 

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