Javier A. Hernández, basé au New Jersey et à Porto Rico, est entrepreneur, écrivain, conseiller et défenseur de la souveraineté et de la décolonisation. Il est l’auteur de « PREXIT : Forger le chemin de Porto Rico vers la souveraineté » et « Porto Rico : Le cas économique pour la souveraineté« , parmi d’autres ouvrages sur Porto Rico. Il est joignable ici.
Dans une ère marquée par les mouvements mondiaux vers la décolonisation et l’autodétermination, les paysages politiques de Porto Rico et du Québec présentent des narrations parallèles captivantes. Les deux nations, partageant le saint patron Jean-Baptiste, sont caractérisées par un sentiment croissant qui plaide en faveur d’une configuration politique équilibrant la souveraineté nationale tout en maintenant des liens cruciaux avec leurs fédérations actuelles, respectivement les États-Unis et le Canada. Cet article explore les mouvements pour la « souveraineté-association » au Québec et l' »association libre » à Porto Rico, en examinant leurs racines historiques, leurs fondements idéologiques et leur potentiel pour redéfinir l’avenir de ces nations au XXIe siècle.
Vue d’ensemble historique des mouvements de souveraineté
Le mouvement de souveraineté à Porto Rico est un jeu complexe d’identité culturelle, d’aspirations économiques et d’affiliations politiques. Le paysage politique y a été traditionnellement dominé par trois principaux partis : le Nouveau Parti progressiste (pro-annexion), le Parti démocratique populaire (pro-territorial et colonial), et le Parti indépendantiste portoricain. Malgré plus de 125 ans de persécution cruelle et de répression des forces pro-indépendance et pro-souveraineté, le soutien pour la souveraineté nationale est en croissance au sein de la nation portoricaine. Le concept d' »association libre » s’est imposé comme un compromis, proposant un statut souverain tout en maintenant une forme d’association volontaire avec les États-Unis.
Le mouvement de souveraineté du Québec est également ancré profondément, caractérisé par une identité linguistique et culturelle robuste distincte du reste du Canada. Le Parti Québécois et le Bloc Québécois, à l’avant-garde, ont plaidé pour la ‘‘Souveraineté-Association’’, un concept où le Québec maintiendrait des accords économiques et des liens sociaux avec le Canada malgré son état de souveraineté. Des figures clés comme René Lévesque et Jacques Parizeau sont devenues emblématiques des efforts de souveraineté du Québec, notamment lors des référendums de 1980 et 1995 qui ont rejeté de justesse l’indépendance.
Concepts et piliers des mouvements de souveraineté
Association libre à Porto Rico
L’ « association libre » représente un changement significatif dans la dynamique politique et économique de Porto Rico, offrant un cadre où Porto Rico peut atteindre la souveraineté tout en maintenant des liens bénéfiques avec les États-Unis. Ce modèle propose que Porto Rico gouverne pleinement ses affaires internes et externes, détenant l’autorité de créer et d’appliquer ses propres lois, de gérer et de développer son économie nationale, et de réguler les problèmes qui affectent directement la vie quotidienne de ses résidents. Contrairement à une indépendance totale, l’association libre inclut un « Compact d’Association Libre » qui stipulerait les termes de cette relation avec les États-Unis, pouvant couvrir la défense, l’utilisation de la monnaie ou les contrôles frontaliers.
Souveraineté-Association au Québec
La ‘‘Souveraineté-Association’’ pour le Québec est une approche innovante et pragmatique pour atteindre la souveraineté tout en préservant des liens économiques et sociaux essentiels avec le Canada. Au cœur de ce modèle, le Québec serait envisagé comme un État pleinement souverain, doté de l’autorité de gouverner ses propres affaires légales, sociales et culturelles indépendamment de la supervision fédérale canadienne. L’aspect association de ce modèle garantit que le Québec continue d’entretenir une relation économique mutuellement bénéfique avec le Canada, maintenant un arrangement bilatéral qui facilite le commerce, l’investissement, et la libre circulation des personnes, des biens et des services à travers leur frontière partagée.
Ces arrangements seraient essentiels pour préserver la stabilité économique et la continuité pour le Québec et le Canada, atténuant les perturbations potentielles qui pourraient accompagner une transition vers une pleine souveraineté. Ce modèle vise non seulement à renforcer le contrôle du Québec sur ses propres affaires mais aussi à maintenir les avantages économiques découlant de son appartenance à un marché plus large et établi, établissant ainsi un équilibre délicat entre l’indépendance nationale et le pragmatisme économique.
En termes pratiques, la ‘‘Souveraineté-Association’’ permettrait au Québec de négocier des accords commerciaux internationaux en tant qu’entité indépendante tout en partageant potentiellement certaines ressources économiques et infrastructurelles avec le Canada, telles que les approvisionnements en énergie et les réseaux de transport. La participation potentielle du Québec à des organismes internationaux renforcerait davantage sa souveraineté, lui permettant de se représenter sur des plateformes mondiales, allant des accords environnementaux aux sommets culturels et économiques. Le modèle de la ‘‘Souveraineté-Association’’offre ainsi au Québec une opportunité unique de redéfinir son avenir, en mettant l’accent sur l’autodétermination dans la gouvernance tout en capitalisant sur des stratégies économiques collaboratives qui assurent la prospérité et la stabilité à long terme pour le Québec et le Canada.
Données électorales et référendaires
Le changement de l’opinion publique vers des positions plus définies sur la souveraineté à Porto Rico et au Québec reflète un paysage politique dynamique, motivé par un désir accru de souveraineté, d’autogouvernance et de reconnaissance de l’identité.
À Porto Rico, les résultats du référendum de 2012 ont montré une inclination notable pour un changement du statut territorial actuel, avec 54,3 % des électeurs rejetant la continuation du statut territorial existant. Dans le même référendum, une proportion significative des voix a également été donnée en faveur de l’« association libre souveraine » (33,3 %), mettant en lumière un intérêt substantiel pour une forme alternative de relation politique non territoriale avec les États-Unis qui implique toujours un certain niveau de partenariat. En combinant avec les votes pour l’indépendance (5,4 %), le soutien à la souveraineté nationale atteint près de 40 %.
Cet intérêt nouveau pour les options de souveraineté, notamment par les professionnels patriotes et les jeunes générations, y compris l’association libre, s’est intensifié en raison des difficultés économiques continues, des limitations fiscales et des frustrations politiques liées au statut colonial actuel, souvent perçu comme limitant la capacité de Porto Rico à relever pleinement ses défis socio-économiques.
Alors que les élections de 2020 ont vu un nombre record de candidats pro-indépendance et pro-souveraineté élus, les élections de 2024 seront historiques car un candidat pro-indépendance au poste de gouverneur, Juan Dalmau Ramírez, dans le cadre d’une alliance électorale avec le Mouvement de la Victoire Citoyenne (MVC), un parti politique progressiste, a de réelles chances de remporter les élections, un exploit qui bouleverserait plus de 50 ans de règne colonial bipartite corrompu. S’il est élu, Dalmau Ramírez serait le premier gouverneur pro-indépendance de Porto Rico, pleinement engagé dans un véritable processus de décolonisation via une Assemblée de Statut.
La résurgence du mouvement souverainiste au Québec, particulièrement évidente dans les résultats électoraux et les données de sondages récents, souligne un regain d’intérêt pour un chemin politique distinct pour la province. Le Parti Québécois et le Bloc Québécois, qui sont les principaux défenseurs de la souveraineté du Québec, ont capitalisé sur cet élan, reflétant un sentiment plus large et plus prononcé parmi les Québécois qui désirent une plus grande autonomie et autogouvernance. Ce changement ne s’est pas produit isolément, mais a été fortement influencé par la forte identité culturelle et linguistique de la province, que de nombreux citoyens estiment nécessiter une protection et une reconnaissance plus robustes que ce qui est actuellement accordé sous le système fédéral canadien.
De plus, la dynamique des relations fédérales-provinciales a significativement contribué à ces sentiments pro-souveraineté toujours croissants chez les Québécois. Les débats sur les lois linguistiques, la préservation culturelle et les droits provinciaux ont fréquemment mis en avant les questions d’autodétermination et d’autogouvernance nationale québécoise. Ces discussions sont souvent encadrées dans le contexte de la position unique du Québec au sein du Canada, plaidant pour un modèle de gouvernance qui respecte son identité distincte tout en lui fournissant les leviers nécessaires pour prospérer économiquement et culturellement.
Ces tendances mettent en évidence un désir croissant parmi les populations de Porto Rico et du Québec de redéfinir leurs futurs politiques à travers des formes de souveraineté qui maintiennent des liens bénéfiques tout en affirmant une plus grande souveraineté dans les affaires domestiques et mondiales. Cela reflète des mouvements mondiaux plus larges vers la réévaluation des legs coloniaux et la lutte pour l’autodétermination politique et la décolonisation d’une manière qui respecte les identités culturelles nationales et les réalités économiques.
Viabilité économique de la souveraineté
L’analyse de la viabilité économique de la souveraineté, notamment à travers un tarif hypothétique de 10,25 % sur tous les biens et services, révèle des revenus potentiels significatifs pour les deux nations. Pour Porto Rico, selon les données économiques récentes, la mise en place d’un tel tarif rapporterait 10,2 milliards de dollars. Un droit de douane forfaitaire de 3,25 % sur ces achats rapporterait environ 3,23 milliards de dollars (pour un total de 13,4 milliards de dollars de revenus annuels), renforçant la capacité du gouvernement à fournir des services essentiels, à opérer le gouvernement et à investir dans des secteurs clés tels que la santé, l’éducation et l’infrastructure.
Au Québec, les implications économiques de l’imposition d’un tarif hypothétique de 10,25 % sur tous les biens importés sont substantielles. Selon les données récentes qui indiquent que les importations de marchandises internationales du Québec se sont élevées à près de 102,5 milliards de dollars en 2021, l’application de ce taux de tarif pourrait générer environ 10,5 milliards de dollars de revenus. Cette affluence significative de fonds (sans compter d’autres sources de revenus telles que la taxe de vente et les impôts sur le revenu, entre autres) pour un Québec souverain pourrait être stratégiquement utilisée pour renforcer l’autonomie financière de la nation, permettant des investissements plus importants dans des domaines critiques tels que la santé, l’éducation et le développement de l’infrastructure.
De telles mesures économiques ne renforceraient pas seulement les réserves fiscales du Québec, mais soutiendraient également ses aspirations à une plus grande souveraineté politique, fournissant une base économique robuste pour soutenir son identité culturelle et linguistique unique dans un cadre souverain.
Un appel à l’action
Alors que le monde devient de plus en plus interconnecté et complexe, les mouvements pour la souveraineté à Porto Rico et au Québec ne sont pas des phénomènes isolés mais font partie d’une tendance mondiale plus large visant à examiner et à remettre en question les legs coloniaux et les inégalités qu’ils perpétuent. Les deux nations représentent des cas convaincants de nations historiques cherchant à prendre un plus grand contrôle sur leur destin face à des influences externes historiques et continues. En tirant des leçons de leurs longues expériences de colonialisme et d’autodétermination, Porto Rico et le Québec peuvent développer conjointement des stratégies qui équilibrent efficacement la décolonisation et la souveraineté avec des relations bénéfiques à des cadres et marchés nationaux plus larges, tels que les États-Unis et le Canada, respectivement.
La position géographique stratégique de Porto Rico comme porte d’entrée vers les Amériques et les industries technologiques et culturelles robustes du Québec fournissent des forces fondamentales qui peuvent être développées davantage à travers une expertise partagée et des entreprises coopératives. De plus, les deux nations peuvent montrer l’exemple en matière de maintien de l’intégrité culturelle et de l’identité tout en embrassant le changement progressif. Le succès du Québec à promouvoir sa langue et sa culture françaises dans une Amérique du Nord principalement anglophone, et la préservation vibrante et ardente de l’identité nationale portoricaine, de l’héritage hispanique et de la langue espagnole de Porto Rico, face à l’influence américaine et aux politiques d’assimilation coloniale échouées, offrent des modèles de résistance et de résilience culturelles qui peuvent inspirer d’autres nations aspirant à la liberté et à la souveraineté.
Le moment est venu d’agir pour redéfinir les relations avec les États souverains respectifs, en adoptant des modèles qui permettent une autogouvernance significative tout en maintenant des liens avantageux, contribuant ainsi à un nouvel ordre mondial où les identités culturelles et régionales peuvent prospérer.
Javier A. Hernández