Québec 2019 : du voile au Front commun en passant par la lutte écologique

Parer l’attaque de la CAQ par la lutte anti-discrimination et pour le climat

L’année politique au Québec commence sous le nouveau gouvernement de la CAQ reflétant sotto voce la droitière tendance mondiale et canadienne. Son économie demeure emballée dans une boiteuse prospérité chancelante provoquant une étonnante pénurie de main d’oeuvre. Après un apéritif lénifiant, le nouveau gouvernement prépare une attaque visant à braquer la population sur ses divisions ethnico-religieuses. Consciente de la toujours dramatique négociation du vaste secteur public s’ouvrant l’automne prochain, la CAQ redoute la reconstruction du récurent Front commun appuyé par une population qui en a marre de l’austérité. Cependant, la population du Québec a semblé, l’automne dernier, davantage préoccupée de la crise climatique.

Québec solidaire, réellement existante opposition officielle étant donné le knock-out électoral des deux partis centristes, Libéraux et PQ, s’est emparé de l’émotion climatique pour en faire une campagne politique sur toute l’année. Mais cette campagne balisée par un Plan de transition capitaliste vert est décrochée tant du débat sur le voile et de la lutte contre la discrimination que de celle contre l’austérité. Joindre les deux bouts requerrait que le parti secoue ses puces nationalistes lesquelles entachent sa quête de l’indépendance trop extractiviste et trop braquée sur les frontières. La prise en compte de l’écologique « prendre soin » féministe et autochtone pourrait faire de cette campagne tant un outil anti-discrimination d’unité populaire que de plein emploi écologique.

Le vent mondial de droite frigorifie le Canada et le Québec

L’extrême-droite et ses proches parents, définis comme des régimes autoritaires, ultra-nationalistes, ouvertement discriminatoires et répressifs à la moindre contestation, gouvernent la grande majorité des pays du globe, souvent avec un appui populaire significatif. Avec la récente élection du gouvernement majoritaire ontarien Ford, dirigé par la droite dure du Parti conservateur, et celle annoncée de la droite dure conservatrice ouvertement anti-Québec en Alberta le printemps prochain, tout comme l’élection de la même tendance conservatrice dans le petit Nouveau-Brunswick en alliance avec un petit parti anti-francophone, ce vent de droite fait frissonner le Canada.

Et il y a lieu d’être troublé par ces pseudo gilets jaunes de l’Ouest canadien qui mêlent rejet de la taxe carbone et rejet de l’immigration. Pris en souricière entre sa politique pétrolière contredisant celle climatique et celle de la légalisation du cannabis en rupture de stock, coincé par la rivalité commerciale entre les ÉU et la Chine dont les nationalismes exacerbés l’empêchent de jouer sur les deux tableaux, enlisé dans l’enquête de l’assassinat en série des femmes autochtones, le gouvernement Trudeau, à moins d’un an des élections fédérales, perd de son lustre au profit de Conservateurs sans politique alternative autre qu’un alignement économique, politique et idéologique en sourdine sur les ÉU.

Sans y être (encore), le Québec n’échappe pas à la tendance ce qu’a marqué la conquête par la CAQ de la majorité parlementaire mais par une nette minorité des voix aggravée d’un très bas taux de participation électorale et égratignée par une brèche électorale Solidaire. C’est dans cette conjoncture sociale morose, mais bénéficiant du plus importants surplus budgétaire parmi les provinces canadiennes grâce à une phase de prospérité, toute néolibérale cependant, qui se prolonge et qui se combine aux conséquences budgétaires de la super-austérité de l’ex gouvernement des Libéraux, que la CAQ prépare sa rentrée parlementaire.

Son premier énoncé économique de la veille de Noël annonce clairement les couleurs de sa politique budgétaire : diminution rapide de la dette, des centaines de millions de rabais fiscaux pour les entreprises, subvention pour l’achat de voitures électriques le tout arrosé d’une hausse des allocations familiales et d’une aide modeste pour les retraitées à faible revenu. Et rien comme investissement dans les services publics… et rien pour le transport en commun. Bien sûr, il y aura éventuellement une mince couche de sucre pour dorer l’amère pilule du soutien aux forces du marché que ce soit à l’étape du financement, de la production ou de la consommation.

Une lutte sociale en panne mais qui n’est pas sans soubresauts

Ce contexte de froidure politique n’a pas fait rebondir la lutte sociale mais il n’est pas sans provoquer des soubresauts. Le blocage d’une route d’accès à un gazoduc en construction au nord de la Colombie britannique par une poignée d’autochtones dissidents de leur conseil de bande a ravivé pour un instant, par de petites manifestations d’appui pan-canadiennes, la lutte contre les hydrocarbures. Est-ce que ça sera une inspiration pour celle qui s’engage au Québec contre le gazoduc Abitibi-Saguenay chevauchant territoires autochtones et blancs ? Difficile de chercher espoir dans les minces et isolées luttes syndicales contre la brusque fermeture par GM d’une des plus importantes usines automobiles ontariennes ou encore contre le lock-out de l’aluminerie Alcoa/Rio-Tinto au Québec qui dure depuis un an.

En Ontario, la minorité franco-ontarienne se mobilise pour sauver son projet d’université francophone à Toronto contre l’attaque chauvine du gouvernement Ford obligeant le gouvernement fédéral à prendre le relais de son financement. Au Québec, l’atonie prolongée de la lutte sociale a été un moment secouée par une émotion climatique dans la rue de 50 000 personnes. À l’horizon se profile l’ombre de la grande négociation du  demi-million de travailleuses et travailleurs des services publics qui se mettra en branle durant l’automne pour normalement aboutir en 2020. Rien cependant ne laisse voir un travail de taupe d’une gauche syndicale organisée. Ce travail aurait dû débuter il y a un ou deux ans, pour contrer l’habituel concertationnisme de la bureaucratie syndicale qui a gâché la combativité de la base, prête à une grève générale qu’elle avait votée, lors de la dernière ronde de négociations en 2015-2016.

Une prospérité néolibérale à bout de souffle crée une paradoxale pénurie de main d’oeuvre…

L’inégalitaire prospérité polarisant richesse et pauvreté cache un taux d’investissement québécois qui n’a jamais rattrapé celui d’avant la crise de 2008-09 et qui s’est remis à baisser tout comme celui canadien. Ce n’est pas que les capitaux manquent, les trésoreries des entreprises en regorgent, c’est que depuis 2014 ils quittent le Canada plus vite que ceux extérieurs n’y entrent. Ce qui n’empêche pas l’endettement total canadien, tous secteurs confondus mais surtout celui des entreprises, de grimper bien au-delà de son niveau de 2007. Ce n’est pas pour rien que la Banque du Canada (et celle des ÉU) vient d’arrêter net la hausse des taux d’intérêt à court terme.

À l’essoufflement économique annoncé la CAQ compte répondre par une politique de hausse plus rapide de la productivité, plus faible et s’affaiblissant relativement sans cesse au Québec par rapport au Canada et encore plus par rapport aux ÉU. D’un point de vue d’une économie capitaliste très ouverte sur le marché mondial, cette politique est impeccable… en autant que le 99%, surtout le 90%, accepte d’en payer le prix. L’offensive contre les salaires et les conditions de travail déclenchée à l’aube de l’ère néolibérale, grâce surtout à l’intégration des grands marchés asiatiques dans celui mondial, a été un succès au-delà… de la prudence macro-économique. Elle met en question non seulement la solvabilité de la demande effective une fois mis à nu, depuis la crise de 2008-2009, le subterfuge de l’enflure compensatoire du crédit pour préserver l’équilibre du système, mais aussi la participation du prolétariat au marché du travail.

…causée par une grève du zèle et par l’analphabétisme fonctionnel dû à l’austérité

C’est la raison profonde pour laquelle le capital, du moins celui nord-américain, en criant et en pleurant car déchiré entre son intérêt général et ceux particuliers, consent à la hausse du salaire réel irriguée par une politique de hausse du salaire minimum. La crise à première vue étonnante de la pénurie de main d’oeuvre du sommet du cycle économique s’explique en partie par cette espèce de grève du zèle face à un marché du travail générateur à la fois de pauvreté, de précarité et d’aliénation accrue. Cette pénurie s’explique aussi par la grande proportion d’analphabétisme fonctionnel d’une force de travail non préparée aux nouveaux postes de travail pénétrés par les technologies de l’information, les réseaux sociaux et la robotisation. Les biens-pensants de ce monde, imbus de l’idéologie de l’individualisme néolibéral rendant chacune responsable de son malheur, auront beau blâmer les victimes, la première responsabilité en revient à la politique d’austérité qui a asphyxié le système d’éducation particulièrement en atrophiant à presque rien la formation continue surtout à des conditions équivalentes à celles du travail et en paralysant le bon fonctionnement de l’école publique.

D’où le bla-bla de la CAQ à propos de l’éducation. Le gouvernement caquiste propose de fausses solutions créant de faux débats entre le choix des classes maternelles quatre ans versus les CPE qu’on cherche à gruger en faveur des garderies privées soutenues par de généreux rabais fiscaux aux familles. La politique d’abolition des commissions scolaires en plus de supprimer un pan de démocratie locale, certes mal en point mais qu’on ne cherche pas à renforcer, vise de facto à faciliter l’uniformisation du taux de taxe scolaire cachant un autre important rabais fiscal. Mais la CAQ prend bien soin de ne pas proposer de renforcer l’esprit critique, indispensable autant à la travailleuse soutenue par une technologie sophistiquée qu’à la citoyenne face à des choix complexes. Non plus ne veut-elle pas s’attaquer à l’école privée et sélective bien dodue au Québec, plus qu’ailleurs au Canada, au point de menacer l’intégrité du système public non sélectif qui est au bout du rouleau. Celui-ci tend à produire des analphabètes fonctionnels par débordement des élèves en difficulté et par incitation au décrochage scolaire dont le Québec détient le record canadien. On est à mille lieux d’un système scolaire socialisant enfants, élèves et étudiantes les préparant toutes et tous ensemble à la participation à la société.

La remontée du Quebec bashing facilite la grande diversion identitaire de la CAQ

La solution caquiste passe quasi dogmatiquement par le marché soutenu par une politique budgétaire de rabais fiscal, au pire de subventions directes aux individus, ménages et entreprises. Ce qui signifie au mieux le statu quo quand le budget est équilibré et des coupes en d’autres temps ce qui sera le cas quand la crise resurgira. Pourtant, le peuple québécois, quand on daigne lui poser la question, préfère et de loin un réinvestissement dans les services publics à des baisses d’impôt. La CAQ, consciente de l’actuelle fragilité de sa popularité, doit conditionner l’opinion publique en créant une diversion sur un autre terrain, celui du nationalisme toujours fertile chez un peuple opprimé par la non reconnaissance constitutionnelle de son existence et par le Quebec bashing anglo-saxon en remontée fulgurante.

Ce dernier s’est encore crûment manifesté à la fin 2018 à propos de la péréquation fédérale, dont les deux tiers reviennent au Québec, versus le rejet québécois du « pétrole sale » dixit son nouveau premier ministre ; indirectement à propos de la suppression du projet de l’Université de l’Ontario français qui a mobilisé dans la rue 15 000 personnes de cette minorité, alors que Québec solidaire pour la plus grande consternation de celle-ci proposait plutôt à ses jeunes de venir étudier au Québec (!) ; et plus subtilement à propos de la controverse de l’appropriation culturelle des deux pièces de théâtre du dramaturge mondialement reconnu Robert Lepage annulées sous pression de commanditaires ou vedettes canadiennes ou étasuniennes indépendamment de la pertinences de la critique provenant des artistiquement marginalisées communautés noire et autochtone résistant au systématique racisme blanc difficilement admis par le nationalisme québécois qui ne voit que sa seule oppression.

La marque de commerce de la CAQ à part son néolibéralisme doctrinal politiquement tempéré par un chef aguerri (et ex homme d’affaire expérimenté) c’est son étroit nationalisme conservateur anti-indépendantiste saturé d’identitarisme étriqué à l’ancienne sauce canadienne-française. C’est la carte qui sera abattue sur la table de la session parlementaire qui s’ouvre bientôt sous forme d’un projet de loi portant sur l’interdiction de port vestimentaire de signes religieux ostentatoires par certaines personnes employées par l’État en position d’autorité y incluant le personnel enseignant. S’y combine une politique de réduction de 20% de l’immigration toutes catégories, malgré les réserves du patronat en mal de recrutement, ce qui entraînera inévitablement une querelle de juridiction avec Ottawa ce dont se délecte le courant nationaliste.

On devine l’islamophobie non avouée de la première mesure, car visant d’abord les femmes voilées, surfant sur son surgissement et sa consolidation chez les pays du vieil impérialisme depuis la destruction terroriste du World Trade Center en 2001, et la xénophobie de la deuxième qui a toujours habité le vieux et croyant Québec profond, électorat de la CAQ que délaisse la jeunesse. Le consentement manufacturé des sondages lui étant quelque peu favorable sur ces deux sujets, la CAQ va en profiter pour mettre l’identitarisme sur le devant de la scène du débat public, tout en présentant un budget prudent, attendant la venue de la bise récessive et anticipant une corsée négociation du secteur public donnant toute sa place à la privatisation, moins directement que par effet de vide, et tout en ménageant à sa manière droitière le secteur de l’éducation.

Québec solidaire gagné par un indépendantisme nationaliste et même extractiviste

La gauche a comme défi de résoudre la contradiction en évitant d’une part de fuir le débat identitaire, ce qui la mettrait hors jeu, et d’autre part de s’y laissant piéger, ce qui l’amènerait sur une position nationaliste frileuse de gestion des frontières en faveur de la bonne immigration mais contre la horde des réfugiées, réelle ou virtuelle, tentation que l’on constate grandissante chez la nouvelle gauche européenne de Mélanchon à Corbyn en passant par le Parti de gauche allemand. La récente prise de position de Québec solidaire de type impérialisme de pacotille sur la question franco-ontarienne augure mal. Sachant que la thématique de l’indépendance chez les Solidaires a été sous-traité à son collectif nationaliste Option nationale intégré en 2017, l’inquiétude grandit. Dans l’introduction de la nouvelle édition « électorale » de son livre-programme que Québec solidaire a repris à son compte et diffusé largement, il n’est nullement question d’arrimer ce « projet d’un peuple en marche » à un projet de société qui pour les Solidaires se détermine à gauche. Les textes-clefs sur l’économie et l’environnement, en tête de présentation et peu révisés, se réfèrent plutôt aux « avantages concurrentiels » du Québec mis en valeur par sa mainmise sur les lois, impôts et traités internationaux :

Pour commencer, il faut rappeler que nous possédons des ressources abondantes qui nous permettront de faire aisément la transition entre notre situation actuelle et un Québec indépendant. Notre secteur minier se classe parmi les dix plus importants producteurs mondiaux. […] 60 % du potentiel minéral de notre sous-sol reste inexploré. La forêt constitue également un secteur qui peut contribuer à notre développement. Nous possédons aussi d’importantes réserves d’eau potable. Dans le contexte du réchauffement climatique, cette ressource devrait être de plus en plus déterminante. De plus, l’hydroélectricité nous place dans une position enviable dans ce même contexte, en plus de nous permettre d’attirer des industries énergivores ou d’exporter en cas de hausse des prix.

Que voilà une vision pour le moins traditionnelle, anti-autochtone, anti-écologique du développement économique qui fait du Québec un porteur d’eau et scieur de bois du marché global néolibéral. Cette vision est un copie-coller extractiviste du Canada pétrolier sans le pétrole. Quant à utiliser transitoirement la monnaie canadienne ou étasunienne, c’est donner aux ennemis jurés de l’indépendance un outil stratégique pour étouffer une économie québécoise qui voudrait sortir des sentiers battus du néolibéralisme. L’indépendance ce serait finalement la possibilité de mieux se vendre au capital.

Le chapitre sur l’environnement, à part le rejet des hydrocarbures, n’a rien à dire sur le marché ou taxe carbone, au cœur de la stratégie fédéraliste, sauf à subrepticement les cautionner sous le nom d’« écofiscalité ». Comment d’ailleurs ce document pourrait-il prendre à bras le corps la lutte climatique quand il fait l’impasse complète à propos de la Finance, surtout à Wall Street et Bay Street, alors que le contrôle populaire de l’épargne nationale reste indispensable pour financer un projet de société alternatif qui prenne pleinement en compte la lutte climatique et l’accomplissement de la plénitude de la justice sociale. On n’y voit pas un engagement pour la justice fiscale. Comme le dit candidement l’auteur du chapitre sur l’économie : « Un gouvernement plus à droite pourra baisser nos taxes et nos impôts, alors qu’un gouvernement plus à gauche pourra réinvestir en santé et en éducation. » On reconnaît la source d’inspiration du Plan de transition Solidaire tout pétri de capitalisme vert avec un tantinet d’extractivisme, au bénéfice qu’un Québec Inc. en voie de disparition.

D’abord être conséquent dans les dilemmes de la tension entre droits et principes

C’est rongé par cette atmosphère délétère de nationalisme rampant que les Solidaires sont confrontés, par la CAQ, à la question des signes religieux et, dans une moindre mesure, à celle des seuils d’immigration et du « test des valeurs ». La direction du parti, sans consultation de la base du parti et sans approbation ni ratification par son Conseil national ou son Congrès, avait décidé il y a quelques années d’interpréter restrictivement le  programme du parti dans le sens de la Commission Bouchard-Taylor qui recommandait l’interdiction du port des signes religieux « aux magistrats et procureurs de la Couronne, aux policiers, aux gardiens de prison, aux président et vice-présidents de l’Assemblée nationale » ce à quoi la CAQ ajoute le personnel enseignant.

Pour avoir évité un débat difficile alors, la direction se retrouve aujourd’hui avec un débat explosif. La question de l’immigration ne connaît pas au sein du parti une telle controverse ce qui n’est pas nécessairement bon signe. La direction du parti, sans en référer à la base, a soutenu dans le passé le seuil d’immigration alors officiel, soit  environ 50 000 personnes, très loin d’une position de frontières ouvertes et escamotant la question de l’accueil des gens réfugiés sauf à sombrer dans le facile moralisme. Ce débat qui déchire l’Union européenne et les ÉU, heureusement ou malheureusement, n’a jamais au Québec ou au Canada connu une telle intensité malgré d’occasionnels débordements médiatiquement fabriqués.

L’épineuse question des signes religieux vogue dans la mer houleuse des concepts et droits relevant de la laïcité, de la neutralité de l’État, du droit d’expression, du droit des femmes et de la préservation du patrimoine. À ce niveau d’abstraction émanant certes de luttes historiques mais s’étant détachées de leur contexte depuis lors, ces droits et principes ont tendance à s’affronter sans solution autre que la chicane permanente moralisante qui crispe le débat jusqu’à des excès non souhaités au départ. Par exemple, non choisi au hasard, le droit d’expression par le vêtement confronte la neutralité religieuse de l’État que devraient exprimer (certaines de) ses employées. Ou encore : le crucifix de l’Assemblée nationale, incompatible avec la laïcité, fait-il partie du patrimoine à préserver ?

La laïcité c’est aussi le droit d’expression religieuse sur la place publique…

La première exigence est de réclamer la conséquence des uns et des autres. La priorité à la laïcité, qui est à la fois neutralité de l’État face aux religions, et non seulement entre les religions, mais aussi défense du droit  l’expression religieuse (comme de l’athéisme et l’agnosticisme) sur la place publique doit d’abord concerner les rabais fiscaux vis-à-vis les organismes religieux mais non l’utilisation discriminatoire de l’aménagement du territoire contre les religions minoritaires ; celle de la présence religieuse dans les lieux étatiques tant sous forme d’objets, de prières, de locaux mais sans discriminer les religions minoritaires en panne de locaux car certains lieux étatiques servent aussi de lieux publics ; last but not least, la disparition des écoles religieuses dont la majorité sont chrétiennes, et non seulement leur non-financement, étant donné le rôle socialisant de l’école publique… en autant qu’elle ne soit pas charcutée par la sélectivité et qu’elle soit correctement financée.

…et le droit d’expression aussi celui de critiquer le communautarisme et le dogme religieux surtout politisé

Québec solidaire passe-t-il ce premier test ? Certainement pas pour l’école privée religieuse qui est acceptée pour les familles et les sectes pouvant se la payer à 100%. Si la laïcisation des lieux étatiques est pris en compte dans le programme, il n’en est pas de même pour l’exemption fiscale immobilière des organisations religieuses. Quant aux personnes défendant le patrimoine, il faudrait empêcher la démolition de celui immobilier lié aux Patriotes plutôt que préserver un crucifix accroché plus d’un siècle plus tard par un gouvernement réactionnaire, ce qui confine davantage à la défense de la catho-laïcité que de la laïcité, ce sur quoi Québec solidaire est heureusement clair.

La défense du droit des femmes n’est pas une raison de se substituer ni à leur jugement sur la façon de s’habiller ni à leur combat contre l’oppression instrumentalisant la religion. Cette défense conséquente, par contre, réclame un soutien de leur lutte contre le communautarisme et le sectarisme à base ethnique ou religieuse leur imposant des modes comportementales et vestimentaires oppressives… y inclus en ce qui concerne les sectes chrétiennes. Cela peut aller d’un soutien financier aux groupes communautaires et ONG pertinentes jusqu’à une attention et à une intervention spécifiques des services publics… en autant que cette panoplie ne devienne pas une forme sophistiquée de discrimination imposant nos prétendues valeurs comme par exemple le placement d’enfants autochtones chez des familles blanches.

La défense du droit d’expression vestimentaire, laquelle est liée à celui d’expression politique ce que la gauche tend à oublier, ne doit pas se convertir en défense de la religion et encore moins en une célébration du voile et tutti quanti. Il faut se souvenir, et le dire, que l’idéologie religieuse, qui s’exprime aussi hors religion sous forme de scientisme ou de positivisme, ne favorise pas la démocratie car elle est basée sur le dogme relevant de la foi. Ce faisant, elle encourage le verticalisme car les grandes religions se sont construites à l’époque des hiérarchies pré-capitalistes par la suite figées par le dogme. La laïcisation (inégale) des sociétés devenant capitalistes a conservé de cette hiérarchisation, avec le concours des religions, celle dans la famille chargée de la reproduction gratuite de la force de travail.

Cet atavisme a accentué le sexisme des religions modernes non seulement envers les femmes et les LGBTI mais aussi envers les enfants victimes de pédophilie très catholique. La politisation des religions, de la droite chrétienne des Républicains étasuniens au djihadisme musulman en passant par l’hindouisme du BJP indien, le bouddhisme entretenu par l’armée birmane et le sionisme religieux soutien indispensable du gouvernement israélien, a particulièrement exacerbé ce sexisme. Comme participant à la montée mondiale de l’extrême-droite, sa dénonciation doit être acérée.

À la fin c’est la politique d’unité populaire qui tranche pour neutraliser l’idéologie du bouc émissaire

La cohérence ne suffit toutefois pas à régler le problème clef du clash entre droits et principes. Cet arbitrage se fait sur le terrain de la politique laquelle s’inscrit dans l’histoire des luttes sociales tant lointaines qu’immédiates. Le capitalisme, pour diviser la majorité populaire, a toujours eu besoin de boucs émissaires pour porter les incommensurables misères et catastrophes qui émanent de sa recherche éperdue de profit. Autrement, le majoritaire prolétariat mondial à la tête du peuple aurait tôt fait de monter à l’assaut des Wall Street de ce monde. Dès le départ de l’accumulation primitive du capital, ses idéologues mirent en scène le racisme justifiant tant l’esclavagisme noir et le génocide autochtone que le colonialisme puis le néo-colonialisme. Au sein même des sociétés impérialistes à idéologie judéo-chrétienne, le complot juif, issu du christianisme médiéval, justifiait tous les pogroms et holocaustes. Le génocide nazi ayant franchi les bornes de la morale bourgeoise issue des révolutions démocratiques, et les forces fascistes ayant perdu la guerre, l’antisémitisme s’en trouva discrédité comme fer de lance idéologique réactionnaire sans disparaître pour autant. La lutte des droits civils aux ÉU et celle pour la décolonisation dans le sillage de la révolution chinoise rabaissèrent le caquet du racisme.

La grande peur d’une révolution mondiale que cristallisait, à contre sens, la contradictoire libération-occupation des armées soviétiques, que vinrent renforcer la néo-stalinienne révolution chinoise et ses voisines, eurent tôt fait de susciter la substitution de l’anticommuniste à l’antisémitisme et au racisme momentanément discrédités. L’énorme quiproquo d’un socialisme réellement existant bureaucratique, répressif, inégalitaire et polluant,  malgré de relatifs succès économiques et sociaux mais en-deçà de l’État providence assis sur une vieille accumulation de capital et sur des sur-profits (néo)-coloniaux, conforta ce nouveau bouc émissaire. Son soudain effondrement en Europe et sa conversion capitaliste en Asie laissèrent la place vide. Pour un temps le triomphalisme néolibéral de la « fin de l’histoire » s’en accommoda. Puis vint l’inévitable retour du boomerang qui plonge le néolibéralisme dans une crise existentielle depuis la crise de 2008. Cette fois qui blâmer ? Après une vaine et dérisoire tentative du côté de trafiquants de drogue, le terrorisme islamique, ce Frankenstein de l’impérialisme, vint providentiellement au secours de son créateur ce fatidique 11 septembre 2001.

L’islamophobie, deux fois repoussée par le peuple québécois, l’a quand même fortement pénétré

Pour masquer la guerre de classe terrée dans les souterrains de l’histoire, surgit la « guerre des civilisations » des croisés occidentaux contre le fondamentalisme islamiste. Au nom des femmes et de la démocratie, dont la laïcité est la fille, l’Occident leva l’étendard de l’interventionnisme humanitaire qui laisse derrière lui horreurs et hécatombes. (Le Venezuela en sera-t-il la prochaine victime ?) L’islamophobie devint la nouvelle partie visible de l’iceberg de la grande division des peuples entraînant dans son sillage une recrudescence de l’antisémitisme et de tous les racismes et xénophobies. L’ancien ADQ fut le premier parti politique à s’en emparer en brandissant le ballon des « accommodements raisonnables » religieux. Puis vint le tour du PQ avec sa « charte ». Ces deux tentatives visant à faire porter aux femmes voilées le fardeau des péchés du capital valurent à ces deux partis des défaites cuisantes qui annoncèrent la disparition du premier au sein de la CAQ et peut-être du deuxième. La polarisation sociale et politique tire le tapis sous la stratégie péquiste d’unité souverainiste de la droite et de la gauche sous couvert d’un discours d’indépendantisme social-démocrate en complet porte-à-faux avec sa pratique.

Il n’en reste pas moins que l’islamophobie a fortement pénétré la société québécoise au point de créer un climat favorable à l’assassinat terroriste d’extrême-droite de sept croyants à la Grande mosquée de Québec en janvier 2017 et à l’émergence de groupes d’extrême droite islamophobes devenant de plus en plus visibles. Et sans oublier l’élection majoritaire du parti le plus à droite et identitaire de l’échiquier politique même si ce n’est qu’avec 24% de l’électorat inscrit. Cette dérive identitaire du nationalisme se profile comme la clef de voûte politique à tenir compte pour trancher dans les tensions entre droits et principes sous-tendant le débat sur les signes religieux. Si la position de la commission Bouchard-Taylor sur le port des signes religieux par les personnes employées par l’État pouvait peut-être se défendre il y a plus de dix ans, ce n’est plus désormais le cas étant donné la nouvelle conjoncture, et encore moins si on y ajoute le personnel enseignant, quitte à interdire le visage couvert pour fin d’identification, de sécurité ou de communication.

Reprendre l’initiative en exigeant une enquête et une politique efficace sur la discrimination

Comme la gauche n’a pas le rapport de force pour déterminer la hiérarchisation du contenu du débat public au Québec, qu’elle souhaiterait sur des enjeux écologiques, de démocratie et de justice sociale, prendre position sur la question des signes religieux reste pour elle une nécessité incontournable pour jouer sur la patinoire politique. Il lui faut par contre qu’elle soit consciente qu’elle joue dangereusement autour de son propre filet, qu’elle doit sortir de sa zone pour pouvoir marquer un but. Pour d’abord prendre le contrôle de la rondelle, le débat sur les signes religieux est à transformer en débat sur la discrimination systémique laquelle est une triste donne de tous les peuples à majorité blanche participant depuis un siècle et plus au pillage impérialiste. Il n’en faut pas moins reconnaître que le peuple québécois est pris en sandwich entre racisme blanc et le Quebec bashing, ce qui le rend particulièrement allergique à toute critique provenant du monde anglophone dont le but est plus souvent de discréditer la nation québécoise que d’appuyer les minorités racisées.

Celles-ci demandent depuis un bon moment que le gouvernement du Québec organise une enquête publique sur le racisme systémique. Québec solidaire appuie cette demande. Elle est à ramener sur le devant de la scène, quitte à parler de discrimination au lieu de racisme pour ménager les susceptibilités, afin de mettre la CAQ sur la défensive. La demande d’enquête ne doit pas cependant servir de prétexte pour retarder la mise en vigueur immédiate d’une politique anti-discriminatoire en emploi et dans le logement que l’on sait déjà pertinente. On pense à la reconnaissance des diplômes prise en otage par les corporations professionnelles, à l’embauche proportionnelle des minorités racisées et autochtones dans la fonction et services publics sous juridiction du gouvernement du Québec, revendications qui sont à populariser davantage par la députation Solidaire.

Le front nationaliste contre la femme voilée ou le front uni du peuple contre le banquier cravaté ?

Une fois en possession de la rondelle reste à organiser une attaque à cinq pour pénétrer la zone ennemi. Cela suppose un front uni contre un ennemi commun. Qui est responsable de la crise climatique, de l’austérité dans les services publics, de la pauvreté et des inégalités, de la répression et du militarisme ? La femme voilée ou le banquier cravaté ? That is the question. Canicule, services publics atrophiés et angoisse de fin de mois, pour ne pas parler des ravages de la guerre, visent autant l’ardente croyante âgée au chevet des malades que le jeune informaticien athée sinon davantage si l’on prend la peine de faire une analyse différenciée selon le sexe… et l’origine ethnique. C’est là que réside le secret de la réponse stratégique à l’offensive identitaire caquiste des signes religieux, de la baisse du seuil d’immigration et du test des valeurs une fois parés les coups de l’identitarisme et reprise l’initiative de la lutte contre la discrimination. Pour pénétrer en terrain adverse, il faut un plan d’attaque auquel adhère et pour lequel est prêt à se mobiliser le front uni de tout le peuple.

La conjoncture récente indique que la lutte au réchauffement climatique pourrait être ce grand rassembleur. Tant des groupes citoyens que Québec solidaire l’ont compris, les premiers organisant des manifestations et le second en mettant cette question au cœur de sa campagne électorale et en annonçant une campagne politique d’un an sur ce thème. Mais il y a un hic. Le rassemblement citoyen ne propose que le nécessaire rejet des hydrocarbures mais sans plan de sortie du pétrole laissant l’initiative à la CAQ ce qui est l’équivalent de mettre le renard en charge du poulailler. La direction de Québec solidaire a concocté à l’insu de ses membres un Plan dit de transition, issu d’un think tank lié au PQ, visant le capitalisme vert à coups de marché carbone ; d’auto électriques subventionnées au bénéfice des transnationales de l’auto produisant hors Québec et élargissant la ville-tentaculaire congestionnée de banlieues énergivores ; de coûteux trains aériens et orgie de métros au profit de « l’industrie de la corruption » abandonnant la trame urbaine à l’auto solo ; de récolte extractiviste de résidus agricoles et forestiers accélérant l’épuisement des sols.

La lutte contre l’austérité, par le prendre soin, est une lutte écologique comme elle est une lutte féministe

Il est troublant de constater que le noyau du Plan de transition Solidaire, la section transport, n’est que la bonification de la Politique de mobilité durable gouvernementale, soit un capitalisme vert plus conséquent. La faille majeure de ce Plan, toutefois, réside dans sa grande omission soit une alternative au système de production régi par le modèle de la consommation de masse. Le Plan ne prône pas la décroissance radicale de cette consommation, à géométrie variable selon les revenus, y compris une réduction drastique de la très énergivore et insalubre consommation de viande et de la disparition de l’auto solo comme du bungalow. Par le fait même, le Plan ne préconise pas l’alternative de la croissance toute aussi drastique des services publics universellement gratuits excepté du transport collectif urbain mais non régional ; ni de l’électricité de base pour les ménages ; et last but not least, ni de la bonification des systèmes éducatif et de santé et des services sociaux lesquels requièrent très peu d’énergie non humaine mais une bonne dose d’activité humaine créant de riches rapports sociaux amenuisant d’autant l’aliénation du consumérisme compensatoire de l’isolement social générée par la compétition de toutes contre tous.

Cette dimension lie intrinsèquement lutte climatique, préoccupation majeure de la classe moyenne et de la jeunesse la plus instruite, et lutte contre l’austérité, préoccupation majeure du prolétariat, vivier de gilets jaunes réels ou potentiels. Ce volet met théoriquement en évidence la lutte climatique comme porte d’entrée d’une société reposant non sur la valeur d’échange mais sur la valeur d’usage. Ce faisant, il fait ressortir le lien intime entre écologie et féminisme donnant la priorité au prendre soin y compris de la terre-mère, apport idéologique autochtone. De là il n’y a qu’un pas à comprendre la baisse du temps de travail aliéné sans diminution du bien-être, dans le sens du buen vivir et non de l’accumulation de produits de consommation durable et de capital fictif, comme une revendication écologique. Il fait voir l’alternative au capitalisme (vert) comme moins une révolution technologique et structurelle, ce qu’elle est, mais surtout comme une révolution des rapports sociaux, le socialisme du plein emploi écologique.

Promouvoir une politique de frontières ouvertes, la seule conséquente face aux réfugiées

C’est ce plein emploi combinant création d’emplois de type prendre soin, y inclus ceux attenants du transport collectif et de la rénovation écologique des bâtiments, et la diminution du temps de travail, malgré l’élimination de maints emplois nocifs et dégradants, de l’armement à la publicité en passant par ceux de l’obsolescence programmée, qui créera les conditions économiques de la disparition de la méfiance envers l’immigration dont les réfugiées du climat et des guerres. Cette immigration est une source d’enrichissement d’activité économique, de science et de culture quand elle est correctement accueillie et intégrée sans discrimination. Cette immigration est indispensable à la vitalité du peuple québécois comme elle l’est pour tout peuple.

À la politique caquiste de réduction de l’immigration, la gauche ne peut pas se contenter de se replier sur le statu quo des Libéraux. Cette position Solidaire qui ne fait pas débat à l’interne tellement est fort le nationalisme des frontières à protéger est une invite à un combat propagandiste de la gauche anticapitaliste sur l’ouverture des frontières d’un Québec indépendant tout comme son refus du programme fédéral du semi-esclavage des travailleurs temporaires liés à un seul employeur. Ce programme est de plus en plus populaire auprès des employeurs canadiens et québécois. C’est lui sur lequel compte le gouvernement de la CAQ pour résoudre la quadrature du cercle entre pénurie de main d’oeuvre et baisse de l’immigration. En attendant est à revendiquer le rejet de l’obligation de l’attachement à un seul employeur et un chemin qui ne soit pas un calvaire pour accéder à la citoyenneté.

La lutte du Front commun du secteur public est central à la lutte écologique du prendre soin

Salaires et conditions de travail des emplois écologiques de type prendre soin sont inférieurs dans nos sociétés productivistes assises sur la création de valeur d’échange afin de dégager une plus-value pour le capital au point que s’y développent des pénuries au sommet du cycle économique comme en ce moment au Québec pour les préposées aux bénéficiaires dans les institutions de personnes âgées. La lutte pour le salaire minimum à 15$ l’heure est aussi écologique parce qu’elle valorise socialement le travail de prendre soin tout en donnant plus de moyens au prolétariat de se louer un logis mieux climatisé, de se procurer une auto moins énergivore en attendant la transport en commun gratuit et des produits de consommation de meilleure qualité. Le rendez-vous de la grande négociation du secteur public débutant l’automne prochain, avec son demi million de syndiquées en majorité femmes soit près de 20% de la population employée du Québec, peut être et doit être l’occasion d’une remise en question politique de cette hiérarchisation contraire à tout humanisme. Si la gauche présente cette grande rencontre qui marque sporadiquement l’histoire du Québec depuis un demi-siècle comme non seulement comportant des dimensions syndicale et de justice sociale évidentes mais aussi des dimensions féministe et écologique peu invoquées surtout pour la dernière qui ne l’est jamais, la lutte du secteur public en sera d’autant idéologiquement renforcée. La compréhension populaire de la lutte du secteur public comme le cœur d’une société du prendre soin en ferait une priorité tant de la lutte climatique que de celle féministe de l’égalité salariale et des conditions de travail femme-homme.

La campagne climat comme cadre au débat sur le voile et comme ouverture vers le Front commun

Tactiquement, la campagne politique Solidaire sur le climat devrait constituer un arrière-plan indispensable de proposition d’unité combative au débat diviseur sur les signes religieux et à celui sur l’immigration imposés tous deux par le gouvernement de la CAQ. Ce débat peut cependant être atténué par une contre-proposition de lutte contre la discrimination et pour des frontières ouvertes. Québec solidaire possède désormais la masse critique pour tenter de s’imposer de façon crédible dans le débat public à condition que le plan d’action de cette campagne, que la direction du parti n’a pas présenté au dernier Conseil national et qui demeure inconnu des membres à ce jour, soit audacieux quitte à être risqué. Le parti est en mesure de construire un front pour le climat avec le nouveau mouvement citoyen sur la question et le mouvement environnemental, lesquels ensemble sont en mesure d’y joindre les mouvements féministe, syndical et populaire à condition d’y inclure la lutte contre l’austérité.

Restera à se mettre d’accord sur des tactiques osées à la gilet jaune qui vont au-delà des manifestations rituelles sans lendemain. Le problème, au départ, pour construire ce front pour le climat réside dans le cadre du Plan de transition que le parti veut promouvoir. Ce Plan qu’on veut « …connu le plus massivement possible… », se situe dans l’optique capitalisme vert de la politique de mobilité durable du gouvernement. On plaide que chemin faisant on l’améliorerait grâce aux commentaires de la population. Il faudrait pour cela que le Plan ait eu en partant une orientation de rupture avec le capitalisme dont les moyens seraient perfectibles. Dans l’état où il est, il désoriente nos membres, notre électorat et le grand public en prétendant qu’il permette de respecter l’objectif de hausse maximum de la température terrestre de 1.5°C d’ici 2100 alors qu’il est loin du compte.

Axer la campagne climat sur le transport en commun gratuit et le réinvestissement dans les services publics

Le Conseil national de décembre dernier a déposé, mais non refusé, des propositions de débat sur le Plan ce qui ouvre la porte à la direction pour entamer un processus de révision interne à boucler au prochain congrès de l’automne 2019. Nul besoin pour autant de mettre la campagne climat entre parenthèses car le même Conseil national a aussi voté que « le parti fasse campagne pour la gratuité du transport en commun sur dix ans », contenu très secondaire du Plan mais revendication à la fois écologique et de justice sociale la plus popularisée par le parti lors de la dernière campagne électorale. À cause de cette alliage, cette revendication s’adresse clairement au prolétariat des villes-centres et leurs périphéries, moins cependant à celui des banlieues et régions à cause des déficiences du Plan de transition qui y marginalise la création ou la bonification des services de transport en commun, par exemple des autobus autant que possible électrifiés et construits au Québec utilisant les existantes autoroutes et boulevards en voies réservées ce pour quoi il faut tasser les « chars ». Le Plan, dans son état actuel, réjouit plutôt la technocratie et la bureaucratie progressistes incapables de penser la lutte climatique en dehors de la boîte du marché sous le contrôle des grandes entreprises et des grands projets pharaoniques à leur profit, REM et ligne rose, concentrés dans les centre-ville et leur périphéries immédiates.

Il en découle que la revendication de la gratuité du transport en commun, déjà voté comme revendication de la campagne, devrait muer en une revendication de transport en commun gratuit, universel, fréquent et confortable couvrant l’ensemble du territoire. Une telle revendication parle directement aux intérêts populaires trébuchants et sonnants tout en (ré)conciliant écologie, justice sociale et plein emploi. Elle a le potentiel d’encourager une extériorisation dans la rue de la colère sourde contre une congestion urbaine devenant insoutenable doublée d’une difficulté grandissante à boucler les fins de mois au point que « 46 % des Canadiens seraient à 200 $ d’une insolvabilité financière » (Radio-Canada). La campagne climat doit cependant stratégiquement tendre la main à la lutte (espérée) du Front commun du secteur public qui s’amorce l’automne prochain. L’étroitesse capitalisme vert du Plan de transition Solidaire ne le permet pas car il ignore la lutte pour un réinvestissement dans les services publics dont l’augmentation des bas salaires. Seule une refonte du Plan de transition dans le sens d’un socialisme de plein emploi écologique permettrait de faire la jonction cruciale entre lutte climatique et lutte contre l’austérité.

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