Pour financer le tournant climatique : écotaxe ou réforme de la fiscalité ?

L’écotaxe est prisonnière du marché des transnationales, et injuste ou inutile

La direction de Québec solidaire, corroborée par le Conseil national, a demandé à la Commission politique dans le cadre de la révision du programme mise à l’ordre du jour du prochain congrès, d’élaborer une écotaxe qui remplacerait le marché du carbone prévu au Plan de transition du parti mais auquel le programme s’oppose. Il faudrait que cette écotaxe, qui par définition est une modification des rapports de prix du marché par une ou des taxes pénalisant les ou certains produits et services carbonés, ait la capacité de régler à temps la question climatique selon les paramètres du dernier rapport du GIEC (- 50% de GES net d’ici 2030 et -100% d’ici 2050). Comme Québec solidaire est un parti de gauche, cette écotaxe devrait être compatible avec la justice sociale.

Le « marché » est celui des transnationales qui veulent rentabiliser leur complexe auto-pétrole-bungalow

Le marché modifié pour y arriver devrait retourner de A à Z la structure économico-sociale c’est-à-dire inciter les acteurs économiques à faire une révolution des systèmes de transport, d’énergie, agricole, industriel, du bâtiment et urbain. Mais le marché n’est pas libre car il est dominé par quelques centaines de transnationales en particulier financières dont l’intérêt est de rentabiliser la structure productive/consommatrice telle qu’elle est centrée sur le complexe auto-pétrole-bungalow (de plus en plus en symbiose avec le complexe militaro-sécuritaire). Au Canada, on parle de l’axe Toronto-Calgary dont l’emprise sur les gouvernements crève les yeux (l’achat de l’oléoduc Trans-Mountain par le gouvernement Trudeau, la venue des gouvernements ultra-droitiers Ford en Ontario et Kenney en Alberta).

Au Québec qui ne produit ni hydrocarbures ni autos, on parle du complexe ABC (asphalte-bois-ciment) dont la commission Charbonneau a (mal) démontré le fonctionnement corrompu et les rapports incestueux avec l’État, caractéristique normal d’un capitalisme néolibéral qui fusionne les hauteurs de l’économie et de la politique. Les acteurs de ce marché non libre cherchent à transiter à pas de tortue, pour assurer la rentabilité de leurs gigantesques investissements s’amortissant lentement, vers un marché dominé par le complexe auto-électricité-condo. Ce complexe garantirait le maintien de la consommation de masse, avec son étalement-congestion urbains, et son extractivisme, tous deux nécessaire à l’accumulation du capital qu’impose la loi capitaliste de la compétitivité exacerbée par le « libre-échange ». Il s’agit pour ce marché de « tout changer pour que rien ne change » de sorte à tenir à l’écart la société écologique du « prendre soin » de décroissance radicale des produits et de croissance radicale des services surtout publics.

L’écotaxe n’est qu’une taxe sophistiquée sur les carburants par définition une taxe indirecte injuste

Quant à la question de la justice sociale, l’écofiscalité redistributive en plus d’être contradictoire est un amalgame de deux politiques qu’il faut déconnecter. Si elle est non redistributive donc qu’elle sert à financer les dépenses et l’amortissement des investissements de l’État, elle est régressive comme l’est toute taxation indirecte comme la taxe de vente. Quand on y pense, l’écotaxe n’est qu’une bonne vieille taxe sur l’essence mise au goût du jour pour mieux passer la rampe de l’opinion publique et ainsi servir de substitut à l’imposition des profits et des revenus comme c’est le cas en Colombie britannique et en Suède dirigées par des gouvernements néolibéraux. Si elle est redistributive, elle ne peut pas servir de moyen de financement à l’État. On revient alors à la case départ à moins de s’en remettre au seul marché non libre pour atteindre les objectifs du GIEC.

Ce qui suppose de croire que ce marché non libre soit capable de révolutionner les structures socioéconomiques à temps et à la hauteur voulue. Pour s’en convaincre, ses défenseurs supposent un « choix du consommateur », axiome de base sur lequel s’est construite l’économie marginaliste qui a tassé celle classique, dont marxiste, à la fin du XIXe siècle. L’économie marginaliste en pratique n’opère qu’à l’intérieur de structures données et au prorata du revenu individuel ou du ménage (ex. choix entre une auto à essence et une auto électrique). Cette théorie marginaliste des prix est par essence conservatrice car elle est allergique au changement de structure (ex. choix entre une auto à essence ou électrique et un service de transport collectif qui doit alors être généralisé, fréquent, confortable et bon marché) et antagonique à un changement de paradigme (choix entre une société capitaliste basée sur la valeur d’échange et une société de « prendre soin » basée sur la valeur d’usage).

Un impôt sur le capital sous toutes ses formes combiné à un contrôle populaire de l’épargne nationale

Par quoi alors remplacer l’écofiscalité pour financer la révolution socio-économique nécessaire ? Comme on peut sans problème déconnecter l’écotaxe de sa partie redistributive, laquelle ne lui est attachée qu’artificiellement, il suffit de lui substituer une réforme générale de la fiscalité qui impose le capital sous toutes ses formes (profit, actifs, capital propre, revenus élevés, patrimoine, héritage, consommation luxueuse) combinée à la lutte contre les paradis fiscaux. Ainsi la nécessaire révolution écologique sera financée de la même manière que les autres services publics lesquels de tout façon en font partie en tant que « prendre soin » des personnes. Il faut se souvenir que les taxes dédiées, par définition indirectes, sont fort impopulaires comme l’a démontré la taxe sur le carburant de Macron qui fut l’élément déclencheur de la révolte des gilets jaunes. Souvenons-nous de l’impopularité de la taxe santé du gouvernement Charest qui a dû être abolie par le
gouvernement Couillard.

Est-ce que ça suffira car après tout il s’agit de financer une révolution socio-économique ? Sans doute pas. Il faudrait alors mettre sur la table la question du contrôle public de l’ensemble de l’épargne nationale et de son corollaire, les flux financiers trans-frontières. Ce défi, tout comme le contrôle du secteur du transport dont celui des hydrocarbures, pose la question de la nécessité de l’indépendance pour répondre aux objectifs du GIEC. Ainsi la lutte de libération nationale et d’émancipation socio-écologique du peuple québécois deviendront un phare attirant pour les peuples canadien et étasunien contre le Canada pétrolier et les États-unis trumpiens.

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