Crachats

Bon. Encore une fois, sans grande surprise, la nation québécoise se voit forcée, dans l’humiliation, d’essuyer un glaviot de sur sa figure. Un beau gros crachat canadien et conservateur. En pleine face. C’est que dans son remaniement ministériel aux allures de chaise musicale occasionné par le départ inopiné de John Baird, le petit pasteur manqué aux yeux de serpent qui nous sert de premier ministre à Ottawa a nommé Rob Nicholson, un unilingue anglais, ministre des affaires étrangères. Cette seule information devrait suffire à soulever l’ire des citoyens de ce côté-ci de la rivière Outaouais mais, tartinons un peu pour le simple plaisir de chauffer le poêle.

Rappelons tout d’abord que Nicholson est originaire de l’Ontario, province qui se classe deuxième en ce qui a trait au nombre de francophones en son sein, la première étant le Québec, bien évidemment. Et malgré cela, le type n’a pas daigné apprendre le français. Il est rendu à 62 ans, bout d’cul! Il attendait quoi? Le retour du Christ? D’autant plus qu’avant de se lancer en politique, môssieur Nicholson a eu une carrière d’avocat. Donc, pas de clients francos pour le bonhomme, no thanks! Le gars a quand même été leader du gouvernement aux communes et ministre de la réforme démocratique. Ensuite, il est passé au ministère de la justice, devenant par le fait même le procureur général du Canada. Son poste suivant fût celui de ministre de la défense qu’il a occupé jusqu’à cette semaine. Tout ça en anglais et en anglais seulement. Déjà, on peut dire que ça fait dur. Qu’effectuer un parcours semblable soit possible dans un pays qui prétend avoir deux langues officielles, c’est tout à fait stupéfiant. Et ne voilà-t-il pas que cette semaine, comme pour donner un bon coup de masse à une structure déjà chambranlante, le berger Harper envoie sa brebis aux affaires étrangères. Pardonnez-moi deux petites secondes, je dois débarrasser mon oeil de quelques gouttes de crachat…

Le ministre des affaires étrangères, c’est le chef de la diplomatie canadienne. En y nommant un unilingue anglais, Ottawa propage à l’international l’idée que dorénavant, au Canada, toute cette histoire de bilinguisme sera dépassée. «Vous nous voyez fort désolés de vous avoir plongés dans la confusion si longtemps par rapport à la langue de chez nous mais n’ayez crainte, c’est bel et bien terminé. Le Canada est anglais, il n’y a plus aucun doute. Les français ont été matés. Vous n’aurez plus à vous poser de questions et si vous vous en posez quand même, vous pourrez vous les poser en anglais. Isn’t it wonderful?»

Vous me rétorquerez que ce n’est quand même pas la première fois. En effet. Depuis la création du poste dans sa forme actuelle en 1993, nous pouvons recenser deux cas. Sous Jean Chrétien, à la fin des années ’90, le ministère des affaires étrangères a eu à sa tête Lloyd Axworthy. Né en Saskatchewan et élu pour la première fois au Manitoba pour le compte du Parti libéral de Pierre Elliott Trudeau, Axworthy était un beau gros boeuf de l’ouest canadien qui ne pipait pas un mot de français. Il a successivement occupé les postes de ministre des transports, du travail, de l’emploi et de l’immigration pour finalement aboutir aux affaires étrangères. Quand on pense qu’il a dirigé tous ces ministères pendant si longtemps exclusivement dans la langue des conquérants, on en vient à avoir le vertige et même la nausée. De son entrée à la Chambre des communes en 1979 jusqu’à son départ en 2000, cet anglo pur-sang n’a pas cru bon d’incarner le bilinguisme pourtant censé être une de ces valeurs canadiennes tant promues par les élites libérales dont il est un fier représentant. Attitude qui en dit long sur le bonhomme et sur la place qu’il réserve à la nation québécoise au sein du Canada.

Le deuxième cas est celui de David Emerson. Après avoir représenté les libéraux de Paul Martin dans Vancouver Kingsway de 2004 à 2006 tout en portant le titre de ministre de l’industrie, Emerson brigue à nouveau les suffrages dans la même circonscription lors de l’élection de 2006, toujours pour les rouges. Les électeurs lui font confiance et le portent au pouvoir pour une seconde fois. Quatorze jours plus tard, avant même d’avoir été assermenté, il traverse la chambre et va grossir les rangs des conservateurs de Stephen Harper qui s’empresse de le nommer ministre du commerce international. Deux ans plus tard, en 2008, suite à la démission de Maxime Bernier dû au scandale crée par sa fréquentation de Julie Couillard, le révérend-chef l’envoie temporairement aux affaires étrangères. Dans le cabinet de cette époque, Emerson sera classé troisième dans l’ordre de préséance canadien derrière Harper lui-même et, je vous le donne en mille, nul autre que Rob Nicholson! Bien que né à Montréal, David Emerson, ce triste sire, n’aura jamais prononcé un mot de français et n’aura pas plus eu l’intention de l’apprendre.

Alors, si ce n’est pas une situation nouvelle, qu’est-ce qui fait que nous devrions cette fois-ci nous en indigner? Est-ce que nous sommes face à un mépris plus grand qu’en 1996 ou qu’en 2008? La réponse est oui. Bien que les deux cas mentionnés plus haut étaient déjà inacceptables, celui devant lequel nous nous trouvons aujourd’hui l’est tout autant, sinon plus. C’est qu’à l’effronterie dont fait preuve Ottawa dans ce dossier, nous devons maintenant additionner la béate approbation de notre propre gouvernement, ici-même au Québec. Ils ont complètement baissé les bras. Pire, ils consentent. Nul besoin de vous rappeler tous les gestes pro-anglais de cette clique de chouayens, leur baluchon déborde. Que le petit pasteur et ses fidèles cherchent à voir l’influence de la nation québécoise se réduire comme peau de chagrin, on peut, en quelque sorte, considérer cela comme normal. C’est à dire que de leur côté, le retour à un Canada anglais s’abreuvant à ses racines britanniques est un objectif avoué. Pour les conservateurs actuels, l’échec du bilinguisme a été pleinement intériorisé. Leur façon de faire glisser le pouvoir vers l’ouest le démontre bien. Les deux peuples fondateurs? Très peu pour eux. Ils sont dans une logique de vainqueurs et de vaincus, une logique guerrière. L’importance de plus en plus ténue qu’ils accordent au fait français n’est qu’une démonstration de leur victoire. À nous, donc, d’appliquer la même logique.

Par contre, que le gouvernement du Québec subisse tout cela sans broncher, sans s’élever contre de tels actes injurieux, est un réel problème qui montre bien à quel point cette bande de collabos est colonisée. Le gouvernement Couillard est radicalement fédéraliste. La réponse de son chef à l’affront méprisant de cette semaine fût d’une faiblesse inconcevable. Il a dit qu’il aurait été souhaitable que le nouveau ministre ait une connaissance minimale du français, qu’il s’attendrait à ce qu’il puisse dire au moins quelques mots en français. En matière de mollesse, on peut difficilement faire mieux. Il est complètement soumis. Ses deux genoux sont en sang. Vous vous rendez compte? Notre peuple est représenté par ce type à la conscience nationale entièrement annihilée. Que les anglais du ROC nous attaquent avec arrogance et fatuité, ça fait malheureusement partie du jeu. Nous n’avons qu’à répliquer avec force, fureur et fierté! Mais que notre propre premier ministre se rabaisse de la sorte, c’est à mon sens une impardonnable acceptation de la défaite. En crachant dans le miroir comme il l’a fait, c’est toute la nation qui s’en trouve éclaboussée. Quand nous sommes aux prises avec des rafales venant de l’ennemi, nous ne devrions pas avoir à se méfier aussi des tirs amis. Nous sommes vraiment dus pour un changement de tactique…

Publié le chroniques politique québécoise, Journal Le Québécois et étiqueté , , , , , , , , , , , , , .

Un commentaire

  1. « Nous n’avons qu’à répliquer avec force, fureur et fierté! (…) Nous sommes vraiment dus pour un changement de tactique…» J’ai hâte!

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