Coronavirus : la cupidité nous perdra

En ces temps troublés de coronavirus, je pense beaucoup à mes grands-parents. Ils sont tous décédés, mais leurs histoires m’ont toujours fasciné. Ils ont vécu la Crise économique et la Seconde Guerre mondiale. Ça leur a forgé une mentalité particulièrement tough. Ma grand-mère, jusqu’au moment de sa mort, a conservé dans ses placards des morceaux de tissu minuscules et des centaines de boutons dépareillés, qui auraient pu servir à réparer vêtements ou couvertures. Elle faisait des courtepointes qui tiennent encore le coup des dizaines d’années plus tard. Mon grand-père a été dans l’armée pendant la guerre, pas au combat, mais dans la fanfare. À la fin de la guerre, il a dû rester à son poste pour accueillir et « divertir » les blessés qui revenaient d’Europe. Il a vu l’horreur que la guerre pouvait produire sur des corps humains. Il a vécu aussi la Crise, il en a gardé la mentalité de ne rien jeter. Il détordait ses clous à la main et les conservait en cas de coups durs. Tous nos grands-parents ont des histoires du genre. Je ne les imagine pas céder à la panique à cause d’une pénurie de papier de toilette. Paradoxalement, dans la situation actuelle, ce sont eux les plus vulnérables. Pensons à nos aînés.

Dans la situation actuelle, nous observerons le plus laid et le plus beau de l’être humain. En voyant des gens qui se bousculent à l’épicerie pour des denrées ou du papier de toilette, on serait tenté de se dire « quelle bande de débiles ». Et pourtant, ils veulent simplement assurer un minimum de bien-être à leur famille. Leur réaction est donc très humaine. D’un autre côté, ça fait des années que, à travers la publicité, la musique, le cinéma, la télévision, on vante l’american way of life, l’achat à tout prix, s’endettant s’il le faut, pour acquérir des biens matériels souvent parfaitement inutiles. On vante partout l’individualisme comme mode de vie. Moi, mon confort, mes affaires. Vous vous attendiez à quoi? Tout le monde aura toujours une bonne raison de faire son enculé. Un animateur franchira une ligne de piquetage pour une bouteille de vin, il avait une bonne raison, c’était pour une amie cancéreuse qui fêtait son anniversaire. Vrai ou pas, une touche de relation publique pour sauver l’image. Une influenceuse veut sauver la planète, mais fait de la pub pour une pétrolière. On peut très bien faire une erreur par inconscience (on en fait tous), et apprendre de cela. On sera moins inconscient la prochaine fois. Ça se fait d’avouer son erreur plutôt que de tenter de sauver la face en essayant de se justifier. Le problème c’est lorsque tu sais pertinemment que tu fais passer les intérêts de la collectivité après tes petits intérêts hédonistes.

En ce moment, le plus beau de l’être humain, je le vois autour de moi, et grâce aux réseaux sociaux. Je vois des gens que je connais bien ou moins bien qui offrent leur aide à quiconque pour quoi que ce soit. Je vois que l’appel du gouvernement du Québec pour trouver des volontaires, retraités ou ayant simplement de l’expérience dans le domaine de la santé et des services sociaux, a été entendu. Ils ont reçu près de 7000 CV. Pareil pour la demande de dons de sang, les Québécois répondent en masse. Des ados se proposent pour mettre sur pied des services de garde alternatifs. Ça, c’est le plus beau.

Même au niveau corporatif, j’ai noté certaines initiatives brillantes. Les fournisseurs internets qui ont décidé, dans l’optique où le gouvernement demande aux gens qui peuvent de se tourner vers le  télétravail de le faire, de retirer les limites de données de leurs clients. La cupidité de certains se transforme pour éviter de perdre la face, mais le résultat est satisfaisant au bout du compte. Je pense aux propriétaires d’équipes de la LNH. Certains allaient payer les heures prévues non travaillées des employés des amphithéâtres. D’autres non. Le propriétaire des Flames de Calgary était d’abord du mauvais côté, mais des gens se sont organisés, ont fait un sociofinancement pour aider, des familles de joueurs ont donné un montant. Il a finalement changé de camp, sans doute pas par grandeur d’âme, mais parce qu’il passait pour un radin. Geoff Molson a changé de camp lui aussi, payant 75% du salaires de ses employés. Les joueurs ont proposé de payer la différence. 75%. Molson passe quand même pour un radin, vu sa fortune.

De côté des enculés, on retrouve aussi le patron d’Amazon, Jeff Bezos. Dans les chaînes d’épiceries Whole Food, qui lui appartiennent, on a demandé à ce que les employés qui travaillent partagent leurs heures de congé payées avec ceux qui sont dans l’impossibilité de se rendre au boulot. Dude, t’as une fortune de 150 milliards. Qu’est-ce que ça t’aurait coûté de casquer toi-même le temps de la crise? Dans certaines succursales de Tim Hortons, on exige un billet du médecin pour s’absenter du travail. Belle façon d’engorger le système de santé d’un côté, ou de favoriser la propagation de la maladie en forçant un employé potentiellement malade à s’y rendre s’il ne veut pas perdre sa job déjà précaire. Les compagnies aériennes profitent de la situation alors que des gouvernements donnent le mot d’ordre à leurs citoyens à l’étranger de rentrer dès qu’ils le peuvent. Une compagnie nationale, comme l’était Air Canada avant la privatisation de 1988, aurait pu avoir le mandat de mettre tout en œuvre pour rapatrier les Canadiens à l’étranger. On jouera plutôt le jeu de l’offre et la demande. Et ensuite on demandera de l’aide. Je te crisserais ça sous tutelle. J’y reviendrai.

Ce qui nous pète à la figure présentement c’est d’abord le mode d’organisation urbaine de l’économie capitaliste. Des gens travaillent très fort pour un salaire médiocre dans un emploi précaire et n’ont que le strict minimum pour survivre. Ils sont toujours pris à la gorge, à deux semaines de paie de s’effondrer. Quand on voit des gens descendre dans la rue en masse, comme les Gilets jaunes en France ou au Chili par exemple, c’est exactement ce genre de personnes qui ne survit pas lorsqu’on augmente le prix du chauffage, du gaz ou du billet d’autobus. Tu fais comment quand tu as un imprévu; un traitement de canal ou une réparation majeure sur ton véhicule avec lequel tu vas travailler? Imaginez actuellement le personnel des bars, des restaurants, des salles de spectacle, les artistes pigistes. Imaginez quand ces gens aux emplois précaires ont des enfants à nourrir, le stress qu’ils doivent vivre en ce moment.

L’autre chose qui nous pète à la gueule, c’est l’économie mondialisée qui ne repose sur absolument rien. Des États de plus en plus dépendants de l’étranger pour certaines fournitures, denrées, etc., alors qu’on n’encourage pas nos agriculteurs et éleveurs et qu’on s’appuie sur l’importation. Il se passe quoi quand les frontières se ferment? Imaginez le bordel à long terme. Ce n’est qu’un des aspects de la fragilité d’un tel système. Quand on prend ces deux points côte à côte, on voit des droitistes comprendre l’importance du filet social, on voit des gauchistes mondialistes comprendre l’importance des frontières. Le monde à l’envers. Peut-être que cette crise nous permettra de comprendre collectivement certains trucs et de nous recentrer sur l’essentiel.

Au Québec, ce qui s’y passe nous donne toute une leçon de science politique. Je ne pensais jamais dire cela, mais Legault a fait preuve d’envergure. Il a pris des décisions, il s’est montré rassurant, il agit. À Ottawa, Justin Trudeau, c’est tout le contraire. Derrière son vernis de beau gosse supposément progressiste, bien des gens s’aperçoivent enfin que c’est une coquille vide. Bien des gens comprennent enfin à quoi ça sert un État, avoir le contrôle de ses frontières, de ses aéroports, de ses ports, etc. Ne pas être obligé de quêter des mesures à un gouvernement étranger, qui se trouve à être par-dessus le marché complètement inapte et irresponsable. Le Québec et la ville de Montréal qui prennent les devants et outrepassent le fédéral sur l’une de leur juridiction, c’est du jamais vu. En tout cas à ma connaissance. Dépendamment de la façon dont l’humanité s’en tire, suivant ce que les Québécois viennent de constater, la souveraineté d’un État pourrait fort bien revenir au centre des priorités pour beaucoup de gens.

Un truc qui m’a frappé aussi en voyant les files d’attente et la cohue autour des épiceries, en me rappelant ces gens qui vomissent toujours les mêmes conneries : « heille, je voudrais pas vivre dans un pays communiste pis faire la file à l’épicerie ». À la place, tu vis dans une société capitaliste où les gens se battent pour des rouleaux de papier de toilette au Costco. Je pense qu’actuellement, les Cubains privés de multiples choses à cause de 60 ans d’un blocus américain sauvage pourraient sans doute nous enseigner quelques petites trucs sur la gestion de pénurie.

Je parlais de tutelle sur un service essentiel comme le rapatriement des gens outre-mer. Lorsque la compagnie privée se comporte en petit chacal et profite de la situation, ça me fait penser à une mesure qu’a prise le gouvernement de Nicolas Maduro pour lutter contre ce genre de comportement au Venezuela. Dans le contexte où le pays vit constamment des pénuries (organisées, soit depuis l’extérieur via les entreprises qui importent pour aider à déstabiliser le pays, soit dans le pays par d’autres entreprises qui profitent de ces pénuries pour multiplier le prix de certaines denrées essentielles), Maduro a mis des chaînes d’épiceries sous tutelle, avec des soldats qui s’organisent pour que tout le monde aient accès aux produits essentiels. Et il a fixé un prix plafond. Les médias occidentaux dépeignent toujours Maduro comme un fou, un irresponsable, un autocrate. Mais en cas de pénurie prolongée dans les épiceries du Québec, où le chaos et le « chacun pour soi » commenceraient à s’installer, serait-il complètement loufoque de voir ce genre de mesures? Pourtant, il me semble bien avoir entendu que les policiers de Laval ont dû être déployés au Costco…

Évidemment, je ne dis pas que ces gouvernements sont exempts d’erreur ou de corruption, j’évoque simplement des mesures responsables mises en place pour la collectivité dans des contextes de crises. Et ces pays sont aussi souvent pris avec des pressions ou sanctions extérieures qui compliqueraient l’endiguement d’une crise sanitaire grave. Je pense au Venezuela bien sûr, qui, vu les sanctions et les tentatives de déstabilisation, aurait plus de difficulté à endiguer une crise sanitaire alors qu’il subit des pénuries organisées de médicaments ou de fourniture médicale ou même de savon ou serviettes sanitaires. Le cas de l’Iran est similaire et très sérieux. Durement touché par la crise du coronavirus, les sanctions américaines lui font mal et à long terme c’est absolument contre-productif pour l’humanité entière.

Pour l’instant, j’avoue que vu le nombre de volontaires qui répondent aux appels du gouvernement québécois concernant la santé ou les dons de sang, je suis fier du Québec. Notre gestion collective actuelle est assez exemplaire. On réalise qu’on est capable de se gérer, qu’on n’est pas trop niaiseux ou empotés. Je pense qu’on voit aussi quels emplois sont primordiaux dans l’organisation de nos sociétés. Infirmier, camionneur, agriculteur, éleveur, médecin, pompier, épicier, professeur, sont essentiels.  Travailler en publicité, en marketing de merde, influenceur, critique de cinéma, commentateur sportif, ça l’est moins. Je me classerais plutôt dans la catégorie des inutiles en cas de crise (pas autant qu’un influenceur ou qu’un travailleur du marketing de merde quand même). C’est sûr que parfois je peux produire quelque chose qui pourrait servir. Grâce à moi, vous connaissez les étapes de la trappe d’un animal, ça pourra vous servir en cas de survie, qui sait!  Même quand mon travail est informatif ou quand il s’agit de mettre en lumière une situation X, ça peut être relativement utile. Mais je ne fais pas le poids à côté d’une infirmière ou d’un fermier. J’en suis conscient. Cependant, j’ai le sens du devoir et je sais que je ne suis pas le seul. Alors dans le cas d’une crise qui s’étirerait, je suis valide, en santé, je n’ai pas d’enfants, je ne suis pas plus vertueux qu’un autre, mais je serais absolument prêt à aller pelleter de la terre, monter des tentes ou brasser du ciment si on devait construire des hôpitaux de fortune.

Vous vous rappelez la très bonne, quoique malhonnête, série Tchernobyl? Quand ils cherchaient des volontaires pour faire une tâche primordiale en sachant très bien qu’ils sacrifieraient leur vie pour le bien commun? C’est le genre d’affaire qui me touche. L’héroïsme, le sens du devoir, le sacrifice. Et encore là, je suis sûr que je ne suis pas le seul. Et il y a des gens bien plus braves que moi, ceux qui risquent leur vie pour sauver quelqu’un de la noyade ou pour entrer dans une maison enflammée. Des héros de la sorte, nous en avons et ils se révèlent toujours dans les moments importants. À côté de ça, le couple qui profite de la crise pour monter un trafic de lingettes désinfectantes, c’est dur de faire plus minable. « Mais j’ai une bonne raison ». Sinon, t’as des débiles qui se claquent un corona challenge sur Tik-Tok. Je te crisserais ça au goulag (oh, après la tutelle, le goulag. Ça escalade rapidement, Jules.)

En fait, la panique de l’humanité m’inquiète plus que le virus lui-même. L’effondrement total de l’économie m’inquiète plus et va faire plus de tort que le virus lui-même. Il reste quand même un petit doute dans mon esprit. Les gouvernements, toujours à la solde d’un quelconque lobby, que ce soit minier, pétrolier, guerrier, banquier ou autre, ont soudain quelque chose à crisser de la santé publique? Permettez-moi d’être légèrement sceptique face aux agences de santé publique comme Santé Canada ou comme la FDA aux États-Unis. On les a trop souvent vu à la solde des lobbys pharmaceutiques ou agro-chimiques. Quand tu vois leurs accointances avec les Monsanto de ce monde (lire par exemple « Le monde selon Monsanto », de Marie-Monique Robin, ou « Corrompu jusqu’à la moëlle », de Shiv Chopra, lanceur d’alerte chez Santé Canada), la santé publique semble finalement bien loin dans leurs priorités. Les mêmes qui se laissent manipuler pour nous faire bouffer de la merde remplie de pesticides ou d’hormones, eux, ils se préoccupent de la santé publique? Peut-être que quelque chose m’échappe.

Je réfléchis aussi sur le système capitaliste globalisé en soi. Une économie entièrement basée sur la consommation, la spéculation, l’import-export, le pillage des ressources naturelles, le saccage de l’environnement, etc. Une économie basée sur rien du tout en réalité. Que de la merde, du vide. Un système où des ploucs de marketing de merde font 10 fois plus d’argent que des infirmières ou des préposés aux bénéficiaires. Un système qui laisse crever des enfants de faim, parce qu’ils sont nés au mauvais endroit (dans le monde un enfant de moins de 5 ans meurt de faim à peu près à toutes les 10 secondes). Et ça ose s’appeler humanité. Un système qui force des gens à se lancer en surnombre sur des embarcations fragiles avec des fausses vestes de sauvetage, vendues par des rats qui tirent profit de la misère humaine, pour essayer de joindre un pays riche et d’augmenter leur niveau de vie en faisant un travail au bas de l’échelle. Un système où des lanceurs d’alertes doivent s’exiler, crever de faim ou aller en prison parce qu’ils ont voulu défendre le bien commun. Un système où des scientifiques se font mettre à la porte d’établissements d’enseignement prestigieux parce qu’ils refusent l’ordre des choses et ont osé faire une étude sur le mauvais sujet, un sujet qui ferait perdre de l’argent à une corporation transnationale criminelle qui se révèle finalement être une bailleuse de fond pour l’établissement en question. L’ironie, c’est que ces établissements sont souvent payés avec l’argent de ces mêmes contribuables dont la santé est si peu prise en compte. Un système où on demande à un pauvre de payer de l’impôt, alors que les milliardaires cachent leurs avoirs dans les banques en Suisse ou à la Barbade pour échapper au fisc. Bien commun? Santé publique?

Ce capitalisme à visage humain n’existera jamais. Tant que le profit sera plus important que la vie ou que la santé humaine. Si ce système s’effondrait, beaucoup de gens souffriraient, j’en conviens. Mais tel qu’il est, beaucoup de gens souffrent déjà. Près de 113 millions de personnes sont dans une situation « d’insécurité alimentaire aiguë », un quart de l’humanité vit avec moins de 3,20$ par jour, près de la moitié de l’humanité a de la difficulté à combler ses besoins primaires, 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable sur une base domestique, 26 milliardaires possèdent autant que 50% de la population mondiale. Jean Ziegler appelle cela l’ordre cannibale du monde.

Et si c’était cet ordre du monde le virus. Est-ce que je me sacrifierais pour sauver la vie des enfants de mes voisins? Probablement. Est-ce que je me sacrifierais pour sauver cet ordre cannibale du monde? Je ne crois pas. Je me demande si on ne devrait pas simplement laisser ce système s’autodétruire pour reconstruire sur des nouvelles bases. Et vous, que feriez-vous?

Peut-être que je ferai juste comme mon grand-père, j’irai jouer de la musique ou faire des blagues de mauvais goût aux éclopés pour leur amener un peu de réconfort pendant que le monde brûle. En attendant, j’espère que j’aurai au moins diverti quelques personnes avec mes réflexions apocalyptiques de gars confiné.

Peut-être que tout rentrera dans l’ordre rapidement. À ce moment, j’espère que nous aurons pris collectivement conscience de quelques affaires et que nous ferons des choix moins niaiseux. Pour l’instant prenez soin de vos proches, lisez des livres et continuez à rire.

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