Une nécessité contre une dérive électoraliste à la mode capitalisme vert
Le collectif Solidaire Alternative socialiste, non-reconnu car la direction Solidaire multiplie les obstacles pour ne pas le reconnaître, propose aux anticapitalistes/socialistes du parti de se coordonner. Par scepticisme ou par cynisme, on serait tenté de donner la réponse de Gandhi à qui lui demandait ce qu’il pensait de la civilisation occidentale : « Ce serait une bonne idée ! » J’avoue personnellement écrire cet article comme aussi une catharsis personnelle pour contrer ce pessimiste état d’esprit. Le dernier congrès Solidaire et l’élection partielle de Jean-Talon ont provoqué un électrochoc chez la gauche anticapitaliste Solidaire ou tout simplement conséquemment démocratique. La référence du programme au «dépassement du capitalisme» semble bien oubliée. Si la tendance actuelle se maintient, c’est une question de temps avant qu’elle ne disparaisse comme la référence au socialisme a disparue du programme du NPD canadien il y a quelques années.
Inquiétante inflexion Solidaire à droite
Au dernier congrès Solidaire est disparu du programme le rejet du marché et de la taxe carbone ce qui signifie l’encadrement de l’urgence climatique par les transnationales financiarisées contrôlant le « marché » et en mesure, par le recours au libre-échange, de faire chanter les gouvernements. A suivi un renforcement de l’indépendantisme mais à la sauce nationaliste. Pour l’élection complémentaire dans la circonscription de Jean-Talon à Québec, le message électoral interclasse pour « classes moyennes » progressistes au lieu d’un message répondant aux besoins pressants du peuple travailleur et étudiant a nui électoralement au parti. Cette thématique centriste était au diapason de la tentative de la direction du parti de favoriser, en tordant le processus démocratique prévue, une candidature de droite.
Cette inflexion à droite Solidaire s’enligne sur la négation des nationalisations des secteurs stratégiques au moins dans un premier mandat, pourtant prévues au programme, sans compter que « Québec solidaire n’a pas du tout envie de laisser tomber la petite ou moyenne entreprise, pas plus que la grande… ». Ajoutons-y la promotion d’un Plan de transition capitaliste vert imposé sans débat et sans vote à la base.
Non seulement cette inflexion jette une douche d’eau froide sur l’urgence climatique mais électoralement parlant elle conduit au mieux à un effondrement à la Syriza ou plus probablement à un effritement-stagnation à la Podemos / LFI / Die Linke. Le parti est à rebours d’un Bernie Sanders se réclamant ouvertement du socialisme ce qui ne paraît pas jusqu’ici lui nuire électoralement même si on comprend que l’establishment du Parti démocrate et les grands médias, encouragés par la défaite de son alter ego Corbyn, feront tout pour l’arrêter… ce qui pose dramatiquement la question du lendemain de la veille.
Être au diapason des soulèvements mondiaux en manque de leadership anticapitaliste
La société est devenue économiquement et politiquement polarisée après 40 ans de néolibéralisme. Une forte proportion de la population rejette les réponses centristes et veut une réponse radicale. Ne la trouvant pas à gauche, elle la cherche à la droite extrême à moins de se mobiliser en masse et dans la durée pour « qu’ils s’en aillent tous » eux et leur régime comme on le voit dans maints pays arabo-musulmans et latino-américains sans oublier Hong Kong. Dans un contexte de spasmes récurrents d’extrême climatique, de bulles financières prêtes à éclater, de gouvernements enlisés dans l’austérité néolibérale et de « bonne gouvernance » vouée au culte de la compétitivité du libre-échange, c’est une question de temps avant que ce type de soulèvement, dont le printemps érable de 2012 a été un avant-goût, touche les pays du « vieil impérialisme ».
Quand surgira, et non pas si surgit, pareille vague, Québec solidaire sera-t-il la cinquième roue du carrosse faisant partie des rabat-joie ou sera-t-il cette organisation crédible, par son expérience, par son orientation politique et par son insertion sociale, capable d’assumer ce leadership qui manque tant à ces immenses soulèvements dont le processus électoral et même constitutionnel n’est que la partie immergée de l’iceberg ? That is the question. Si la tendance actuelle se maintient, il y a de quoi être inquiet. Les collectifs et individus anticapitalistes et socialistes ne sauraient rester passifs ou s’enfermer dans leur rassurante routine quand le chemin arrive à la fourche entre le droit boulevard menant à l’abîme de la barbarie capitaliste et le sinueux et escarpé sentier menant à une inconnue et incertaine terre promise ou tout au moins terre viable.
Des positions et pratiques si différentes qu’elles rendent difficile un accord même minimum
Une coordination anticapitaliste/socialiste, si peu ambitieuse soit-elle, suppose un accord politique si peu ambitieux soit-il. Le socle intrinsèque de cet accord ne peut être que la critique de l’orientation et de la pratique actuelles du parti sinon pourquoi vouloir faire bande à part. C’est sur ce socle qu’ensuite il serait possible d’esquisser à grands traits une alternative.
Il semble que les collectifs et individus anticapitalistes connus rejettent l’écofiscalité voté très majoritairement au dernier congrès. Considèrent-ils que le Plan de transition relève du capitalisme vert ? Sont-ils d’accord avec la nouvelle stratégie indépendantiste confinant à l’élection référendaire sur une base essentiellement nationaliste de transfert de pouvoir sans contenu écologique et social ? Pourquoi ce silence de leur part au sujet de la victoire du congrès sur la direction à propos de la mise sur pied de la Commission nationale autochtone (CNA) ? Avec tous les démocrates conséquents de Solidaires pour la démocratie interne (SDI), ils semblent critiquer le verticalisme mis en relief par l’affaire Jean-Talon. Mais quelles revendications et quelle tactique en découle-t-il ? Négocier sans rapport de forces comme le fait la coordination de SDI ou d’abord la construction du rapport de forces à la mode du Collectif antiraciste et anti-décolonisation qui a mobilisé tant les associations de circonscriptions du parti que les grands médias pour gagner la CNA ?
Une telle coordination ne peut débuter que par tenter d’arrimer les trois petits collectifs anticapitalistes, tous trois se réclamant du trotskisme. Cette tâche représente un défi de convergence même minimale. L’un se signale par ne proéminence propagandiste, un autre par celle syndicaliste et le troisième par son alliance critique avec la direction du parti. Les deux premiers sont visibles et transparents avec locaux, revues, tracts, tables de littérature, bannière et s’identifiant lors de leurs interventions. À l’inverse, le troisième est invisible et opaque. Les initiés devinent des liens probablement étroits avec Presse-toi-à-gauche — par hypothèse, les articles de son comité de coordination constituent l’orientation du collectif — et le moribond Réseau écosocialiste. Et il est, ou était, présent à la direction du parti et dans le haut de la pyramide de sa permanence. Cette existence à demi clandestine, qui fait penser à l’entrisme des années 1950 dans les partis staliniens, mériterait une clarification.
Tous privilégient le parti de la rue, soit une intime articulation avec les mouvements sociaux structurant l’organisation et la pratique du parti, tout en dénonçant l’électoralisme que cache le mouvementisme de la campagne Ultimatum 2020. Toutefois, le plus propagandiste d’entre eux est absent des réseaux militants écologiste et intersyndical. Il se montre frileux vis-à-vis la démocratie interne qu’il n’invoque que pour déplorer l’écart arbitraire de ses amendements, fort pertinents par ailleurs, concernant l’écofiscalité. Restent aussi discrets sur le sujet les partisans de l’entrisme semi-clandestin. Quant aux plus syndicalistes, ils pensent que la compétition des revendications salariales entre centrales compense l’absence de Front commun du secteur public ! Quant à brasser la cage du parti pour qu’il utilise sa nouvelle crédibilité post-élection pour souligner le caractère éco-féministe de ‘prendre soin’ des gens de la lutte du secteur public comme revers de la médaille d’une société de ‘prendre soin’ de la terre-mère, c’est motus et bouche cousue chez les trois collectifs qui s’enferment dans une étroite conception «économiste» de la lutte syndicale.
L’essoufflement de la tactique populiste interclasse, une balle au bond à saisir pour les anticapitalistes
Il n’en reste pas moins que les trois collectifs dorénavant s’impliquent dans la vie du parti, ce qui n’était pas ou peu le cas jusqu’à récemment pour les deux premiers pendant que le dernier était actif en sous-main. Il n’y a pas seulement que les conjonctures mondiale et nationale et celle du parti qui poussent au travail en commun. Le bilan, certes provisoire, du développement des partis anticapitalistes dans les pays du vieil impérialisme indique la direction à suivre ou plutôt à ne pas suivre. Tant la stratégie populiste du leader charismatique de parti mouvement tenant un discours interclasse anti-élite de signifiants vides à interprétation variable (Podemos et LFI des premiers temps) que les plus traditionnels partis sociaux-démocrates de gauche gangrenés peu à peu par le centrisme électoraliste (Die Linke, Syriza) ont prouvé leur échec. Quant au Labour britannique, phénomène original d’un parti social-démocrate de droite se transformant en parti social-démocrate de gauche pour se refaire une crédibilité, reste à voir s’il va persister dans cette direction après sa lourde défaite électorale.
Québec solidaire s’est inspiré de tous ces modèles à des degrés divers à différents moments tout en gardant une originalité nord-américaine. Au départ, le parti a été fondé avec une structure électoraliste comme parti stratégiquement antilibéral à tactique indépendantiste se démarquant non pas d’un parti social-démocrate néo-libéralisé mais d’un parti nationaliste centriste à discours indépendantiste du dimanche. Comme seul parti non-groupusculaire à gauche du centre-droit, il a accueilli en son sein un large éventail de tendances, de la gauche anticapitaliste révolutionnaire aux sociaux-libéraux en passant par toute la gamme social-démocrate. La première mouture dirigeante s’épuisant, sans se discréditer, dans une lente progression a laissé la place à une relève plus prête à jouer le jeu politique. Le résultat en fut la réussie élection 2018 sur la base d’une centralisatrice tactique populiste de wedge issues (revendications pointues séparant les progressistes des conservateurs) débouchant sur un parti-mouvement se coupant organiquement de facto du mouvement social.
Comme le montrent tant la piètre performance électorale de l’élection partielle de Jean-Talon que celle peu incisive au parlement, cette tactique s’essouffle. On ne doit pas s’en surprendre car brillante mais sans profondeur en abandonnant sur la tablette programme et plateforme électorale elle s’est retrouvée sans projet de société à promouvoir. Ce fut manifeste dans Jean-Talon où la direction aurait souhaité comme candidat un ex homme d’affaire bling-bling incrusté dans un parti municipal de droite pour soutenir une thématique centrée sur un seul wedge issue interclasse (troisième lien, patrimoine) négligeant les véritables enjeux qui répondaient aux besoins et aspirations populaires les plus immédiates et pressantes par ailleurs tout à fait écologiques (logement social écologique, services publics austérisés, transport en commun en surface gratuit, en voies réservées, fréquent, confortable, électrique, accueil des personnes réfugiées climatiques). Ce passage à vide sur fond d’une campagne climatique en panne est une balle au bond à saisir par la gauche anticapitaliste du parti si elle trouve le courage politique de surmonter ses multiples contradictions.
La tentation de l’entre-deux du capitalisme vert et de l’indépendance identitaire/nationaliste
Une critique du dernier congrès propose une voie mitoyenne. L’auteur est d’accord avec l’écofiscalité car « qui peut reprocher à Québec solidaire de vouloir accroître le nombre de votes » et « [q]u’on veuille […] utiliser les leviers du système pour aller au-delà, il n’y a pas lieu de s’insurger ». Pour protéger sa gauche, l’auteur condamne la bourse carbone car elle permet d’« acheter des actions carbone pour continuer à polluer. » Comme si sa sœur jumelle la taxe carbone ne permettait pas de faire la même chose par des taux différenciés, des exceptions, des exemptions, des subventions… masquée par une redistribution qui plus elle est redistributive moins elle donne les moyens d’un interventionnisme public.
Le problème fondamental de toute écofiscalité modifiant peu ou prou les rapports de prix est de s’en remettre au seul «choix du consommateur» du marché, fil de plomb de la micro-économie néo-classique, pour diminuer les GES alors que la structure de la production-consommation imposée par le capital n’offre aucun choix autre que marginal (ex. entre de multiples marques d’auto mais non entre auto solo pléthorique et transport en commun déficient). Et drôle d’indépendantisme qui appuie par son silence la redistributive taxe carbone du gouvernement Trudeau.
Ce même pragmatisme électoraliste lui fait dire que le vote pour un pays avec armée est une « position […] plutôt électorale » qui ne remet pas en question « [l]adhésion de QS au pacifisme ». Et vive le pacifisme armé et exit le contrôle populaire de l’armée et sa démocratisation.
Plus pertinent est le constat de la double contradiction soulignée entre le durcissement indépendantiste à la Option nationale confinant à l’élection référendaire, alors que l’assemblée constituante reste l’officielle stratégie du parti, versus le désintérêt de la jeunesse envers la question nationale. L’auteur résout l’énigme en expliquant que le parti veut « créer un bloc populaire qui recompose le projet indépendantiste sur un projet social » mais que, contrairement à l’espoir de la direction, il faut « envisager l’action électorale comme un marathon au lieu d’un sprint » ce qui ne pourra « se réaliser en vase clos, indépendamment des développements des luttes ailleurs dans le continent » et exige « une stratégie d’éducation populaire et de jonction avec les mouvements sociaux ».
Il aurait pu pointer du doigt que la direction du parti a tout fait pour rater cette jonction. D’abord avec le mouvement autochtone en s’opposant fermement sur le plancher du congrès à la création d’une Commission nationale autochtone avant que les pressions de la base lui force la main. Ensuite en mécontentant le mouvement populaire de Québec en jetant son dévolu pour une candidature de droite pour l’élection partielle de Jean-Talon avant qu’encore une fois la base du parti rejette cette candidature. Il aurait pu ajouter que faute de fermeté des Solidaires pour la démocratie interne au congrès, la direction a pu écarter les résolutions voulant baliser l’emploi des médias par la direction pour fin de débats internes. Il aurait pu conclure que la grande thématique de cette élection partielle (le troisième lien), clamée haut et fort au congrès, n’avait rien qui répondait aux besoins et aspirations populaires les plus immédiates et pressantes par ailleurs tout à fait écologiques.
Il aurait pu en déduire que ce « projet social » qui doit résoudre l’énigme du raccordement de la jeunesse avec l’indépendance est lui-même énigmatique. Est-ce ce Plan de transition capitaliste vert jamais discuté ni voté qui promeut l’auto électrique, train aérien (REM) et orgie de métros aux dépens d’un massif transport en commun en surface comprenant banlieues et régions et tassant les «chars», une polluante filière du lithium et une de résidus agricoles et forestiers au lieu de les réincorporer au sol, une politique de subventions à l’entreprise privée au lieu de lois contraignantes ? Est-ce ces «ruptures» à la Option nationale qui ne sont que des transferts de pouvoir sans contenu ni écologique ni social ? Où est cette jonction entre le projet indépendantiste et le projet écologique et social qui gagnera la jeunesse et le peuple travailleur ?
Fin du monde, fin du mois, même combat !
Ne faut-il pas adresser un message radical à cette jeunesse angoissée par une perspective tout à fait justifiée de «fin du monde» ? Et au peuple travailleur en liant la lutte contre la «fin du monde» à celle pour boucler les «fins de mois» ? D’abord et avant tout déclarer la guerre aux véritables responsables du malheur des unes et des autres soit l’alliance finance-pétrole qui mène le Canada et au complexe auto-pétrole-unifamiliale qui en profite, à celui auto-électricité-condo du capitalisme vert qui prépare la relève, à celui militaire-sécuritaire qui les protège et à GAFAM qui en pénètre tous les pores. D’abord augmenter leur imposition et ensuite, quand ils utiliseront l’arme de la grève des investissements et de la fuite des capitaux, les exproprier sans compensation.
Quelle alternative ? Tout en composant avec l’étalement urbain déjà existant par sa densification, arrêter net ce type de développement par l’interdiction immédiate de la construction d’unifamiliales et des maisons en rangée en zone urbaine. Puis remplacer les autos solos à interdire dès 2030 par du transport en commun gratuit, fréquent, confortable, électrique et en voies réservées sur toutes les autoroutes et boulevards, le tout complété par des circuits collecteurs balisés et entretenus à cet effet de minibus graduellement sans chauffeurs, plus un complément d’autopartage communautaire soutenu publiquement.
Mettre fin à l’extractivisme comme système et à son revers l’obsolescence planifiée et l’agro-industrie tout en augmentant drastiquement les services publics anciens (santé, éducation, garderies, services sociaux) et nouveaux (transport, énergie, finance, assurance). Remplacer la centralité des hausses salariales au-delà du «living wage» par la centralité des baisses du temps de travail jusqu’à l’atteinte du plein emploi écologique y compris pour les personnes réfugiées du climat et celles immigrantes accueilles dans la cadre d’une politique de frontières ouvertes et de soutien à leurs luttes anti-impérialistes.
S’inspirer à la québécoise des relatifs succès des anticapitalistes danois et portugais
Cette unité des anticapitalistes, organisés ou non en collectifs, est aussi encouragée par le succès relatif, au sein des pays du «vieil impérialisme», des partis anticapitalistes danois et portugais, l’Alliance rouge-vert et le Bloc de gauche. Leur succès relatif résulte au départ d’une fusion entre minuscules partis de tendances idéologiques diverses auxquels s’est agglutiné par la suite de plus en plus de personnes militantes anticapitalistes. Lors des élections dans leur pays respectif en 2019, ces deux partis ont résisté au vent glacial de la droite réactionnaire anti-immigrant et sexiste malgré de marginaux reculs électoraux.
La gageure certes risquée de ces deux partis fondés à la toute fin du XXe siècle et dotés dès leur fondation d’une représentation électorale, a été de concilier leur caractère fermement anticapitaliste avec un pragmatisme électoral les rendant immédiatement « utiles » au peuple travailleur en termes de réformes immédiates. Il faut dire que le suffrage proportionnel leur a grandement facilité la tâche face à des gouvernements dominés par des partis néo-libéralisés de centre-gauche mais qui avaient besoin de leurs appui parlementaire toujours obtenu soit à la pièce soit suite à de laborieuses ententes préalables mais toujours sans aucune participation au gouvernement du jour.
Ces deux partis, relativement nouveaux par rapport à ceux nommément sociaux-démocrates et (ex-)communistes, n’ont pas atteint leur niveau d’enracinement syndical quoique ils leur tiennent tête en ce qui concerne leur présence dans les mouvements des organisations de personnes opprimées, présence négligée par les traditionnels partis de centre-gauche. La gauche réformiste pourrait leur reprocher leur modeste poids électoral suite à une lente progression en zigzag. N’est-ce pas là plutôt le signe d’une saine dépendance vis-à-vis la mobilisation sociale que ces deux partis alimentent de leur perspective programmatique dans l’attente proactive d’un éboulement démocratique à la manière algérienne ou hongkongaise ou encore mieux social à la manière 1968 ou 1972 au Québec ?
Ce modèle à adapter à l’actuelle conjoncture québécoise invite les anticapitalistes à s’unir, au moins en coordination, au sein de Québec solidaire pour constituer un visible pôle de référence qui intervient avec des définies propositions publiques dans la vie du parti que ce soit par rapport à ses (non-)prises de position conjoncturelles, ses élaborations programmatiques, sa tactique parlementaire et électorale, ses élections internes et, last but not least, ses (non-)relations avec les mouvements sociaux, en particulier par rapport aux luttes sociales de l’heure que sont actuellement la lutte climatique et celle espérée du secteur public.
La lutte du secteur public : du pain sur la planche pour les anticapitalistes
La lutte du secteur public s’annonce comme l’urgence stratégique de la prochaine période. L’absence de Front commun doit résonner comme une alarme rouge. L’importance quasi unilatérale accordée à la question salariale est très inquiétante bien qu’elle fasse bien sûr partie de l’affaire étant donné le recul du pouvoir d’achat et le retard vis-à-vis le Canada quoique il faille se méfier de son lien univoque avec la pénurie d’embauches laquelle a plus à voir avec les conditions de travail pénibles qui épuisent et démoralisent les travailleuses de la santé, de l’enseignement et des services sociaux. Est certainement à soutenir la vision la centrale syndicale CSN, qui représente la majorité des bas-salariées, de l’augmentation absolue et non en pourcentage parce que favorisant justice sociale et unité. Il n’en reste pas moins que pour aller chercher le soutien populaire s’impose surtout la concrétisation des améliorations des conditions de travail ce qui rendrait visible et évidente l’amélioration quantitative et qualitative des services publics.
Ne faut-il pas prendre comme modèle la récente grève réussie des enseignantes de Los Angeles aux ÉU. Comme le disait sa représentante aux enseignantes ontariennes actuellement en lutte, dont des journées de grève, contre le gouvernement Ford : « En 5 ans, l’UTLA s’est transformée d’un syndicat de service axé sur les salaires et les conditions de travail de ses membres, en un mouvement de changement social et économique. »
Cette recommandation est exactement le contraire de la ligne de conduite suivie par les centrales québécoises non seulement refusant de s’organiser en Front commun mais donnant la super-priorité aux salaires même s’il est indéniable qu’un rattrapage s’impose.
Il est dramatique que la CAQ soit en train de récupérer la thématique de l’amélioration des services publics en invoquant les quelques rajouts budgétaires qui n’effacent en rien l’austérité précédente des Libéraux. Le parti, s’il s’en donne la peine, est en mesure de jouer un rôle non négligeable. Au niveau de la lutte idéologique est à promouvoir la compréhension de la lutte du secteur public comme une lutte écoféministe du «prendre soin». Au niveau organisationnel par sa nombreuse militance présente chez les syndicats du secteur public, le parti peut contribuer à bâtir un front commun à la base si son réseau intersyndical, qui existe depuis des années, prend audacieusement l’initiative particulièrement vis-à-vis le réseau intersyndical Lutte commune qui semble faire du sur place par rapport à l’organisation de la gauche syndicale. Voilà du pain sur la planche pour un regroupement anticapitaliste.
Soyons réalistes, créons cette impossible unité
Autant cette coordination s’annonce-t-elle difficile à construire, autant la crise existentielle de la civilisation s’amplifie-t-elle et que la direction du capitalisme mondial s’en balance, autant la société canadienne s’embourbe-t-elle dans le pétrole, autant celle québécoise fonce-t-elle dans le cul-de-sac du faux-laïc autonomisme identitaire, autant Québec solidaire se laisse gagner par le centrisme électoraliste, autant s’impose l’unité politique des anticapitalistes.
Il n’y a aucune raison que le rejet commun de l’écofiscalité et de l’indépendantisme identitaire/nationaliste ne débouche pas sur l’élaboration d’un projet de société assis sur une transition anticapitaliste anti-«char» et anti-extractiviste. Ce projet de société ouvre la porte d’une société éco-féministe de «prendre soin» des gens et éco-autochtone de «prendre soin» de la terre-mère qui soit la négation du chauvin Canada pétrolier et fer de lance nord-américain et même mondial de la lutte climatique menant au plein-emploi écologique. Il n’y a aucune raison que le rejet commun du verticalisme électoraliste à la mode populiste ne se mue pas en une refonte démocratique du parti. Cette refonte ferait émaner le pouvoir réel de la base, enracinée d’abord dans le mouvement et la lutte sociaux, et le concentrerait non pas dans le haut de la pyramide mais dans les congrès et conseil national et leurs comités de travail.
Ce pôle anticapitaliste à construire se développera en fonction de son articulation au développement de la lutte sociale soit en devenant hégémonique dans le parti, ce qui est une gageure dans le contexte d’un parti à cartes, soit en se transformant en parti anticapitaliste de masse dans la chaleur de la montée de la riposte.