Ukraine : Peut-on comprendre la géopolitique du conflit en quatre minutes?

Par où commencer? Est-ce que c’est fondamentalement mal pour un journaliste ou un média de vouloir essayer de résumer des situations géopolitiques aussi complexes en si peu de temps? Je ne pense pas. Même avec une bonne intention, le journaliste et le média sont prisonniers d’un système. Un système d’instantanéité. Un système où l’internaute/spectateur a un temps d’attention moyen qui tourne autour de huit secondes. (D’ailleurs vous avez sans doute déjà arrêté de lire pour regarder une Coréenne sur Tik-tok qui s’épile les sourcils avec du miel de trèfle sur une musique de Kanye West.) Ajoutons à cela la diminution du nombre de correspondants à l’étranger et le peu de place que les médias mainstream québécois consacrent aux actualités internationales en général, sous prétexte que le public ne s’y intéressera pas.

Dans un tel contexte, nous pouvons convenir qu’il est audacieux pour un média de tenter de retenir le public pendant 45 minutes dans un débat sur l’élargissement de l’OTAN en Europe de l’Est. Toutefois, il me semble impensable et irresponsable de prétendre pouvoir résumer un événement historique d’importance comme Maïdan en 12 secondes. Comment peut-on prétendre informer quelqu’un sur la situation actuelle de l’Ukraine, si on ne prend pas le temps de soulever, même en surface, les implications et ingérences américaines en 2014?

Ce mode de consommation de l’information, un feu roulant sans cesse mis à jour par de nouveaux développements, de nouveaux morts, de nouveaux acteurs, de nouvelles images, ralentit toute tentative d’une compréhension géopolitique des événements. Évidemment, la guerre étant le paroxysme de la barbarie humaine où des soldats et des civils meurent, on veut en savoir plus. Comment ça se passe sur le terrain? Qui attaque qui? Qui est le plus ordurier? Malgré tout, il faut aussi être conscient que nos affects et nos émotions sont sollicités et instrumentalisés : gagnons les cœurs, les esprits suivront.

Que l’on se comprenne bien, la réflexion qui suit n’est en aucun cas une caution de l’invasion russe de l’Ukraine ou une négation des horreurs de la guerre. On peut être sensible à la souffrance que vivent les Ukrainiens, comprendre leur volonté de défendre leur pays tout en essayant de prendre du recul pour réfléchir aux causes profondes d’un tel conflit. Le problème de ce système médiatique, c’est qu’on parlera des conséquences de la guerre, mais qu’on en simplifiera à outrance les causes. « Poutine est un fou dangereux paranoïaque assoiffé de sang qui veut étendre son empire ». Ensuite, on enchaîne sur l’histoire individuelle d’une famille : la mère a perdu ses deux filles dans un bombardement, elle pleure à l’écran et son seul fils est parti, arme à la main, défendre le quartier de son enfance, etc. Et ça produit l’effet prévu. Ça t’arrache le cœur. La peine se transforme en ressentiment contre un ennemi X, dans ce cas-ci, les Russes. Le même principe s’applique aussi avec des Vietnamiens, des Afghans, des Irakiens, des Panaméens, etc. Il faut les détester. D’autres fois, il faut simplement les libérer d’eux-mêmes ou de la tyrannie de certains de leurs leaders. Ou encore mieux, leur apporter la « civilisation ». Une chose est sûre, on ne veut pas que le public comprenne quoi que ce soit. Bienvenue dans la guerre de l’information.

D’ailleurs, d’où vient-elle cette information que consomme l’Occident à propos de l’actualité internationale? La réponse est à fois très simple et très complexe. C’est là-dedans que nous plongeons.

« On peut aisément résumer le dogme de « la presse libre occidentale » comme : « Seules les atrocités qui servent les intérêts géopolitiques et économiques de l’Occident peuvent être considérées comme de véritables atrocités et ainsi autorisées à être racontées et analysées dans nos médias de masse ». »

-André Vltchek, Exposing lies of the Empire, mars 2021

D’abord, dans toute analyse d’un discours médiatique, il serait extrêmement naïf de ne pas considérer les intérêts économiques, politiques et géopolitiques des différents médias. Encore faut-il les connaître. Les conglomérats médiatiques appartiennent en partie à des États, en partie à des multinationales qui reçoivent en plus des subsides de ces mêmes États. Il serait encore une fois naïf de ne pas se poser la question sur leur neutralité ou leur partialité vis-à-vis des intérêts de leurs propriétaires. Et je ne parle même pas du levier publicitaire comme entrave à une information libre et objective.

Par exemple, les grands conglomérats médiatiques américains, français ou espagnols seront au diapason des positions des gouvernements qui leur permettent de prospérer. Un média appartenant à Vincent Bolloré aura une couverture partiale de la situation dans un pays africain où il a d’autres intérêts économiques (énergie, infrastructure, etc.). C’est simplement logique. Bolloré est un capitaine d’industrie appliquant une logique capitaliste. Pourquoi se permettrait-il de posséder un média où une neutralité journalistique pourrait lui faire perdre des centaines de millions au Bénin, au Mali ou ailleurs?

Avant la seconde guerre d’Irak, NBC était détenue par le fabriquant d’armes General Electric, et d’habitude dans une guerre, on y vend des armes. Est-ce que ça aurait pu être financièrement logique que NBC pousse l’opinion publique américaine en faveur d’un conflit qui lui rapporterait de l’argent?

Le géant espagnol Prisa, qui possède entre autres le journal El País et une portion du journal Le Monde, a des entreprises et investissements en Amérique latine. Lorsqu’un gouvernement y court-circuite ses intérêts économiques, il est dans la plus pure logique capitaliste que Prisa tente d’influencer le retour d’un gouvernement plus favorable à ses intérêts.

Dans le conflit ukrainien, on « apprend » que les médias russes feraient de la propagande pro-russe. Oui, sans aucun doute (disons que je n’en tombe pas en bas de ma chaise). On apprend aussi que certains mots y seraient interdits : on n’a pas le droit de dire « guerre » ou « invasion ». Que font les pays membres de l’Union européenne? Ils interdisent la transmission de la chaîne russe RT sur leur territoire. Je suis Charlie? Bon, ce serait peut-être le bon moment de faire une parenthèse pour se rappeler que l’État français s’est obstiné jusqu’en 1999 à ne pas utiliser officiellement le terme « Guerre d’Algérie », lui préférant « événements d’Algérie » ou « Opération de maintien de l’ordre » (la guerre a eu lieu de 1954 à 1962). On peut aussi rappeler que le film « La bataille d’Alger », de Gillo Pontecorvo, y a été censuré jusqu’en 2004. On est Charlie quand ça nous arrange finalement. Fin de la parenthèse.

Oui, la Russie se sert de ses médias comme d’une arme pendant sa guerre. Comme tous les États le font. Si « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » pour citer Von Clausevitz, alors le mantra est simple : mensonge, mensonge, mensonge. Le but d’une guerre est de la gagner. Si un pays peut faire circuler un mensonge à l’ennemi, pour ensuite le prendre à revers, il le fera. La guerre de l’information en temps de conflit en est une composante stratégique primordiale. C’est déplorable pour l’accès à une information de qualité, mais il serait cohérent de reconnaître que ce principe ne s’applique pas qu’à la Russie. Chaque pays, chaque entreprise, chaque média défend ses intérêts. Au diable « la vérité ».

Que la chaîne RT défende les intérêts de la Russie, rien de plus normal de son point de vue. En gardant cela en tête, on peut tout de même avouer que dans les dernières années RT nous a montré un autre côté de la médaille sur certains enjeux ou événements où les médias occidentaux se montraient frileux voire totalement partiaux, protégeant leurs intérêts. Pensons par exemple à la couverture des Gilets jaunes, à la guerre en Syrie, à l’emprisonnement de Julian Assange ou à tel ou tel coup d’État en Amérique latine ou en Afrique. Évidemment, RT agissait ainsi pour ses propres intérêts et pour emmerder l’Amérique et ses satellites de l’OTAN, mais si c’est la vérité qu’on cherche, pourquoi se contenter uniquement d’une propagande américaine ou française?

Récemment, le journal Le Devoir publiait une série de conseils pour éviter « le piège de la désinformation sur les réseaux sociaux ».

 

Se fier en priorité aux informations provenant de sources médiatiques sérieuses. « Si ça vient de médias ayant des correspondants sur le terrain, c’est encore mieux ». Bon. Je comprends l’esprit. Dans une situation sérieuse comme l’Ukraine, c’est louable d’avertir les gens de ne pas se fier uniquement et sans autre vérification à une vidéo mise en ligne par un quidam sur les réseaux sociaux. Mais qu’est-ce qu’une source médiatique sérieuse? Elles sont sérieuses selon quels standards? Selon des critères déterminés par qui?

Ces médias reconnus qui ont couvert et relayé de nombreuses fois les mensonges guerriers de l’Occident peuvent-ils être considérés sérieux? L’incident du Golfe du Tonkin qui sert de prétexte à la Guerre du Vietnam, la fausse histoire des bébés arrachés de leur incubateur racontée par une pauvre infirmière qui s’est révélée être la fille de l’ambassadeur du Koweït, le tout mis en scène par une firme de communication qui visait à vendre la Guerre du Golfe au peuple américain, Colin Powell avec sa fiole de jus de pomme à l’ONU mentant sur les armes de destruction massive de l’Irak avant la seconde guerre du Golfe et combien d’autres événements du genre relayés par les médias mainstream.

« À quelques rares exceptions près – et pour la plupart bien après la besogne accomplie -, les médias se rallient au drapeau avec la piété et l’enthousiasme qui lui est dû, et propagent les histoires de la Maison Blanche, même les plus absurdes, tout en s’abstenant scrupuleusement de poser les questions évidentes, ou de voir les faits évidents »

– Noam Chomsky, Dettering democracy, 1991

Ces médias qui appartiennent aux oligarques (surprise, ce mot ne s’applique pas qu’aux Russes) anglais, américains, français ou qataris et/ou à des corporations du complexe militaro-industriel sont-ils sérieux? Si une banque ou un gigantesque fond spéculatif s’achète des parts dans un média, est-ce que ça le rend plus sérieux? Ok, j’arrête.

Généralement, on donne l’exemple du quotidien Le Monde comme un média de référence par excellence. Nous allons voir qu’il est aujourd’hui un peu moins sérieux. Juste avant, nous ferons un petit détour par une autre source « sérieuse » : les agences de presse.

Concernant l’actualité internationale, les médias d’information font affaires avec des agences de presse. Les plus grosses sont l’Agence France-Presse, Reuters et l’Associated Press. Vous remarquerez que dans nos médias écrits québécois, la majorité des nouvelles internationales sont signées soit directement par l’une de ces agences de presse, soit par un journaliste qui s’appuie sur leurs infos. Ces agences sont neutres en apparence seulement. Il s’agit simplement de regarder d’où proviennent leur financement, qui siège sur leur conseil d’administration, quels scandales ils traînent et ça nous éclaire sur leurs intérêts généraux. Il faut se demander également : où prennent-ils leurs infos? À ce sujet, le média québécois 7 jours sur terre a produit une brillante analyse que je vous invite à regarder.

On doit aussi souligner le travail essentiel que font les correspondants à étranger pour témoigner des conséquences d’un conflit armé, mais d’un autre côté, il faut rester lucide sur les limites de ce travail en temps de guerre. Le Vietnam a marqué un tournant important dans la liberté des journalistes en zone de conflit. Les pouvoirs politiques et militaires ont compris que c’était une idée plutôt moyenne que de laisser des journalistes montrer les horreurs de la guerre sans contrôle. Des histoires comme le massacre de My Lai sont sorties. C’était mauvais pour le moral du peuple. Après ça, vous êtes pris avec des manifestations pour la paix. On ne refera pas la même erreur. Alors quand Patrice Roy débarque en Afghanistan, on va l’accompagner, on va lui baliser son parcours. On va lui montrer ce qu’on veut bien. Arrange-toi avec ça.

« Offensive d’Israël à Gaza (décembre 2008). En 2006, l’offensive de Tsahal contre le Hezbollah au Liban avait été vécue comme un demi-échec, dans l’esprit de ses généraux, notamment parce que l’information n’avait pas été bien maîtrisée, et que l’opinion internationale avait vite été gagnée au sort des populations bombardées. Fin 2008, lors de l’offensive « Plomb durci » contre le Hamas, à Gaza, la solution trouvée par le gouvernement israélien consiste donc à étendre aux journalistes le blocus de Gaza pendant le conflit qui se prépare. Loin des caméras et du regard des reporters, les dramatiques conditions de vie des Palestiniens et les souffrances endurées par la population sont donc escamotées — autant que possible — aux yeux des témoins directs venus de la presse internationale. En dépit d’un arrêt de la Cour suprême israélienne, les reporters seront ainsi cantonnés en dehors de Gaza dans la zone israélienne exposée aux roquettes du Hamas, sorte de « journalistland » où les confrères tuent le temps en montrant des images d’une sorte de musée des roquettes Qassam ou en filmant à distance très respectable les lueurs des explosions qui parviennent du territoire palestinien. D’où un biais désastreux dans la couverture du conflit… »

Marie Bénilde, « Gaza, du plomb durci dans les têtes », Information 2.0, Les blogs du Diplo, février 2009

En plus, les journalistes indépendants ont encore plus de mal à couvrir les conflits qu’avant, d’abord parce qu’ils n’ont plus la structure financière nécessaire. Et même s’ils réussissent, ils ont des difficultés pour vendre leur travail. C’est ce qu’explique André Vltchek dans une réflexion magistrale sur la mort du journalisme d’enquête. (Je vous en mets quelques extraits, mais il faut lire le papier au complet).

« À un moment, la plupart des plus importants journaux et magazines, de même que les chaînes de télévision, ont arrêté de se s’appuyer sur les indépendants, les courageux et modérément fous journalistes « freelance ». Ils ont embauché à tour de bras, transformant les reporters en employés d’entreprise. Une fois que cette « transition » a été accomplie, il était extrêmement facile de présenter aux « employés » encore appelés « journalistes » comment couvrir les événements, ce qu’il fallait écrire et ce qu’il fallait taire. Souvent rien n’avait à être dit dans les détails – le personnel d’une entreprise sait intuitivement comment se tenir. Les fonds pour embaucher des auteurs, photographes ou producteurs indépendants en freelance ont été réduits drastiquement. Ou ils ont été complètement supprimés.

(…)

En pratique, couvrir des guerres, couvrir de véritables conflits coûte extrêmement cher, particulièrement s’ils sont couverts en profondeur. Il faut jongler avec des prix de billets déraisonnables sur des charters ou des vols aléatoires, avec un lourd équipement professionnel, avec les bakchichs qu’il faut payer pour aller n’importe où près des terrains d’action, avec des changements constants de plans et avec des retards. Il faut obtenir des visas et des permis. Il faut communiquer et une fois de temps en temps, il arrive qu’on soit blessé.

(…)

Franchement : aujourd’hui il est difficilement d’aller où que ce soit, à moins que vous soyez ce qu’ils appellent « embedded », aux ordres (en fait, une description très colorée mais assez correcte : vous « les » laissez vous le faire et « ils » vous laissent écrire, tant que vous écrivez ce qu’« ils » vous disent). Etre autorisé à couvrir la guerre devrait dire : suivre le courant dominant, avec une organisation puissante qui assure ses arrières, avoir les accréditations et laisser-passer requis, et se porter garant de la production finale de l’écrivain. »

Si vous êtes encore là chers lecteurs, je vous remercie. Vous êtes courageux. J’aurais aimé prendre le temps de parler un peu de la guerre en Syrie, des Casques blancs et de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, mais je manque de temps. J’ai à peine le loisir de vous rappeler que durant le conflit syrien, ces deux « ONGs » étaient les principales sources d’information sur le terrain. D’où provenait une partie de leur financement? De USAID pour les Casques blancs et de l’Union Européenne pour l’OSDH. Je ne sais même pas pourquoi je raconte ça. Désolé. On continue. Ça achève.

Je vais utiliser l’exemple du journal Le Monde pour illustrer un état de fait qui concerne la grande majorité des médias occidentaux. On observe un enchevêtrement complexe entre la sphère médiatique, les cercles de pouvoir politique et les élites économiques. Il n’est pas rare de voir un holding, un fond spéculatif ou une autre cochonnerie financière s’acheter une part dans un grand média. Si vous suivez un peu l’évolution du « qui possède quoi » dans le monde des médias, vous aurez le tournis, ça change très vite et souvent.

Le journal Le Monde est détenu par un holding financier appelé Groupe Le Monde, détenu à 72,5% par Le Monde libre, société elle-même partagée entre différents personnages très riches et l’entreprise espagnole Prisa. Parmi ces personnages fortunés, on retrouve Xavier Niel, homme d’affaires milliardaire. (On pourrait même dire oligarque? Ou on garde ça pour son beau-père, Bernard Arnault, troisième homme le plus riche du monde, magnat des médias et propriétaire de LVMH?). On retrouve aussi le plus modeste Mathieu Pigasse, banquier d’affaires et multi-millionnaire, évoluant près des cercles de pouvoir des « socialistes » français comme Dominique Strauss-Khan, Manuel Valls et Laurent Fabius entre autres. On ajoute au Monde libre Daniel Křetínský, milliardaire, homme d’affaires tchèque ayant fait fortune dans l’énergie (fossile, thermique, charbon). Mentionnons aussi qu’il a été cité dans les Panama Papers et les Paradise Papers. Quant à Prisa, c’est un énorme groupe de presse espagnol présent dans plusieurs pays et détenu par une pléthore de gens très riches et de holdings financiers à la con.

Tiens, Vincent Bolloré aussi est là. Salut Vincent.

Et le plus beau là-dedans? Le journal Le Monde reçoit année après année des subventions de l’État français. Après tout, ça semble logique. Comment les milliardaires feraient pour être milliardaires sans aide? Ce serait plate qu’ils perdent de l’argent en se greyant d’un jouet idéologique de prestige comme Le Monde. Peut-on maintenant douter de la neutralité du journal Le Monde lorsqu’il est question d’intérêts géopolitiques et économiques occidentaux? Libérons la Libye chers amis philosophes.

Donc, peut-on comprendre la géopolitique de l’Ukraine en quatre minutes? (Bien sûr que non, ça doit faire près de 20 minutes que vous êtes en train de lire ça et vous n’en savez pas plus. Par contre, vous commencez à vous douter qu’on vous raconte beaucoup de conneries.) S’intéresser et tenter de comprendre la géopolitique est une passion chronophage. Une personne pourrait se prétendre informée en s’abreuvant chaque jour grâce à 10 ou 15 sources d’information internationale différentes, mais il se peut qu’elle n’ait que plusieurs «versions » d’un même côté de la médaille. Personnellement, je prônerais plutôt 50-60-100 sources différentes, en diversifier la provenance et être conscient des intérêts de chacun. Regarder autant Forbes que RT, Al-Jazeera, France 24 ou Telesur. Suivre des médias mainstream, mais aussi des médias « alternatifs » où se retrouveront des analystes en géopolitique beaucoup plus intéressants que ceux de la chaire Raoul-Dandurand qu’on nous tartine à RDI. Évidemment, il faut tout de même se taper beaucoup de merde, mais avec le temps, on arrive à mieux flairer où se trouvent les pépites.

Sur le long terme, il faut aussi regarder des documentaires, partout où vous pourrez les trouver, mais idéalement ailleurs que sur Netflix et autres plateformes du genre. Ces géants ont leurs propres intérêts économiques et géopolitiques. Ce n’est pas un hasard si Netflix diffuse un documentaire sur l’Ukraine plutôt qu’un autre produit par Oliver Stone. (On évitera aussi les documentaires des Grands Reportages.) À ce niveau, YouTube peut être une bien meilleure source pour des documentaires. On y trouve de tout, des documentaires du style Arte, plus formatés, parfois très bons, parfois très malhonnêtes, mais on tombe aussi sur des documentaires d’auteurs ou plus indépendants. Encore là, il faut chercher et passer beaucoup d’heures sur un seul sujet. À notre époque, le balado se révèle être un format très intéressant pour s’intéresser à la géopolitique. Ça permet de prendre son temps, de réfléchir et aux animateurs de laisser parler leurs invités.

Et il faut lire. Beaucoup. Le livre est le sommet de la pyramide géopolitique. Il faut développer des connaissances en géographie, en économie, en politique, en démographie, en histoire. Il faut apprendre à connaître comment fonctionnent les organes internationaux comme le FMI, l’OMC, la Banque Mondiale, etc. Il faut comprendre le financement du monde académique, s’intéresser au rôle et au financement d’organes qui pondent des rapports qu’on nous cite dans les médias à propos de tel ou tel pays : Human Rights Watch, Freedom House, Reporters sans frontières, etc. On y retrouve souvent les mêmes acteurs qui tirent les ficelles : des fondations privées d’oligarques, le Département d’État américain, le National Endowment for Democracy, USAID. Et ce sont eux qui surveillent la liberté et la démocratie dans le monde?

Il faut décortiquer les acteurs de coups d’État « célèbres ». Pourquoi la United Fruit est impliquée dans le renversement du gouvernement au Guatemala, pourquoi British Petroleum, anciennement Anglo-Persian Oil, s’implique pour remettre le Shah au pouvoir en Iran, pourquoi l’International Telephone and Telegraph s’active contre le régime de Salvador Allende? Les coups d’État modernes ont des méthodes similaires, on a simplement perfectionné les techniques et on tient compte de nouvelles variables.

En conclusion, nous sommes Québécois et le Québec n’est pas un pays. C’est malheureux. Cependant, cela ne devrait pas nous empêcher de nous intéresser aux relations internationales et de réfléchir à la place du Québec dans le monde. Réfléchir à nos forces, à nos faiblesses, à notre position géostratégique, s’intéresser à nos ressources, à notre armée, à notre poids sur l’échiquier.

Jacques Parizeau est l’un des seuls politiciens québécois qui réfléchissaient aux relations internationales dans une optique différente de la libérale « venez piller nos ressources, on va vous donner des tarifs préférentiels sur l’énergie et les redevances sont faméliques ». Son idée des délégations québécoises à l’étranger en est un bon exemple, avant que ça devienne un outil plquiste qui récompense des amis du régime.

Regardons le Canada agir sur la scène internationale. Est-ce vraiment viable d’être la marionnette des États-Unis? Sans devenir le « Cuba du nord », ne pourrions-nous pas être autre chose? Autre chose qu’un pays qui est l’un des premiers à reconnaître des gouvernements fantoches comme celui de Pinochet après le coup d’État ou autre chose qu’un pays qui vend des armes à l’Arabie Saoudite pendant qu’elle massacre le peuple yéménite. Oups.

Prenez soin de vous et lisez des livres.

Publié le à la une, chroniques politique étrangère, Journal Le Québécois et étiqueté , , , .

5 commentaires

  1. Si une personne désir vraiment comprendre les enjeux surtout politique il faut lire ce texte. J’ai écrit des commentaires qui vont dans le même sens mais Jamais aussi bien expliqué et écrit que ce texte.

  2. Commentaire placé suite à la publication sur FB.
    Une analyse tout simplement remarquable. Combien aussi je trouve éloquente et opportune la réflexion d’André Vltchek, un grand journaliste planétaire. Et je vous incite à lire l’analyse de Jules Falardeau au complet. Je suis irrité, mais non surpris, de la couverture unilatérale que j’entends à SRC qui s’explique par le fait que le Canada abrite la 3e communauté ukrainienne. J’ai beau être solidaire dans sa souffrance, je ne peux me fermer aux analyses qui expliquent ce conflit. Il faut déplorer que l’Occident (États-Unis et OTAN) ait fait de l’Ukraine le fer de lance contre la Russie.

  3. Félicitations! Vraiment votre article va dans le sens de ce que je m’efforce de faire depuis longtemps sans pour autant maîtriser cet art comme je le voudrais! Manque de temps! Mais par la consultation de plusieurs sources, l’on arrive à des analyses des faits qui, aux yeux de nos proches nous font aujourd’hui malheureusement passer pour un « complotiste », mot utilisé aujourd’hui à toute les sauces. Si notre opinion va dans le sens contraire de l’opinion publique, nous sommes vite mis au banc du lot des débiles. Triste. Aujourd’hui, en prenant le temps de voir chaque côté de la médaille, l’on peut se rendre compte que rien de ni blanc, ni noir, et que nous, occidentaux ne sommes toujours que du bon côté de la médaille, comme les médias mainstream tentent de nous faire croire.

Comments are closed.