La radicalité obligée par la crise climatique dérange la politique électoraliste
À une semaine du dépôt du budget pré-élections de la CAQ dans une conjoncture inflationniste et de crise du logement qui s’enveniment, Québec solidaire plaide pour « doubler les prestations du crédit d’impôt pour solidarité pendant six mois […] s’engager à ne pas mettre un seul sou ni dans le troisième lien ni dans les élargissements d’autoroutes. […] finan[cer] comme du monde notre transport collectif […] investir dans notre réseau [de santé] et nous sevrer de notre dépendance au privé. » À la rentrée parlementaire, la députation réclamait pour contrer la hause du coût de la vie un « gel temporaire des loyers », l’« annulation de la hausse de tarifs d’Hydro-Québec » et la « hausse du salaire minimum à 18$ l’heure ». Dans ce qui semble une campagne parallèle sur le logement, le parti réclame « un gel des loyers pour 2022, […] un moratoire sur les rénovictions, […] taxer la spéculation immobilière, […] la construction de logements sociaux. »
Cependant, plus ou moins une semaine après avoir lancé cette dernière campagne, le parti rapplique sur la question du logement en réclamant cette fois-ci « un contrôle des loyers pour mettre fin aux hausses abusives » ce qui signifie pratiquement « de rendre contraignantes les recommandations annuelles d’augmentation de loyer […du] Tribunal administratif du logement, ce qu’on appelait anciennement la Régie du logement ». On ne sait trop si cette bifurcation est complémentaire à la campagne ou si elle la remplace. Mais passons. Remarquons tout de même que la dernière mouture est beaucoup plus molle que les revendications de la campagne. Selon le graphique projeté en avant-plan, la réduction annuelle moyenne de loyer ne serait que de 225$ par année en 2023 et de 850$ en 2026.
Un éventail de revendications tous azimuts laissant en plan la crise climatique…
Ce qui frappe à travers toutes ces annonces en rafales c’est la timidité des revendications climatiques. Pourtant, titrait La Presse ce 23 février, « Québec solidaire réclame le budget ‘’le plus vert de l’histoire du Québec’’ ». Québec solidaire s’oppose aux élargissements d’autoroutes. Fort bien. Est-ce que se taire à propos du prolongement de quatre autoroutes (19, 25, 35, 73) prévu par la loi 66 est une forme d’approbation sournoise ? Comme le Québec est en précampagne électorale, c’est le temps pour un parti de gauche de populariser ses demandes les plus audacieuses de sa plateforme électorale afin de provoquer un débat public à leur sujet pour
qu’elles puissent s’enraciner et susciter ou alimenter la mobilisation populaire sans laquelle rien n’arrive.
La plateforme électorale adoptée au congrès de novembre 2021, dans le cadre de sa cible de réduction de gaz à effet de serre (GES) ambitieuse de 55% d’ici 2030 par rapport à 1990, met en évidence deux d’entre elles concernant la question climatique soit de « réduire la tarification des transports collectifs de 50 %… » (point 10.4) et « à entamer un grand chantier de construction de 50 000 logements sociaux écoénergétiques… » (12.1). Que ce soit par lettre circulaire aux membres, par la une de site web Solidaire ou par communiqué de presse du parti, aucune de ces deux revendications phares n’a été mise en évidence.
Même la campagne sur le logement enfouit la revendication de 10 000 logements sociaux par année sur cinq ans dans le texte explicatif de sa dernière demande alors que la cause structurelle de la hausse des prix des loyers, le principal item du panier de consommation pour les locataires, s’avère être le manque d’offre de logements populaires. Le gel des loyers pour un an, un soulagement temporaire, ne résout en rien la crise et sera effacé l’année suivante par une hausse normative permise par la Régie.
… jusqu’à un sursaut de dernière minute sur fond d’une cible GES ambitieuse mais cachée, …
La réduction des tarifs de transport en commun de 50%, « dans une perspective de gratuité à plus long terme » signifiant 2030 espérons-le, est la locomotive de mobilisation populaire nécessaire pour décarboner le secteur des transports et pour l’obtention des budgets afférents pour y arriver. Cette décarbonation du transport est l’épine dorsale de tout plan de réduction des GES de 55% d’ici 2030. Cette cible ambitieuse de la plateforme, imposée par le diagnostic du GIEC-ONU, la direction Solidaire s’évertue à la cacher dans ces communiqués. Cette cachotterie
rend le parti vulnérable aux attaques de la CAQ qui elle ne se gêne pas d’en parler pour accuser Québec solidaire de vouloir hausser les impôts pour l’atteindre, critique qui laisse la députation Solidaire sans voix.
Heureusement, presque à la dernière minute, la députée responsable de la question transport a rappliqué dans un média secondaire de Québécor à propos de la réduction de 50% du transport public. Pour la dénigrer, Québécor a appelé à la rescousse l’organisation bureaucraticotechnocratique Trajectoire-Québec qui raisonne en termes comptables et non de rapport de forces politique. Le lendemain, la porte-parole du parti a lié cet enjeu au budget par l’intermédiaire du Fond vert pour le catapulter dans un média majeur (Charles Lecavalier, QS veut réduire de moitié les tarifs avec l’argent du « fonds vert », La Presse, 17/03/22). Mais l’enjeu n’apparaît toujours pas dans la panoplie de moyens de communication et de mobilisation du parti. La députation avait peut-être enfin réalisé que la gratuité du transport public constitue non seulement le fer de lance du plan de transition du parti mais qu’elle est aussi un moyen à la fois anti-inflationniste, de justice sociale et de remise sur les rails post-pandémie de l’achalandage.
…sursaut qui s’effondre face au nouvel extractivisme de l’auto solo électrique et à l’austérité
La mise en évidence de la gratuité du transport en commun est d’autant plus nécessaire que la plateforme électorale ouvre la porte à la substitution de l’extractivisme de l’auto solo à essence par l’extractivisme de l’auto solo électrique (et de son complément le REM) en se taisant à propos des généreuses subventions pour les autos électriques et en promouvant « un vaste réseau de bornes de recharge ». En annonçant « une interdiction de la vente de tout véhicule neuf à essence d’ici 2030 » mais non aussi électrique, le parti tombe de Charybde en Scylla
perpétuant l’énergivore étalement urbain et renouvelant la polluante consommation de masse.
Une société pro-climat se doit de « dépasser le capitalisme » comme l’affirme le programme du parti car elle ne saurait être basée sur la croissance mais plutôt sur la notion écoféministe et éco-autochtone de « prendre soin » des gens et de la terre-mère ce qui malheureusement ne semble pas être compris par le parti. La proposition d’« investir dans notre réseau [de santé] » ouvre une petite porte mais se démarque à peine de la CAQ et pas du tout des autres partis d’opposition à moins de préciser l’ampleur de ce réinvestissement et pas seulement dans la santé. La plateforme parle plutôt de « lancer un programme massif d’embauches et de formation dans les secteur public, social et communautaire » (5.1) ce qui se démarque davantage.
Un parti qui abandonne la radicalité à la droite extrême aujourd’hui et aux guerres demain
Mais pourquoi envoyer sous le tapis la résolution du Conseil national de septembre 2020 d’« embauch[er] 250 000 personnes dans le secteur public [et] renfor[cer] l’action communautaire autonome » ou au moins retenir le 100 000 emplois de la proposition de la direction du parti au début de 2021 (Caroline Plante, Presse canadienne, Québec solidaire présente un plan de sortie de crise de 8,7 milliards $, 23/02/21) ? L’épisode marquant du « convoi de la liberté » et le montée concomitante du réactionnaire parti Conservateur du Québec qui fait part égale dans les sondages avec Québec solidaire ont clairement démontré qu’est survenue l’heure de la radicalité politique.
La grande crise mondiale de la civilisation carburant à l’exacerbation des contradictions capitalistes engendre une polarisation sociale et politique menant à l’antichambre des guerres civiles et impérialistes. La droite s’inscrit dans ce courant qu’elle envenime. Il revient à la gauche d’aller à contre-courant en se mettant en marche pour vaincre la domination du capital. Mais il semble que Québec solidaire chemine cahin-caha et va-comme-je-te-pousse dans une ambiance électoraliste zen ignorant tant la montée de la droite extrême que la guerre qui cognent à la porte. Pour la députation Solidaire, c’est ni vu ni connu.