Le retour de la Charte

Le Parti Québécois semble trop souvent ne pas apprendre de ses erreurs. En tant que gouvernement minoritaire faisant face à une opposition officielle collée sur les allophones et anglophones du Québec qui la combattrait avec véhémence, il était clair que la première mouture de la Charte des valeurs de Bernard Drainville était destinée à mourir au feuilleton. Et que cela ébranlerait la stabilité du fragile gouvernement péquiste, voire pire (et c’est le pire qu’on a eu). Mais la défaite électorale du printemps dernier n’a pas semblé suffisamment riche d’enseignement pour tous ceux-là puisque Drainville, le candidat à la chefferie du PQ qui en est le géniteur, récidive en nous présentant, ces jours-ci, son nouveau rejeton: une nouvelle charte toute neuve!

J’étais contre la première version de la charte pour toutes sortes de raisons. Tout d’abord parce qu’elle ménageait les susceptibilités de certains groupes religieux et non celles des autres. Tant qu’à faire le ménage, il fallait passer le balai dans toutes les confessions. Et remettre tous les prieux à leur place. Ce qui impliquait le crucifix ostentatoire de l’Assemblée nationale, et les claque-merde à la Jean Tremblay.

Mais surtout parce qu’il était clair, à mes yeux, qu’on posait là nous-mêmes de nouvelles embûches – comme si on en manquait – sur le chemin devant nous mener à l’indépendance. Jouer dans les dossiers identitaires, comme le PQ l’a fait avec la charte, c’est toujours délicat et périlleux. Ça braque toujours des gens les uns contre les autres. Ce fut le cas en 2000 alors que le PQ de Lucien Bouchard pilotait le dossier des fusions municipales (nécessaires qu’elles étaient au vu de l’administration publique, il est vrai). Les identités municipales se sont alors exprimées durement et sévèrement. Participant de ce fait à la chute du régime péquiste et à l’arrivée au pouvoir des félons disciples de Jean Charest en 2003. On était bien avancés! Tant qu’à jouer dans l’identitaire, on aurait alors dû le faire pour les bonnes raisons: pour le pays, en repoussant la fusionnite municipale à l’après victoire du Oui.

Dans le cas de la charte, les sensibilités identitaires ainsi remuées ont amené les communautés culturelles à se détourner encore davantage du projet de pays défendu, trop souvent du bout des lèvres il est vrai, par le PQ. Gérald Godin et Louise Harel, pour ne nommer que ceux-là parmi tant d’autres, ont travaillé d’arrache-pied, des années durant, pour convaincre les allophones et autres immigrants qu’ils ne devaient pas craindre l’indépendance du Québec. Leurs résultats étaient certes mitigés. Mais ils établissaient au moins le dialogue entre le navire amiral du mouvement indépendantiste et les communautés culturelles. Dialogue qui est nécessaire pour faire le pays car celui-ci ne pourra venir au monde sans considérer celles-ci. Avec le projet de charte de Drainville, ce sont de ces ponts qui ont été coupés. Cette charte a alimenté, comme aucun autre dossier depuis bien des années ne l’avait fait, la suspicion des immigrants à l’égard de ce que nous sommes, nous les indépendantistes. Ce qui nous compliquera la tâche lors d’un prochain rendez-vous avec l’Histoire. C’est évident.

J’en ai eu une preuve très concrète lors de la campagne que j’ai menée l’an dernier dans le comté de Viau, un secteur très multiculturel de Montréal. Portant les couleurs d’Option nationale, j’ai fait du porte-à-porte à tous les jours, durant des semaines. J’ai rencontré beaucoup d’immigrants. Et la charte les confortait indubitablement dans leur frilosité à l’égard de notre projet de libération. Le cas le plus patent, celui dont je me souviendrai longtemps, est survenu lorsque j’ai rencontré les porte-parole du Congrès maghrébin. Parmi ceux-ci figurait un Algérien arrivé au Québec dans la foulée du vol référendaire de 1995. Il m’a dit qu’il avait alors décidé de ne pas se positionner par rapport à l’indépendance du Québec, pas avant d’en apprendre davantage sur le sujet. Sage décision qu’on aimerait voir partager par l’ensemble des immigrants. Il a par la suite poursuivi son récit en m’expliquant que ce qui l’avait convaincu du bien-fondé de l’indépendance, c’était l’oeuvre de Pierre Falardeau. Falardeau qui parlait de Palestine très souvent. Ce même Algérien ne comprenait pas le changement de cap drastique effectué par le mouvement indépendantiste qui partait maintenant, la charte sous le bras, à la chasse aux musulmans. À tort ou à raison, c’était comme ça qu’il interprétait la chose. Et moi, au lieu de parler d’indépendance avec lui, j’ai dû parler de religion, tout en déboulonnant son discours à l’effet que le PQ était raciste. La charte m’a alors imposé de me détourner du thème de la liberté qui m’avait poussé à faire campagne. Et la nouvelle charte de Drainville en fera tout autant, si elle atteint un certain rayonnement, pour les prochains qui emprunteront eux aussi des sentiers de nature électorale.

Maintenant, Bernard Drainville veut se faire rassurant. Il dit avoir modifié son projet afin de rendre sa nouvelle charte plus rassembleuse. Quand on y regarde de plus près, on constate qu’il ne s’agit que de quelques modifications plutôt secondaires, comme de soustraire les cégeps, les universités et les municipalités à sa charte, ou d’imposer une clause grand-père qui permettrait aux employés plus anciens où s’appliquerait sa charte de garder leur foulard et autres turbans alors que les nouveaux engagés ne le pourraient pas. L’impact serait toutefois le même: braquer des communautés contre le PQ, donner des munitions aux fourbes libéraux qui se feront un malin plaisir à faire passer le PQ pour un parti raciste, et ce, tout en compliquant drôlement notre lutte pour un pays.

Je suis pour la laïcité mur à mur. Je suis contre le fait que l’État négocie un quelconque accommodement raisonnable ou déraisonnable. Je déteste les religions. Je ne veux rien savoir de l’islam radical (que ne combattrait en rien une telle charte soi-dit en passant). Mais un moment donné, peut-on se concentrer sur l’essentiel? Pour le bien du Québec, il urge beaucoup plus de lui donner un statut de pays que d’empêcher les signes religieux ostentatoires de se trémousser sur la place publique. Et ne me sortez pas qu’il est possible de marcher et de mâcher de la gomme en même temps. Cette fois-ci, c’est faux. Le dossier de la charte nuit au projet de pays. D’ailleurs, l’auteur de la célèbre formule de la marche et de la gomme, Parizeau lui-même, avait adopté sensiblement la même position que la mienne eu égard à la charte par les mois passés.

Alors quoi?  Hé bien que le PQ imite donc le Bloc en renouant enfin avec sa raison d’être. Ça va être pas mal plus constructif et noble.

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9 commentaires

    • Je crois que vous avez tort. Dans un récent sondage 68% des Québécois veulent une action en ce domaine. Et puis sincèrement est-ce la charte qui fait que depuis que le Parti Québécois existe (idem pour OP ) les allophones votent presque systématiquement pour les libéraux. Non. Un grand nombre d’entre eux et d’entre elles tout particulièrement appuyait la charte et cela aurait pu les amener à notre cause. Faut pas tout confondre svp.

      • Salut Serge!

        Je demeure vraiment pas convaincu qu’une charte aurait attiré des votes vers ce parti. La prochaine fois, tu viendras faire des centaines d’heures de terrain dans un comté multiculturel. Tu vas constater l’impact direct, et non celui prétendument diffusé par un simple sondage dont les résultats n’ont plus rien de scientifiques soit-dit en passant.

        Je dis par contre que c’était une façon, pour le PQ, de miser sur le non essentiel et de prêter le flanc à des attaques faciles qui nous détournent de notre objectif fondamental. Personne n’a voulu jusqu’ici agir afin de corriger la situation médiatique. On doit donc composer avec son impact et adopter des stratégies qui évitent de nous embourber trop profondément dans des dossiers artificiels.

  1. Je suis plutôt d’accord avec les effets de la Charte de la laïcité sur le vote des minorités en général. Mais, d’un autre côté, cela a permis à des minorités pour la laïcité d’appuyer la Charte et le P.Q. et l’indépendance du même coup. Je pense au groupe kabyle. Il y a probablement plus de gens des minorités qui nous appuient en silence. Il se pourrait bien que l’effet sur le vote soit nul. De plus, je suis convaincu que tant qu’on ne se tiendra pas debout, on nous écrasera et on ne percevra pas notre projet comme crédible ou respectable. La Charte est une façon de nous affirmer et de séparer les peureux des courageux. Je crois que notre plus gros problème est l’ignorance de beaucoup de gens et le fait qu’ils ne soient pas suffisamment politisés. Ils ne savent pas comment voter de façon cohérente en fonction d’objectif trop souvent ignoré et détourné. Si les gens savaient réellement que la souveraineté est nécessaire, ils penseraient différemment. Un bel exemple est le péage sur le pont Champlain. Lorsque le Fédéral a lancé l’idée, une majorité des gens étaient pour dans les sondages ainsi que plusieurs de nos élus. Lorsqu’ils ont réalisé que c’était une façon pour que le Fédéral échappe à ses responsabilités en nous faisant payer le pont, ils sont maintenant contre le péage. Il y a d’autres exemples, comme voter pour le NPD, la CAQ, etc.. Vivement une Charte et vive le Québec libre!

  2. L’aventure de la charte a prouvée une chose, c’est que nous sommes incapable de discuter avec recul de manière froide de ce que seraient les conséquences de nouvelles lois qui orienteraient le Québec d’un sens ou de l’autre…Alors imaginez devenir un pays..Oublie ça. Trop émotif, incapable de faire de la théorie. Et fout moi la paix avec la laicité, même si nous jouons aux athés. C’est stupide de nier le fond catholique qui nous caractérise. Rejeter le catholicisme a des conséquences bien présentes dans notre société. Il faut en tenir compte. J’me torche avec, ton trip  » page blanche  ». Il faut apprendre de notre histoire. Faut s’en souvenir de la prière 7 fois par jours, à genoux devant la radio. C’est pour ça le crucifix à l’assemblée. Et c’est quoi ton affaire de blâmer les hommes politiques pour prendre des risques? C’est à cause de Bouchard qui a pris un risque que nous avons subis 9 ans de Charest??? NON, Patrick, c’est à cause que Charest a été réélu. Et que les militants ont été incapable de convaincre la population par manque de vision, de stratégie et d’organisation de ne pas voter Charest. Et oui, là il y a blâme à porter sur des gens et c’est les militants eux-même. Et le fait de se faire accoller l’étiquette de raciste xénophobe ne provient pas de prendre des risques pour créer un dialogue. Cela provient de la propagande de nos adversaires que nous sommes très malhabile à contrer et depuis 20 ans. C’est pas le temps qui nous a manqué pour faire une riposte à ces conneries. Ton ami algérien est surtout la preuve de l’émotivité du sujet et du manque d’habileté à dialoguer froidement de ces questions. Ce qui me dépasse dans ton argument, c’est qu’au lieu de dire que l’histoire de la charte n’est qu’un entraînement à débattre d’orientation pour le Québec. Et que si nous avons peur de compliquer les choses en parlant de charte. Qu’est-ce qui te dis que nous n’irons pas nous cacher dans nos maisons en pleurant lorsqu’il sera temps de parler de libération du peuple québecois? Pourquoi avoir peur de compliquer les choses. Allons-y gaiement et soyons les initiateurs du rythme. C’est comme si tu disais que les deux référendums étaient un mauvais risque à prendre, car nous les avons perdus. Soyons courageux, perdons-en un troisième et un quatrième. Perdons-en des élections. Cessons d’éviter le moindre pépin par rapport à nos convictions pour être certain de gagner. Au final, ton truc, c’est la même chose que Marois qui n’ose pas parler d’indépendance au cas ou le PQ perdrait des appuis. T’es dans le champ solide avec cet article. Pas d’accord pentoute.

  3. Le retour dans le débat public de la charte de laïcité cette semaine a toutes les apparences encore une fois d’un débat mal parti, reflétant le décochage opportuniste de flèches à droite et à gauche, sans aucune perspective et encore moins de plan d’ensemble en ce qui concerne le rétablissement du bien public. Il démontre que les longs mois que s’accorde le PQ pour se trouver un chef se révèlent inutiles dans la mesure où ces mois, idéalement réservés à la réflexion sur le fond, n’ont pas permis de rehausser qualitativement le débat.

    Pour discuter du re-débat sur la laïcité et ses contours, je vais prendre pour point de départ le premier paragraphe de l’éditorial de Vigile sur le sujet, paru cette semaine, que je cite in extenso. On aura intérêt à lire l’édito au complet pour se faire son propre jugement.

    «La remise à l’agenda politique du projet de Charte de la laïcité par Bernard Drainville est un geste citoyen on ne peut plus pertinent et à-propos à l’heure où de méprisables assassins ont visé le cœur d’un grand principe de nos sociétés démocratiques, celui de la liberté d’expression. Cette charte ne sera évidemment pas la potion magique qui mettra un terme à l’islam politique, mais elle aura au moins le mérite de tracer noir sur blanc les valeurs citoyennes qui animent le Québec.»

    Commettre une erreur une fois c’est triste, mais la commettre deux fois c’est une farce. Nos chefs de file souverainistes devraient comprendre après ce que nous avons vécu sous la gouvernance de Pauline Marois qu’il faut faire sortir impérativement la revendication de la laïcité de l’État de son cadre provincial. Il faut également la faire sortir de son cadre qui a toutes les apparences de ne viser que les musulmans pour étendre cette volonté dans une revendication plus englobante qui sort le Québec du Canada. Si cela n’est pas fait, à quoi bon demander le renversement du gouvernement Couillard?

    Voici comment, selon moi il faut de toute urgence élargir la question.

    Même si son portrait nous est imposé tout le temps quand nos mains sortent de nos poches de quoi payer ou qu’on achète des timbres postes, comment la reine Élizabeth II, figure omniprésente de notre quotidien colonial, qui se trouve être aussi chef de l’église anglicane, peut-elle être tenue dans notre inconscient passif par des souverainistes, comme s’il s’agissait d’un non sujet? Ne sommes-nous pas là dans le déni d’un anglicanisme politique au sommet de l’État qui est bien réel? Ce poids politique de l’anglo-protestantisme WASP, n’a-t-il pas un poids politique peu légitime chez nous qui passe bien avant un islam politique qui, pour être aussi réel, est une menace largement sur estimée, pas encore matérialisée dans le pouvoir de l’État et ses institutions sauf peut-être de façon anecdotique. La limitation de l’immigration en viendra facilement à bout et c’est tout ce dont nous avons besoin.

    Mais puisque, nous dit-on, il faut «mettre un terme» à l’islam politique, ce qui est la deuxième partie du plan annoncé en éditorial, il ne faudrait pas continuer d’ignorer l’influence du judaïsme politique au sein de l’appareil d’État, et c’est là que le bât blesse. Car s’il n’y a pas de conséquence et de mauvaise conscience à insulter la pudeur des musulmans, ceux que l’on dit redouter le plus ne sont pas nécessairement ceux à qui l’on pense! En effet, ce n’est tout de même pas l’islam politique qui a réussi à mobiliser la presque totalité de l’Assemblée nationale pour condamner un citoyen bien connu, M. Yves Michaud, qui avait eu l’outrecuidance de poser une question apparemment interdite, perçue comme trop tendantieuse? Où est la liberté de parole au Québec ? Il faudra donc avoir le courage de remettre à plat tous les pouvoirs politico-religieux au sein de l’État. Mais le Québec en est-il prêt? En est-il prêt compte tenu de sa fixation infantile sur l’islam, qu’il magnifie, et de sa négation du pouvoir judaïque sur lesquels trône la Reine des Anglicans chez-nous? Ce n’est donc pas une charte de la laïcité qu’il nous faut mais un véritable changement de régime, dans le bon sens du terme.

    Bref, ma modeste opinion est que l’éditorial sur la laïcité, comme trop d’autres opinions émises hâtivement sur la question, se cantonne dans une approche conformiste et politicienne à courte vue qui ne rend pas du tout compte de la réalité objective des forces en présence. L’insistance de l’édito de Vigile sur Charlie hebdo, «convoqué» pour faire la promotion de la laïcité de l’État du Québec m’apparaît d’ailleurs comme un rapprochement déplacé dans ce cas, compte tenu du fait qu’il est impossible de tenir ce magazine controversé pour modèle d’équité. Il fessait particulièrement dur à l’endroit des musulmans avec lesquels il recherchait la provocation plutôt que le dialogue. Il était acerbe envers les catholiques et plutôt sympathique avec les juifs. Ce qui était tout à fait son droit. Et de ça tout le monde en conviendra, tout en remarquant le biais. Mais de là à congédier brutalement le très populaire dessinateur Siné pour avoir écrit une satire qui visait la communauté juive, une des rares piques sur les juifs parues dans le journal, il y a une marge. Et cette marge laisse une grosse tache sur l’indépendance d’esprit des chefs de file de Charlie hebdo. Il faut le rappeler systématiquement pour faire justice aux faits. Il faudrait donc prendre garde de ne pas faire de cette feuille de choux le parangon a posteriori de la liberté d’expression, même si on ne peut que réprouver avec horreur le crime qui en a décimé l’équipe de direction.

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