Les pièces de bronze qui ont été volées ce mois d’août dernier à St-Charles ainsi qu’à Beloeil (et trois ans plus tôt à St-Denis) l’ont été, de toute évidence, dans le but d’être fourguées chez le ferrailleur. Comme si on pouvait, à l’instar du PLQ, envoyer l’histoire se faire refondre à la scrap. Installés en honneur aux Patriotes qui se sont battus pour la nation au début du 19ème siècle, bataille qui a culminé en affrontements armés en 1837-38 suivis d’arrestations, d’exils et d’exécutions, ces bronzes représentaient la mémoire d’un peuple pour ses héros.
En effet, le courage de ces hommes et de ces femmes qui ont confronté l’empire pour la défense de leur patrie est maintenant légendaire. Tous les Québécois d’aujourd’hui devraient leur être reconnaissants, devraient prendre la mesure de l’abnégation dont ils ont fait preuve et s’en inspirer. Mais pour ce faire, encore faudrait-il tout au moins connaître l’histoire. Est-ce que le voleur des bronzes la connaissait? Permettez-moi d’en douter. Je refuse de penser que quelqu’un qui sait ce que le combat des Patriotes représente ait choisi de dérober des monuments érigés en leur honneur. J’ose à peine évoquer la possibilité que l’on puisse cracher à ce point, en toute connaissance de cause, sur ses propres héros nationaux. J’ai beau tenté de relativiser, chaque fois que ces vols viennent hanter mes réflexions, j’imagine toujours les 92 résolutions du Parti Patriote éparpillées dans une montagne de limaille ferreuse, le cadavre du docteur Chénier dans une vieille baignoire en fonte émaillée, la plume et l’encrier de De Lorimier dans un amoncellement désordonné d’éviers en acier inoxydable, des articles et des discours de Ludger Duvernay perdus dans un tas de tuyaux de cuivres tordus et je pleure. Et j’enrage.
C’est ici que je m’adresse à toi, voleur. Toi qui ne lis sûrement pas ton journal local, désintéressé par les choses qui te concernent. Toi qui peut-être, comme un Québécois sur deux, n’arrive pas à déchiffrer une simple lettre ouverte, étant analphabète fonctionnel (quelle expression hideuse!). Toi qui n’a assurément aucune idée de qui sont les frères Nelson. Toi qui, vraisemblablement, ne se doute pas de ce que peut évoquer l’Australie, les Bermudes ou même le Vermont pour les Bousquet, les Gauvin et les Perrault de notre coin de pays. Toi qui n’est probablement même pas conscient de ton ignorance.
Je veux te dire que je ne t’en veux pas d’être délinquant. En fait, si tu avais volé une des multinationales étrangères qui pullulent chez nous, je te pardonnerais tout de go, conscient que la modernité nord-américaine dans un modèle néolibéral peut facilement en pousser certains vers la criminalité. Mais un simple vol, qui après tout n’est qu’un délit mineur, devient carrément un acte de traîtrise envers la patrie quand il prend la forme de ceux que tu as osé commettre.
Ce que je tente de te dire vraiment, c’est que ce n’est pas ton geste qui me révolte. C’est ce que ton geste représente. Là où certains ne voient qu’un banal méfait, je vois un crime contre la nation. Je vois l’Abandon de l’Histoire. Et de ce crime, tu es loin d’être le seul coupable, car nous sommes tous responsables de notre mémoire collective. Mais j’ai bien peur que nous soyons, au vu et au su d’une majorité qui malheureusement s’en contrefiche, en train de nous faire avaler par le gouffre de l’oubli.