Enbridge rit des Québécois

Mercredi soir, en catimini, et dans le dos des principaux concernés, l’Office national de l’énergie a autorisé la pipelinière Enbridge à inverser le flux de sa ligne 9B.  Dans les faits, cela signifie qu’un tuyau aussi vieux que Matusalem servira à diriger quelque 300 000 barils de pétrole bitumineux de l’Ouest vers les raffineries de l’Est de Montréal.  Il traversera tous les cours d’eau se trouvant sur sa route.  Risquant de ce fait de les polluer durablement.

Ça fait des années que les Albertains espèrent sortir leur pétrole par l’Est.  Stephen Harper, leur allié, a tout fait pour que la chose soit possible.  Il l’a fait, entre autres choses, en affaiblissant les protections environnementales par l’adoption de la loi mammouth C-38.  Cette dernière modifiait le mandat de l’Office de l’énergie, créature fédérale.  Il n’était dès lors plus obligatoire de considérer toute augmentation d’émissions de gaz à effet de serre dans l’évaluation du projet d’inversion 9B.  Le public n’était plus tenu d’être consulté sérieusement non plus.  Partant de là, tout était en place pour que le projet soit accepté.

Malgré tous les stratagèmes destinés à forcer le jeu et permettre l’autorisation du projet d’Enbridge, il fallait tout de même donner l’impression aux gens que le projet était sécuritaire.  Les maîtres des show de boucane pétroliers se sont par conséquent risqués à demander à Enbridge de prouver que le tuyau vieux de 40 ans tiendrait le coup encore un peu, serait capable de supporter la hausse de pression qu’on lui ferait subir en acheminant tout ce pétrole vers l’Est.  Enbridge n’a fait ni eux ni deux et a effectué des tests hydrostatiques sur son vieux pipeline, de façon à repérer les fuites.  La compagnie l’a fait à la va-vite, en bâclant les tests, bien sûr.  En injectant de l’eau sous une pression bien inférieure à la pression exercée par le passage du pétrole, par exemple.  Elle s’assurait ainsi d’obtenir les résultats qui devaient faire son affaire.  Et les « autorités » ont accepté ça.  Elles ont accepté le projet d’Enbridge sans que la compagnie n’ait même besoin de présenter un plan d’urgence en cas d’accident.  Surréaliste!

Mais ce qui est pire, c’est que c’est Enbridge elle-même qui a effectué les tests.  Et pas un organisme indépendant comme on serait en droit de s’attendre.  Dans ce contexte, que les résultats présentés à l’ONÉ, par Enbridge elle-même (retenez-vous de ne point pouffer de rire), aient été positifs, est-ce qu’il y a vraiment quelqu’un pour s’en étonner?  Est-ce que quelqu’un aurait vraiment pu croire qu’Enbridge se serait elle-même tiré dans le pied en disant: « ouin, ben vous savez, nos tests disent que le tuyau est magané.  Mais donnez-nous quand même le mandat d’inverser le flux, ça va le faire, y’aura pas de problème ».  Franchement!

D’autant qu’en bon contexte colonial que nous sommes, Enbridge a concenté l’essentiel de ses énergies à tester le tuyau du côté ontarien.  Négligeant de le faire sur l’essentiel de la portion québécoise (est-ce parce que cette portion est plus maganée?, bonne question).  Comme si une catastrophe pétant dans la face des gens de Brockville, ce serait pire qu’un déversement dans le fleuve à la hauteur de Mirabel, là où s’abreuvent environ deux millions de Québécois!  Comme si un déversement à Toronto, ça serait pire que l’explosion du pipeline dans la cour du Centre de la petite enfance Gamin et Gamine de Terrebonne, là où passe le pipeline (et c’est la vérité vraie, sans aucune exagération) !

Il est vrai que les Québécois n’en sont pas au premier affront sur le terrain des pipelines.  Une étude de la firme Savaria Experts-Conseils a établi que les municipalités québécoises ne toucheront que 5200$ en revenus fonciers par kilomètre de pipeline planté dans leurs terrains par Trans-Canada contre 10 000$ par kilomètre de pipeline pour les municipalités du Canada.

Mais tout ce dossier ne concerne pas seulement l’argent qu’on pourrait faire de façon plus efficace si des modifications étaient apportées au projet.  Ce dernier concerne d’abord et avant tout la sécurité des gens qui vivent près du pipeline et la protection de l’environnement dans lequel ils vivent.  Il faut savoir qu’Enbridge n’a pas une réputation exemplaire en matière de sécurité.  De 1999 à 2010, les tuyaux d’Enbridge ont répandu (par négligence?) plus de 161 000 barils de pétrole sale dans l’environnement lors de 804 accidents officiels.  Rien de moins.  Cela donne une moyenne de tout près de 80 accidents par année.  Et c’est à cette compagnie que l’ONÉ a donné le feu vert pour jouer avec l’avenir du fleuve Saint-Laurent!

Bien sûr, Enbridge se défend en disant que le pipeline pourra être fermé si un accident survenait.  On nous dit qu’il pourrait même être fermé aussi rapidement que 13 minutes après avoir éclaté.  Ça semble de fait efficace parce que tout de même rapide!  Suffisamment en tout cas pour rassurer notre bon vieux casseux de dalles de béton de Montréal, le Denis-premier lui-même.  Mais quand on s’y arrête quelques instants et que l’on réfléchit à ce que signifie un « répandage » de pétrole dans le fleuve durant 13 minutes, on découvre que ça implique environ 430 000 litres de pétrole répandu en plein à côté des prises d’eau potable des Montréalais, des Lavallois.  Mais Coderre nous a dit être content de mesures prises par Enbridge pour assurer la sécurité du projet par l’entremise des tests présentés ci-haut, ce même Coderre qui vient d’autoriser le garochage de 8 milliards litres d’eau pleine de merde dans le Saint-Laurent pour cause de travaux publics à Montréal, alors on ne doit surtout pas s’inquiéter. Alors êtes-vous rassurés, mes chers?!  En tout cas, pas moi.  Pas le moins du monde.

Que les Albertains et les Canadiens cherchent à tout prix à sortir leur pétrole vers les marchés internationaux en passant par l’Est, même si les prix du baril de pétrole sont tellement bas actuellement que l’opération ne pourra être véritablement rentable, c’est une chose.  Mais que les Québécois acceptent de jouer dans cette mauvaise pièce de théâtre, c’en est une autre.  Nous n’avons aucun intérêt à accepter les projets des pétrolières de l’Ouest.  Contre des miettes faudrait être complètement caves d’assumer tous ces risques environnementaux énormes!

Le Bloc Québécois a bien compris que cet enjeu en était un de taille.  Que si le Québec était libre, il n’aurait pas à subir les projets d’apprentis sorciers de sire Harper pis de sa gang de pollueurs.  C’est pour ça que ce dossier se retrouve au coeur des communications de la formation souverainiste agissant sur la scène fédérale.  Ne serait-ce que pour cela, il faudrait que les Québécois votent massivement pour le Bloc, seul parti sérieusement sérieux à ce chapitre.

En tout cas, moi, je vais voter pour le Bloc en pensant aux sales tuyaux que les Canadiens veulent installer dans mon fleuve, menaçant de saccager de ce fait l’un des plus beaux cours d’eau de la planète.  Je vais le faire en espérant que ça servira au moins un peu à quelque chose.

 

Posted in chroniques environnement, Journal Le Québécois.

4 commentaires

  1. Super bon article. Merci M. Bourgeois. Moi aussi je vote Bloc, et j’espère que votre article va en réveiller plus d’un. À mon avis, ce projet se ferait, mais à plus de frais en en construisant un nouveau (pipeline), ça aurait créé de l’emploi et aurait été plus sécuritaire…mais non, bande de nazes….ou niaiseux comme on dit icit.

  2. Déplorable et lamentable pays dont nous sommes encore soumis, et les larbins au pouvoir de dire encore et toujours : vous êtes trop petits, restez assis, on vous laissera peut-être des miettes, les carpettes!
    D’aucuns qui prétendent qu’on vit en démocratie, eux qui prêtent allégeance à la monarchie saigneuse de peuples à travers le monde et l’Histoire.
    D’autres qui affirment avec gravité que nous n’aurions pas les moyens de nous émanciper de leur joug, alors que ce sont sont ces salauds qui dépendent de notre soumission pour rester bien en place…
    Faut-tu être demeuré pour vouloir demeurer dans ce pays, coûte que coûte, peu importe l’affront!

Comments are closed.