Consensus ou confrontation, l’avenir du mouvement écologiste

Quand Le pacte pour la transition a été lancé, j’ai éprouvé un mélange d’enthousiasme et de scepticisme en le signant. Enthousiasme vis-à-vis d’une initiative qui mettrait l’environnement à l’agenda et qui semblait aller un peu au-delà du simple horizon du geste individuel. Enthousiasme aussi à l’égard des artistes qui se mouillent à faire la promotion d’une cause importante. Mais, j’éprouvais un scepticisme qui s’est peu à peu transformé en certitude qu’il y avait un problème avec la stratégie choisie par la frange majoritaire du mouvement écologiste. Cette erreur consiste à miser sur le consensus plutôt que sur le conflit, à vouloir affirmer l’intérêt d’un «Nous» abstrait sans aborder de face la question du «Eux», de l’adversaire qui existe bel et bien et qui est en train de gagner.

Le moment clé du passage du scepticisme à la certitude s’est produit pour moi lors de la marche pour le climat du 10 novembre à Montréal. Alors qu’une foule gigantesque de plusieurs dizaines de milliers de personnes prenait la rue, la plupart des discours offerts en fin de trajets étaient décevants. À quoi avons-nous eu droit? À un discours invitant une foule de plus de 50000 personnes à acheter bio, éthique et local, à des discours d’enfants disant de faire attention à la planète, des invitations multiples destinées autant à la population, qu’aux entreprises et aux personnalités politiques à faire plus pour le climat. Bien sûr, Dominic Champagne a tenu à faire un mot vaguement critique qui visait «tous» les partis où il était question de l’hypocrisie des «politiciens qui couchent avec les pétrolières» sans donner de noms ou sans préciser quoi que ce soit. Qu’on se le dise, rien de tout cela n’a empêché l’élite économique et politique de dormir cette nuit-là. Mieux, des députées, des députés et des ministres de l’actuel gouvernement et du précédent étaient sur place et se sont fait chaleureusement remercier pour leur présence.

Le problème, c’est que quelques semaines plus tôt le gouvernement au pouvoir avait expliqué qu’il ne voulait pas contribuer au développement d’une nouvelle ligne de métro, mais qu’il souhaitait par contre aller de l’avant avec le 3e lien entre Lévis et Québec. Autrement dit, c’est l’inverse de ce qui était demandé par les militants et les militantes écologistes qui était dans les plans du gouvernement, mais cela n’a pas empêché la députation ni les ministres du parti au pouvoir de se joindre au cortège et de recevoir des remerciements. De nombreux textes en ligne pointent par ailleurs et à juste titre que de nombreuses personnalités richissimes ayant signé ledit pacte sont également empêtrées dans de lourdes contradictions.

Ce qui me frappe le plus dans l’approche stratégique sur laquelle mise une grande partie du mouvement écologiste est qu’elle néglige une lecture politique de la situation et que, par le fait même, elle n’en tire pas les conclusions pourtant évidentes. La principale est celle-ci:  il existe un groupe de personnes qui n’a justement pas intérêt à ce qu’une telle transition ait lieu et qui fera tout en son pouvoir pour bloquer les avancés du mouvement. Ce groupe n’est pas simplement naïf ou passif, il est activement engagé dans la poursuite de ses propres intérêts qui impliquent un minimum de restrictions environnementales. Or, actuellement c’est lui qui gagne la partie.

Avoir une lecture politique suppose de voir les conflits qui existent au sein d’une société et le rapport de forces des groupes qui s’opposent. Cela signifie également d’être capable d’opter pour des stratégies qui ne font souvent pas consensus, mais qui permettent de peser concrètement sur le rapport de force pour changer un état de fait. En adoptant une posture consensuelle visant à ratisser très large sans nommer l’adversaire, le mouvement écologiste se magasine un échec et il le trouvera à rabais si l’on considère la puissance des individus et des entreprises qui ont intérêt à faire dérailler le projet. La victoire du mouvement passe par la définition d’un adversaire et par la mise en place d’une véritable stratégie de confrontation visant à infléchir le rapport de force. Qu’un, deux ou trois millions personnes soient signataires du pacte, cela ne changera pas grand-chose. Il faut frapper là où ça fait mal et ne pas avoir peur de pointer du doigt les véritables responsables. La crise environnementale qui vient a le potentiel de faire des dommages incommensurables à nos communautés et nous ne devons pas nous laisser faire.

William Champigny-Fortier

Posted in chroniques environnement, Journal Le Québécois.