Un malaise démocratique chez Québec solidaire autour de la campagne climat

Le Plan de transition Solidaire : Saint Graal de la transition ou supercherie

Un malaise se répand chez une partie de la militance de Québec solidaire au sujet de la démocratie interne. En résulte une discussion sur les réseaux sociaux et ailleurs un panel sur le populisme… où la salle ne pouvait pas intervenir afin de laisser toute la place aux panélistes ! Les animateurs de la discussion sur les réseaux sociaux remarquent de la part de la direction du parti un verticalisme post-électoral qui fait suite à celui électoral qui s’est avéré un succès. Les panélistes, de leur côté, l’attribuent à une stratégie populiste à la Podemos et à la France insoumise mais qui ne caractériserait peut-être pas pour autant le mode de fonctionnement du parti qui resterait démocratique. Quant aux animateurs du réseau, ils proposent une rencontre pour que cet inconfort dû à la réduction de la militance à la fonction de soldat obéissant soit discutée. Galvanisée par son succès électoral et échaudée par le renversement, lors du dernier Conseil national, de sa position sur les signes religieux à l’encontre de la fabriquée « opinion publique » francophone, se pourrait-il que la direction du parti ne veuille pas d’une autre fronde anti-populiste de la militance à propos de l’orientation de la campagne climat ?

Les trois revendications d’Ultimatum 2020 ignorent tout plan d’action, le Plan de transition compris

Avant même le rapport du GIEC-ONU, devenu le point de référence incontournable du mouvement mondial climatique, le Plan de transition Solidaire listait l’ensemble des actions à entreprendre pour arriver à l’objectif de réduction de près de 50% des émanations de GES pour 2030, ce qui correspond exactement à la cible du GIEC. Cette prémonition avec plan d’action à l’avenant aurait dû être une cause de satisfaction. Rien de tel. Malgré la plus que priorité que le parti accorde à la question climatique avec sa campagne Ultimatum 2020, le Plan de transition passe sous le radar. Si la première des trois revendications de cette campagne, décidées unilatéralement par la direction du parti, exige de mettre fin à l’exploration et à l’exploitation pétrolière et gazière, elle passe sous silence le fait que le Plan affirme que « la construction ou l’agrandissement de toute
infrastructure visant à augmenter la production ou le transport d’énergie fossile seront aussi interdits. » Quand on sait que le débat de l’heure au Québec en ce qui concerne les énergies fossiles est le gazoduc de transit amenant le gaz de schiste de l’Alberta jusqu’au Saguenay pour le liquéfier, cet « oubli » laisse songeur. Officiellement le parti, malgré toutes ses critiques de ce projet, ne réclame qu’un « test climat » et non son rejet.

La deuxième revendication exige de la CAQ avant octobre 2020 de « [p]roposer un plan qui permet au Québec d’atteindre les cibles de réduction des GES du GIEC. » Exiger ce plan du parti gouvernemental ultra-libéral et attisant les braises du racisme est certes moins caricatural que l’opération grande séduction du porte-parole autoproclamé de la Déclaration d’urgence climatique (DUC) habilement récupérée par le chef caquiste mais cette exigence baigne dans les mêmes eaux. Cette attente vis-à-vis la CAQ, tout en créant l’illusion d’une CAQ réformiste auprès de l’électorat centriste, offre l’occasion et laisse le temps au parti gouvernemental de manœuvrer, ce qu’a démontré son récent congrès de la victoire. S’imaginer que cette tactique laisse la CAQ s’empêtrer dans ses contradictions face au troisième lien de Québec ou au gazoduc Abitibi-Saguenay ou à l’exploration pétrolière gaspésienne ou celle gazière de la vallée du St-Laurent est sous-estimer l’habilité des politiciens professionnels pro-patronat de la politique nationaliste. Entre leurs mains, le troisième lien deviendra un facilitateur de l’auto hydro-québécoise, le gaz naturel une énergie de transition et l’éventuel pétrole québécois non sulfureux une richesse nationale nécessaire durant la transition.

Et que penser de la troisième et ultime revendication de « [f]aire approuver son plan de transition économique par un expert indépendant du gouvernement. » Qui est « expert » ? Dans une société capitaliste, l’expert est rémunéré soit par une source gouvernementale directe ou indirecte soit par une source relevant de l’entreprise privée. L’autonomie de l’expert est toute relative même pour celui appartenant au monde universitaire dont les chaires et les recherches dépendent de plus en plus de l’entreprise privée. Dans un tel carcan, l’expert ne peut concevoir un plan de transition que délimité par le « marché » qui est tout sauf libre. On peut être assuré que c’est cet expert ou cette boîte d’experts que la CAQ choisirait et non pas les rares atomes libres prêts à risquer leur réputation. Non seulement Québec solidaire se coince-t-il en remettant à la CAQ l’initiative politique mais il se peinture dans le coin en annonçant qu’il donne aux transnationales contrôlant le « marché » la mainmise ultime sur l’éventuel plan. Faut-il s’étonner de cette démission quand on sait que le Plan de transition Solidaire résulte d’un rapport gardé secret, sauf pour une poignée d’initiés d’un comité ad hoc ayant travaillé à huit-clos, écrit par un think-tank d’experts lié à la nébuleuse du PQ.

Un activisme aux ordres qui ignore le mouvement social pour détourner l’attention et par électoralisme

Que la première revendication de la campagne Ultimatum 2020 soit un recul par rapport au Plan de transition annonce non pas la qualité alternative de ce Plan mais la profondeur du recul. Celui-ci est masqué par un activisme verticaliste sui generis de petits cercles partisans aux ordres de la direction pour accomplir des tâches aux deux semaines et par un faux radicalisme communicationnel de « signifiants vides » à la mode populisme de gauche tel « Urgence climatique, barrage politique ». On a l’impression que la direction du parti arrange ses flûtes pour que sa militance n’ait guère le temps de jeter un regard critique au Plan de transition qui a atterri tout cuit en plein milieu de la dernière campagne électorale sans que jamais personne dans le parti ne l’eut vu, discuté et voté. Disons que la démocratie interne a connu de meilleurs jours. Ce n’est pas un cas unique. La thématique cruciale de l’indépendance, lors de la fusion avec Option nationale, lui a été sous-traité sur la base d’un manuel mis à jour et diffusé largement mais dont le contenu n’a jamais été ni débattu ni voté par la militance du parti. Pourtant sa vision économique de développement des ressources naturelles s’insérant compétitivement dans le marché mondial n’est pas compatible avec la notion d’économie verte.

Quant à cet activisme débridé style « command and control », la direction du parti ignore la liaison avec le mouvement social. Pourquoi ne pas inviter la militance Solidaire à s’impliquer dans les groupes antihydrocarbure très présents hors régions métropolitaines et souvent organisés en fédérations nationales. Pourquoi ne pas contribuer à la construction du nouveau mouvement La Planète s’invite…, organisatrice des manifestations climat et surtout actif en milieu scolaire et en zone métropolitaine. Le parti pourrait susciter un interface de caucus de sa militance y intervenant et même la reconnaître dans ses statuts avec droit de représentation au congrès et conseil national. On sent bien ici que la préoccupation de la direction du parti n’est pas le développement du mouvement social pour qu’il devienne un grand mouvement de masse capable d’affronter victorieusement l’État patronal. Le but de la direction consiste à plutôt parasiter la nouvelle effervescence climatique pour recruter et consolider sa militance en vue des élections de 2022. Pour que ce soit clair, en parallèle avec sa campagne climatique, l’équipe nationale du parti organise sur les prochains deux mois une tournée nationale pour recruter et préparer de « super militants » en vue des prochaines élections.

Le sectarisme anti mouvement social se combine avec l’opportunisme pro-marché du Plan de transition

Cette façon de faire dénote un sectarisme anti mouvement social qui se combine avec l’opportunisme promarché du Plan de transition. La Commission politique s’apprête à proposer au prochain congrès de révision du programme de biffer du programme le rejet de la taxe et du marché carbone afin de confirmer le financement du Plan de transition par l’euphémisme d’« écotaxe » dont la taxe et marché carbone sont les spécificités les plus générales. L’écotaxe est par définition une taxe indirecte qui est elle-même par définition régressive mais elle a l’avantage d’avoir un air progressiste utile pour l’acceptabilité sociale et même pour remplacer l’imposition progressiste des revenus et des profits comme c’est le cas en Colombie britannique et en Suède. Elle est une sorte de taxe de vente sophistiquée et parfois masquée comme le marché carbone. Il faut bien distinguer la taxe et ce à quoi elle sert. Si elle sert à financer la transition énergétique elle n’en reste pas moins une taxe régressive et injuste. La transition peut être financée de la même manière que la santé et l’éducation c’est-à-dire par une réforme fiscale imposant l’une ou l’autre des différentes formes du capital (profit, capital propre, actifs, chiffres d’affaires, revenus individuels élevés, patrimoine, succession, consommation luxueuse) d’autant plus que le capitalisme est la cause fondamentale de la crise climatique et de celle de la biodiversité.

L’autre possibilité que promeuvent les néolibéraux et sociaux-libéraux est que le produit de la tarification soit redistribué plus ou moins intégralement et progressivement. Dans ce cas elle ne finance aucune politique gouvernementale. Son effet est seulement de modifier les rapports de prix sur le marché au prorata de l’ampleur de la tarification. La question qui se pose alors est l’efficacité de cette modification de prix. Plus les gens sont riches plus ils ont le choix ou la possibilité de payer la taxe sans douleur. Exemple : choisir entre une auto électrique et une auto à essence ou même les deux; payer l’écotaxe sur les ponts et stationnements parce que de toute façon le système de transport collectif en banlieue et région est trop déficient pour être une alternative ou bien s’acheter un condo (cher) ou une maison (chère) dans le centre urbain. Les ménages moins fortunés partis vivre en banlieue parce que le centre urbain est trop dispendieux et qui n’ont pas les moyens de s’acheter une auto électrique qui reste plus chère même subventionnée et qui se substitue très mal à l’auto à essence sur les longues distances et qui ne peuvent pas s’acheter deux autos sont par contre pognés. Quant à la réduction des GES, elle est négligeable, ce qu’ont démontré les cas réellement existants de la Colombie britannique et du Québec comme de la Suède où les inflexions des émanations de GES sont dues aux investissements et politiques normatives gouvernementales.

Politiquement, le recours aux régressives écotaxes induirait une gouvernance répressive à la Macron pour mater les réactions populaires genre gilets jaunes d’abord provoquées par une écotaxe spécifique sur le carburant. C’est cette taxe qui a fait déborder le vase de la pauvreté, des inégalités croissantes et de l’austérisation des services publics surtout en région ce qui éliminait la possibilité d’avoir recours à un service de transport en commun inexistant. Par ricochet, en serait compromise la mobilisation de masse nécessaire à la lutte climatique et pour la biodiversité. En particulier, il en résulterait un divorce entre la jeunesse déjà en mouvement et la grande masse de la population vivant en banlieue et en région. Pour répondre au défi de l’urgence climatique une mobilisation toutes et tous ensemble est indispensable afin de mettre en oeuvre un plan musclé bouleversant en profondeur la structure socio-économique encadrant le marché. Un tel plan ne peut qu’être imposé par le gouvernement. Reste
trancher si cette planification impérative au poste de commande serait de type bureaucratique sous la houlette exclusive d’experts ou de type démocratique impliquant un obligatoire plan central construit sur la base d’un dialogue de haut en bas, approuvé par référendum et d’application décentralisé sous la surveillance de comités locaux et régionaux combinant citoyenneté et expertise.

La cible du GIEC-ONU conjuguée au principe de précaution suppose de subjuguer le marché

La stratégie de gauche se doit de limiter la hausse de la température terrestre à 1.5°C, au pire 2°C, sans jamais la dépasser afin de ne pas déclencher les rétroactions d’emballement une fois franchis certains points de bascule et sans énergie nucléaire ni technologie d’apprenti sorcier de captage et séquestration gargantuesques de gaz carbonique. En cela elle est plus exigeante que le GIEC-ONU qui pour des raisons de compromis politique a adapté la clarté scientifique à un plan d’action pétri de capitalisme vert bafouant le principe de précaution vis-à-vis les points de bascule, l’énergie nucléaire et le captage-séquestration de CO2. Cette stratégie nécessite de révolutionner la structure économique de la société (système d’énergie, de transport, trame urbaine, bâtiment, agriculture) et les rapports sociaux (redistribution des revenus, contrôle démocratique de la finance et des grandes entreprises stratégiques). Rien à voir avec la tarification carbone qui au contraire s’inscrit dans le marché non libre sous contrôle des transnationales. Tout à voir avec le contrôle populaire de l’épargne nationale dont la fiscalité, ce qui requiert l’indépendance. La réalisation de ces conditions permettent un fort interventionnisme gouvernemental comme en temps de guerre mais sous contrôle démocratique.

Cette stratégie est complètement à contre-sens de celle du Plan de transition Solidaire d’orientation capitaliste vert matinée de nationalisme extractiviste. Le Plan de transition Solidaire ignore ou galvaude l’orientation coféministe-autochtone « prendre soin », qui vaut autant pour les gens que pour la terre-mère, au cœur de toute alternative de plein emploi écologique (voir en annexe une critique du contenu du Plan provenant d’un article antérieur). Toutefois la mise en sourdine du Plan a une autre cause car pour la direction du parti son contenu capitaliste vert ne fait pas problème, au contraire. Le rapport coût-bénéfice du Plan est invraisemblable. S’il était vrai, la solution à la crise climatique, du moins comprise à l’aulne de la proposition du GIEC-ONU, serait à ce point bon marché, du moins pour le Québec, qu’il n’y aurait pas lieu d’en faire un débat public mais un grand ralliement derrière la nouvelle orientation toute électricité de la CAQ (transport, bâtiment, industrie plus l’exportation à New York et en Ontario) dont le Plan Solidaire n’est qu’un prolongement un peu plus poussé et pressé tout comme il l’était, dans le domaine du transport, de la Politique de mobilité durable des Libéraux québécois.

Un Plan Solidaire qui ménage la grande entreprise

Pour diminuer les émanations de GES de près de 50% par rapport à 2010 d’ici 2030, ce qui est la cible du Plan de transition, le cadre financier qui lui est associé affirme qu’il suffirait de 1.7 milliard $ par année pour les dépenses budgétaires plus la ré-allocation du Fonds des générations de 12.6 milliards $ sur le mandat (quatre ans) pour les immobilisations. Annualisé et additionné, il s’agit de 4.3% des dépenses budgétaires québécoises ou 2.9% de celles-ci plus la part fédéral revenant au Québec corrigée des paiements de transferts entre gouvernements. C’est une bagatelle et encore plus si on ignore la ré-allocation du Fonds des générations déjà disponible, malgré la perte de revenu afférant, ce qui donnerait 1.5% et 1%. Si on suppose que la justice sociale réclame plutôt que la réllocation du Fonds des générations aille plutôt à la santé et à l’éducation… à qui elle a été subtilisée et que les immobilisations du Plan de transition se financent à un taux de 3% par un emprunt cumulable, sans hausse de la prime de risque, ces pourcentages restent à peu près les mêmes en tenant compte du remboursement du principal. Ces fonds s’obtiennent par soit une ré-allocation budgétaire (par exemple aucunes nouvelles autoroutes et ponts, baisse de la rémunération des médecins, baisse du prix d’achat de médicaments, suppression du soutien fiscal aux énergies fossiles, baisse des dépenses militaires) soit surtout par une modeste bonification de la  réforme fiscale, dont la lutte contre les paradis fiscaux, au dépens du capital, réforme déjà prévue pour le réinvestissement dans les services publics existants.

On doit cependant interroger la vraisemblance du ratio coût-bénéfice du Plan sans compter qu’il ne suppose aucune remise en question de la structure économico-sociale autre qu’une mise à niveau de transport en commun devenant moins américain du nord vers plus européen, et un régime fiscal plus scandinave. Il est certes difficile d’argumenter cette thèse faute de connaître les ratios du rapport d’experts gardé secret. Le Plan de transition fournit une ventilation mais ses catégories ne sont pas mutuellement indépendantes. Le tiers de la ventilation ne se conforme pas aux secteurs de l’inventaire québécois de GES. Un 15% des réductions est attribuable à la disparition des énergies fossiles pour le chauffage des bâtiments tant industriels que commerciaux et résidentiels au profit de l’électricité et de la biomasse. Un quasi 20% est attribué à la tarification carbone sans qu’on puisse le distribuer par secteurs. On n’en note pas moins que le transport des marchandises compte pour un peu moins de 20% des émanations totales de GES mais le Plan Solidaire n’en attend que moins 10% des réductions. On constate la même disproportion du côté de l’industrie qui compte pour environ le tiers des émanations de GES du Québec mais dont le Plan de transition n’attend aussi que moins de 10% des gains. Ces disproportions seraient cependant atténuées par l’apport de la tarification carbone et par le recours à la biomasse dans l’industrie.

Le bâtiment toutes catégories compte pour 10% des émanations totales de GES mais le Plan en attend une contribution d’au moins 15% auquel il faut ajouter une portion du 15% dû à la suppression du charbon et du mazout en faveur de l’électricité. Par contre pour le transport des personnes qui compte autant que celui des marchandises en émanations de GES (en interprétant l’inventaire des GES par type de véhicules routiers à la lumière de leur distribution par usage par la SAAQ), le Plan Solidaire en attend une contribution d’au moins le tiers auquel il faut ajouter une partie de l’apport de quasi 20% de la tarification carbone. De ce salmigondis, on comprend qu’on exige une réduction nettement au-dessus de leur contribution aux émanations de GES de la part des secteurs du transport des personnes et de la climatisation du bâtiment et en-dessous de la part du transport marchandise et de l’industrie. Grosso modo, tenant compte que la grande entreprise a déjà recours à l’efficacité énergétique parce qu’elle en a les moyens cognitifs et financiers et surtout que c’est souvent rentable étant donné au Québec l’important différentiel entre le prix des hydrocarbures et celui de l’hydroélectricité, le Plan de transition ménage la grande entreprise et pressurise population, gouvernement et petite entreprise.

Un rapport coût-bénéfice invraisemblable réconciliant à bon marché le capitalisme vert et le Plan Solidaire

C’est cependant le réalisme de toute l’affaire qui laisse songeur. La tarification carbone qui compte pour presque 20% des réductions de GES escomptées du Plan de transition est de facto inefficace comme on peut le démontrer tant théoriquement que pratiquement tant en Colombie britannique et au Québec qu’en Suède sans compter la faillite du marché du carbone européen. Un élément clef du plan de transport en commun Solidaire est le train aérien REM dont la contribution à la réduction des GES est nul selon un test climat par l’organisme Coalition Climat Montréal et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). Comme le plan Solidaire laisse tomber la généralisation du transport en commun en surface dans toutes les zones urbaines au bénéfice du REM et des métros dispendieux, longs à réaliser et concentrés sur l’Île de Montréal, le potentiel de réduction en GES en est d’autant plus limité. Le Plan propose de substituer la biomasse aux combustibles fossiles pour la chauffe des bâtiments industriels et institutionnels. Or le bilan théoriquement zéro émanation de la biomasse est douteux car les émanations de GES sont immédiates mais la nouvelle pousse est longue et hasardeuse surtout en pays nordique, sans compter l’accaparement nécessaire des terres. Finalement, comme le Plan propose de subventionner les autos électriques, on doit supposer qu’une bonne portion de la baisse de GES en résulte. C’est là négliger le côté sombre de l’auto hydroélectrique non seulement eu égard à son bilan d’épuisement-pollution des ressources naturelles pire que celui de l’auto à essence mais aussi en génération de GES pour sa production plus énergivore que celles à essence et surtout pour la perpétuation de l’énergivore étalement-congestion urbains.

Cet irréalisme du Plan de transition en termes de coût financier par rapport à la baisse des émanations de GES entre en écho avec le même irréalisme du plan plus simpliste de Martine Ouellet lors de sa candidature à la direction du PQ en 2016. On ne connaît pas la source du ratio coût-bénéfice de ce plan mais on sait le fort sentiment indépendantiste à la Jacques Parizeau de l’ex-candidate. Est-ce un hasard que le think-tank responsable du rapport secret sur lequel est basé le Plan Solidaire a été fondé par Jacques Parizeau ? Le « Québec indépendant pour un développement économique intelligent » de Martine Ouellet baignait dans la même eau capitaliste vert que le Plan Solidaire avec un zeste indépendantiste plus affirmé mais pas plus indispensable que pour la réalisation du plan. Faut-il alors se surprendre que la conception indépendantiste d’Option nationale, devenu celle du parti lors de la fusion, prône une économie extractiviste hostile à la lutte climatique ?

Un indépendantisme extractiviste ou un indépendantisme du « prendre soin »

Dans son manifeste révisé, Option nationale se réfère aux « avantages concurrentiels » du Québec. Pour lui, l’économie québécoise ce sont « des ressources abondantes qui nous permettront de faire aisément la transition entre notre situation actuelle et un Québec indépendant. Notre secteur minier se classe parmi les dix plus importants producteurs mondiaux. […] 60 % du potentiel minéral de notre sous-sol reste inexploré. La forêt constitue également un secteur qui peut contribuer à notre développement. Nous possédons aussi d’importantes réserves d’eau potable. Dans le contexte du réchauffement climatique, cette ressource devrait être de plus en plus déterminante. De plus, l’hydroélectricité nous place dans une position enviable dans ce même contexte, en plus de nous permettre d’attirer des industries énergivores ou d’exporter en cas de hausse des prix. »

L’anticapitaliste orientation éco-féministe-autochtone du « prendre soin » des gens et de la terre-mère pour le plein emploi écologiste impose l’obligation de l’indépendance afin de prendre en charge démocratiquement l’épargne nationale tout en rejetant l’axe pétrole-finance Calgary-Toronto, son Quebec bashing et sa non-reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise, insulte que les fédéralistes n’osent même faire aux nations autochtones à qui on reconnaît des droits inhérents. Par contre, l’orientation capitalisme vert du Plan Solidaire comme de celui de Martine Ouellet se finance sans problème par l’intermédiaire du capital financier moyennant la garantie d’une dose d’austérité. Mettre fin au dogme de la croissance du PIB que nécessite l’accumulation du capital pour lui substituer une économie de la décroissance des produits sonnants et trébuchants et de croissance des services publics riches de rapport personnels ne peut se dispenser de vaincre la domination du capital. On n’échappe à cette contradiction que par la foi de charbonnier dans la tarification carbone capable à elle seule ou pour l’essentiel de changer en profondeur les comportements des acteurs économiques ce qui rendrait inutile ou secondaire d’autres types d’intervention étatique ou sociale.

Une liquidation de la démocratie pour un facile populisme au succès éphémère mais vers un cul-de-sac

Le Plan de transition est le pilier socio-économique du projet de société Solidaire. L’Assemblée constituante indépendantiste, le pilier politico-institutionnel. Ni un ni l’autre n’ont fait l’objet d’un débat au sein du parti et encore moins d’un vote. Ce n’est, pour sauver la face, ni une « rencontre en ligne » pour présenter le Plan de transition ni une Université indépendantiste du collectif Option nationale qui compenseront. Pour la direction du parti, une démocratie interne véritable risquerait de faire voler en éclats l’orientation capitaliste vert du Plan de transition comme l’extractivisme compétitif de l’indépendantisme à la Option nationale. C’est là tout un contraste par rapport au débat sur les signes religieux. L’importance politique de ce débat est indéniable puisqu’il s’agit de déterminer si l’indépendantisme Solidaire est nationaliste ou internationaliste, s’il ouvre la porte au compromis avec la réaction droitiste qui déferle sur le monde ou s’il l’ouvre à la solidarité des nationalités et des peuples dans un combat toutes et tous ensemble pour un monde anticapitaliste du « prendre soin ». Cet internationalisme interpellera particulièrement le peuple canadien au point d’empêcher le revanchisme fédéraliste. Cependant, si ce choix permet de prendre la fourche de gauche sur le chemin de la libération nationale et de l’émancipation sociale, il ne trace ni le contour de l’alternative ni le chemin qui y mène.

Prétendre qu’un parti qui esquive sciemment le débat de fond à propos de l’alternative est démocratique est risible. Encore plus s’il noie le poisson en enrégimentant sa nouvelle et enthousiaste militance verte, dans tous les sens du mot c’est-à-dire écologiste mais inexpérimentée, dans des groupes d’affinités aux ordres de la direction dans le cadre d’une campagne climat où la militance n’a rien décidé. La rupture démocratique est ici bien plus que communicationnelle. L’air de rien, émerge une direction bicéphale dit charismatique qui n’a rien à envier à celles de Podemos et de la France insoumise. Il faudrait méditer sur les piètres résultats électoraux de ces deux partis lors des dernières élections européennes. Leur populisme apparaît finalement pour ce qu’il est soit un surfing sur la vague gauche de l’opinion publique ce qui crée l’illusion d’un irréformable capitalisme que l’on pourrait verdir. Ce populisme est à la recherche d’un peuple introuvable qui lui veut une solide rupture quitte à se méprendre sur l’extrême-droite, ou d’alliance avec la vieille sociale-démocratie sociale-libéralisée mais prête à quelques rouges coups de pinceaux pour se maintenir au gouvernement dans un contexte économique favorable pour l’instant.

Pour dire le moins un coup de barre démocratique est à l’ordre du jour dans le parti. Aux démocrates contestataires et aux collectifs se réclamant de l’anticapitalisme d’y voir.


ANNEXE : UN PLAN SOLIDAIRE CONDESCENDANT ENVERS LES TRANSNATIONALES ET L’INDUSTRIE DE LA « CORRUPTION »

Côté « prendre soin » des gens, le Plan de transition Solidaire, épine dorsale socio-économique de son projet de société, n’inclut pas la lutte contre l’austérité qui n’a pour le parti qu’un aspect de justice sociale mais non écologique. Pourtant, les emplois en santé, en éducation, en service social non seulement sont peu énergivores, sauf en énergie directement humaine, mais sont riches de construction de rapports sociaux à l’encontre du consumérisme. La lutte contre les bas salaires et les mauvaises conditions de travail fait reculer l’aliénation ce qui donne les moyens matériels et spirituels pour adopter un mode de consommation le plus rationnel possible dans le cadre du système de production à l’encontre de l’obsolescence programmée.

La dimension « prendre soin » de la terre-mère fait aussi problème. Le Plan met des gants blancs avec les entreprises privées qui possèdent et contrôlent les secteurs de l’industrie et du transport des marchandises pour lesquels les cibles sont modestes relativement à leur apport important en GES, et sert la vis aux ménages et aux gouvernements qui possèdent et contrôlent les moyens de transport des passagers dont on exige la contribution essentielle. La condescendance vis-à-vis l’entreprise privée se mue en générosité quand on réalise que les objectifs en matière de transport des passagers seront atteints soit par des subventions pour l’achat d’autos solos électriques soit par de grands projets coûteux et longs à réaliser tels le REM et la ligne de métro dite rose de  projet Montréal. La première politique, au profit des transnationales de l’auto et GAFAM produisant hors Québec, consacre la continuation de l’étalement urbain, que la loi ne pourra pas arrêter, aux dépens des terres agricoles et de l’agriculture urbaine et au bénéfice des énergivores banlieues tentaculaires de maisons unifamiliales souvent surdimensionnées. La deuxième politique, au profit des corrompus SNC-Lavalin et Tony Accurso, abandonne la trame urbaine, là où réside et travaille Madame et Monsieur Tout-le-monde, à l’auto solo, à essence ou électrique.

Prendre soin de la terre-mère signifie à court-terme composer avec la trame urbaine existante pour atteindre rapidement des résultats probants en termes de réduction de GES, car le temps presse, tout en prenant des mesures immédiates pour anticiper une reconfiguration structurelle de l’aménagement du territoire. Les autoroutes et les boulevards existant en abondance, ils doivent être utilisés d’ici 2030 en voies réservées pour du transport en commun électrifié, fréquent et confortable construit au Québec sous contrôle public et gratuit d’ici là de sorte qu’il devienne un service public majeur, comme la santé et l’éducation.

Loin d’être concentrés dans les centre-ville selon le modèle du moyeu comme c’est le cas dans le Plan de transition, ces investissements s’étaleront en banlieue et en région selon le modèle de la toile d’araignée contribuant à la décentralisation de l’emploi et donc aux navettes courtes favorisant le transport actif. Avec avertissement dès maintenant, l’auto solo serait interdite dès 2030 dans les zones métropolitaines, et la construction de maisons unifamiliales immédiatement, puis par étapes jusqu’en 2040 ailleurs. La collecte de passagers vers les grands axes serait assurée par des minibus électrifiés et puis autonomes en circuit balisé, déjà testés dans la région de Montréal. Ce système serait complété par un service d’autopartage communautaire.

L’électrification de camions légers est déjà en cours. Elle peut être complétée d’ici 2030 en n’en faisant une obligation pour les entreprises qui y ont un intérêt tellement la dépense en énergie est meilleure marché que pour les camions à essence, quitte à obliger les banques à financer l’opération à bon compte. Que dit le Plan de transition au sujet du transport de marchandises à courte ou moyenne distance ? Rien de spécifique, aucun objectif, aucun échéancier. Il en est de même pour le camionnage lourd où l’on donne la priorité à la collaboration avec l’industrie entre autre pour une autoroute électrique au détriment de la priorité à donner à la construction d’un réseau public ferroviaire et de cabotage qui pourrait être complété d’ici 2040. Le transport des marchandises est pourtant là où le bât blesse non seulement parce que ses émanations de GES sont aussi importantes que celles pour le transport des passagers mais aussi parce que ces émanations de GES sont en croissance rapide.

Rio-Tinto et ALCOA ont annoncé un procédé révolutionnaire de fabrication de l’aluminium dépourvu d’émanations de GES alors que celles-ci comptent pour un peu plus de 5% de toutes les émanations de GES du Québec. Comme l’affaire est de toute façon rentable, ces entreprises devraient être obligées d’implanter ce processus d’ici 2030, et non 2034 comme promis. Mais ce genre d’obligation ne fait pas partie de la façon de faire du Plan solidaire. Il est plus que temps de mettre fin au scandale du pillage des forêts pour fabriquer du papier, en particulier du papier-journal, d’autant plus que cette fabrication est énergivore même si elle est masquée par le recours à la fausse alternative de la biomasse promue par le Plan comme une filière à développer comme pour le lithium. Des alternatives électroniques sont maintenant disponibles. Last but not least, l’agriculture biologique est à susbtituer à l’agro-industrie. Celle-ci, en plus d’émettre bien plus de GES que le bilan officiel par secteurs en déclare si on y inclut la part des autres secteurs pour tant la transformation, la mise en marché et le transport des aliments et des intrants, épuise le sol et pollue les cours d’eau.

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