Québécitude, inclusion et émancipation

La québécitude est un processus vivant caractérisé par ce territoire du nord-est des Amériques «là où le fleuve rétrécit» (de l’algonquin kebek). Des populations indigènes y vivent depuis des millénaires et pour elles le processus colonial est un continuum de la Nouvelle-France jusqu’à aujourd’hui. L’Église catholique et les royaumes français et britanniques ont pris possession de ce territoire au profit des métropoles européennes, tandis que des paysan.ne.s puis des prolétaires s’installaient pour y vivre le mieux possible chassé.e.s par la misère du féodalisme et du capitalisme européen.

De peuple canadien à canadien-français au début du 19e siècle, il se définit en tant que peuple québécois à partir des années 1960 dans un mouvement de libération nationale aux forts accents décoloniaux d’émancipation plutôt qu’avec un nationalisme conservateur dominant dans les décennies précédentes. Voici comment le syndicaliste, socialiste et indépendantiste Michel Chartrand définissait la relation entre nationalisme et conditions de vie. Cette conception est toujours pertinente aujourd’hui avec un nouveau gouvernement nationaliste de la CAQ qui travaille pour les boss et les multinationales d’ici et d’ailleurs.

«La nation québécoise c’est une réalité en Amérique du Nord. La prise du pouvoir de Duplessis s’explique également par cette poussée nationaliste. Ce qui n’est d’ailleurs pas étranger au fait que les Québécois ont pardonné beaucoup de choses à Duplessis. Ce phénomène est d’ailleurs en train de se reproduire avec le Parti québécois. Les nationalistes pardonneront les pires turpitudes au PQ. Ils sont prêts à oublier qu’il existe une différence énorme entre le nationalisme et une véritable libération nationale. Raison pour laquelle j’ai toujours été contre les «nationaleux» qui voulaient sauver la langue et laisser crever ceux qui la parlent.» [1]

Le peuple québécois n’est pas une ethnie comme se définissait la minorité canadienne-française auparavant et qui était très liée historiquement à la religion catholique. Il est enrichi d’origines diverses, métissé de cultures et d’accents ayant façonné au fil du temps ce qu’est le Québec. Beaucoup reste à faire dans ce processus inclusif qui commence à peine à reconnaître les droits des nations autochtones pour accomplir la décolonisation en s’attaquant aux structures du racisme systémique.

Un certain courant nationaliste voudrait nous ramener à une définition étroite du peuple québécois dans sa continuité depuis la Nouvelle-France, comme s’il s’agissait d’une essence plutôt que de réalités sociales et culturelles en évolution et en métissage. Faire partie du peuple québécois c’est être ensemble sur ce territoire, ce n’est pas être identiques avec un pourcentage de souche requis. Ce courant identitaire nous annonce des peurs de l’étranger, de la musulmane, de l’immigrant comme menaces à la préservation de la nation. Pourtant, on n’entend guère ce courant dénoncer le gouvernement caquiste pour son parti pris pro-patronat et sa vente aux enchères du territoire aux minières et gazières. Ce n’est pas l’islam qui menace la neutralité des institutions et des services publics. C’est le grand capital et les forces de l’argent avec toutes leurs manœuvres plus ou moins légales. Ce sont les portes tournantes publiques-privées caractéristiques du capitalisme qui appauvrissent les classes populaires québécoises et les écosystèmes du territoire.

Le récent ouvrage de Rosa Pires est éclairant sur la question de la québécitude. Elle est née à Montréal de parents d’origine portugaise et elle a suivi son parcours scolaire en français. Dans son ouvrage lié à son mémoire de maîtrise, elle s’inquiète de l’exclusion vécue par les femmes de la deuxième génération issue de l’immigration dans le mouvement nationaliste ainsi que dans le mouvement féministe québécois. «Il y a des gens qui en avaient marre du nationalisme civique et de l’interculturalisme, et qui voulaient trouver une oreille dans la population», relève-t-elle dans une entrevue au Devoir le 29 mai dernier. Venant d’une militante de l’indépendance en 1995, il s’agit d’un avertissement sérieux à quiconque songe à fonder un pays en rupture avec le régime antidémocratique et colonial de 1867. Mon pays c’est l’humanité, pour paraphraser le grand révolutionnaire indépendantiste cubain José Marti (Mi patria es humanidad).

Guillaume Manningham

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Notes:
[1] Zone libre été 1977 p. 300.

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