Si je n’ai point de mal à comprendre l’utilité de Facebook quand il s’agit d’annoncer des événements, de faire part d’une opinion (la sienne comme celle des autres), je suis sceptique sur la pertinence d’y transmettre nos moindres états d’âme, quand ce n’est pas nos activités les plus banales. Peu me chaut de savoir qu’untel songe à repeindre son cabanon en vert ou que Junior va sur le petit pot maintenant comme un homme, toutes sortes de détails plus insignifiants les uns que les autres, mais que néanmoins on insiste pour porter à ma connaissance.
Ce qui me gosse aussi, c’est cette notion d’ « amis » Facebook dont selon moi on abuse. Pour parler comme Stan de la série des Boys, dans mon livre à moi, un ami, cela ne court pas les rues. Or, avec Facebook, vous pouvez facilement accumuler les amis comme d’autres accumulent des points Air Miles. Cette extensibilité du mot ami me semble suspecte, fait preuve d’un trop grand laxisme à mon goût. Les amis, les vrais, se comptent souvent sur les doigts d’une seule main, or, avec Facebook, je m’en suis fait 500 déjà et ça continue encore et encore ! Trouvez l’erreur !
Au-delà des tendances narcissiques qui expliqueraient que certaines personnes multiplient le nombre d’amis jusqu’à plus soif – on pense à l’inénarrable et boulimique Denis Coderre – il y a le fait indéniable que ce réseau social peut apporter de l’eau au moulin de bien des causes qui nous tiennent à cœur, ce qui n’est pas négligeable. De là à tout écrire, il y a un pas que je ne franchirai pas. S’il est vrai – on nous a assez rebattu les oreilles avec cela – que toute vérité n’est pas bonne à dire ou à montrer, puisque votre employeur actuel ou futur pourrait aussi le lire, il est imprudent quand on milite dans une organisation politique de fournir une profusion d’informations susceptibles de servir au service de renseignements (SCRS) pour mieux vous ficher. Quiconque est engagé dans des activités d’opposition politique devrait s’abstenir de tenir des propos sur Facebook qui dévoilent son arrière-pensée. Pensez-vous qu’à une autre époque Castro et le Che, s’ils avaient pu utiliser Facebook, auraient réussi à renverser le gouvernement de Batista en en jasant nonchalamment sur Internet ? Loin de moi l’idée de déclencher la paranoïa, d’autant que l’on s’entend que les activités auxquelles je pense sont toutes légitimes et ne font pas appel à la violence, mais toute opération, par exemple de désobéissance civile, pour être efficace, doit souvent provoquer un effet de surprise. Or, si vous discutez de votre plan avec tout un chacun, vous vendez à coup sûr la mèche.
Quant aux amis Facebook, les connaissez-vous vraiment ? Certains ne se soucient pas de savoir avec qui ils deviennent amis et ils acceptent en conséquence toutes les demandes. Imprudence, quand tu nous tiens. Évidemment, je ne fais pas d’enquête Jobidon pour savoir à qui je fais affaire, mais j’active quand même un filtre ou deux. Tenez, il y a quelques mois, je reçois une demande d’amitié d’une jolie pépée. Sa photo de profil dissimule mal les charmes de la jeune dame. Son nom, du genre Lolita, laisse présager rien de bien catholique. Qui plus est, elle révèle qu’elle habite l’Île-de-France, alors que mes amis sont majoritairement du Québec. Rien dans la description de son profil ne se rattache de près ou de loin à mes champs d’intérêt (comme le combat politique pour un Québec libre et français). Comment diable peut-elle alors vouloir m’avoir dans son groupe d’amis ? Cherche-t-elle un « sugar daddy » ? Mystère et boule de gomme. Quand je regarde la liste des amis que nous avons en commun, je tombe pile sur les noms de Pierre Curzi et de Mario Beaulieu ! Sûrement que ces deux là n’activent pas le même filtre que moi ! Finalement, j’ai écarté cette demande d’amitié, la jugeant irrecevable.
Il y a quelques semaines, je reçois une autre demande d’amitié. Aucune photo de profil cette fois, sinon que la demande vient du Québec et semble correspondre à mes critères, mais là aussi, j’ai refusé frette, net, sec cette amitié. Et pour cause, car elle provenait de… ma propre conjointe ! Plus de trente années à partager sa vie, c’est bien assez, pas question qu’en plus elle devienne mon amie sur Facebook !