Pourquoi Martine Ouellet ne doit pas démissionner

Pourquoi Martine Ouellet ne doit pas démissionner, mais en plus pourquoi 50 % +1 est-il suffisant lors du référendum interne du Bloc québécois pour renouveler la confiance des membres. Comme l’a démontré Sébastien Ricard lors de ses deux derniers envois au journal Le Devoir, la campagne médiatique à l’endroit de Mme Ouellet est sans précédent dans l’histoire récente du Québec. Contrairement à ce que croient plusieurs, la condamnation sans droit de réplique de la totalité des chroniqueurs politiques est un déni absolu de la démocratie. Et plusieurs de s’indigner de voir Madame Ouellet y résister. Devant un tel abus du pouvoir médiatique à l’endroit d’un chef politique, Mme Ouellet n’a pas le choix de déroger aux conventions politiques.

Elle le doit à ces milliers de jeunes militants qui ont rejoint le combat pour l’indépendance et qui se heurtent aujourd’hui à la vieille garde décidée à étouffer le renouveau indépendantiste. M. Sébastien Ricard dans son intervention attribue à la classe politique québécoise et à son appendice médiatique une attitude commune de défection et au fond une adhésion tacite à l’ordre politique canadien. Il n’a pas tort et on peut l’illustrer par deux exemples.

D’abord, il suffit de réécouter l’un derrière l’autre les discours de Lucien Bouchard et Jacques Parizeau lors du dévoilement des résultats du référendum de 1995. Pour le premier, la démocratie a parlé et il reste à s’incliner dignement. Il ne se présente aucune piste pour l’avenir, aucun appel à la mobilisation, aucun désir de s’appuyer sur l’immense désir de libération des Québécois pour déstabiliser le gouvernement canadien et lui arracher de nouveaux pouvoirs ou une révision du statut d’inféodation du peuple québécois. Il s’agit donc d’une défaite.

Pour Jacques Parizeau, même sonné par les résultats du référendum, il arrive à percevoir que le référendum de 1995 est en réalité une grande victoire pour le peuple québécois. Il entrevoit les possibilités politiques qui s’ouvrent. À condition de bien jouer ses cartes, cette victoire peut conduire à de plus grandes encore. Le discours qu’il fait en conséquence a par ailleurs été fort mal compris. Lorsqu’il avance que 60 % de ce que nous sommes avons voté Oui, il parle bien sûr de la majorité historique canadienne-française, c’est-à-dire l’essence du peuple québécois. Bref, la majorité française au premier chef concernée par ce combat de libération nationale. Il est normal d’ailleurs qu’elle fût la seule à l’être, car c’est elle qui porte en elle la résistance à l’oblitération nationale. C’est elle qui vit la condition québécoise d’oppression linguistique et tout le poids de l’héritage colonial. La condition commune que vivent ces Canadiens français fait d’eux un peuple qu’ils ont choisi d’appeler le peuple québécois. Que ce peuple et ceux qui s’y sont intégrés votent à 60 % pour le Oui veut dire que la décision est prise. Jacques Parizeau, dans ce même discours, s’efforce donc de minimiser la victoire du non. Il n’essaie pas contrairement à ce que l’on a dit à faire porter sur les immigrants la responsabilité de la supposée défaite. Il s’efforce seulement de relativiser cette victoire du non, de montrer comme elle est fragile. Si au lieu de démissionner, il s’était attaqué à cette fragilité du Non, probablement que la phase ascendante du mouvement indépendantiste se serait encore poursuivie.

En fait, on n’avait plus à convaincre les Québécois, ils étaient convaincus. Les Québécois ont voté à 60 % pour l’indépendance et pourtant elle ne s’est pas faite. Le dernier effort à faire ne l’a pas été. Comme en 1980, la démission du monde politique québécois a été générale. En gros, depuis 1995, la tâche essentielle des militants indépendantistes n’était plus de convaincre le peuple de faire l’indépendance, mais de convaincre les politiciens défaitistes qui n’auraient jamais pensé se servir du levier de 1995 pour faire aboutir la lutte pour l’indépendance. À chaque fois qu’un politicien parle d’un futur référendum, il insulte le peuple car le peuple a montré sa volonté en 1995 et elle n’a pas été respectée.

Le deuxième exemple de cette attitude commune de défection remonte au fameux beau risque de René Lévesque. Après la défaite du Oui en 1980 et le rapatriement unilatéral de la constitution canadienne par Pierre Elliot Trudeau, des nationalistes infiltrés au sein du Parti Conservateur réussissent à convaincre René Lévesque d’appuyer ce parti dirigé par le Québécois Brian Mulroney. L’idée était de desserrer l’étau constitutionnel qui avait fait reculer la démarche du Québec vers un nouveau statut. Ce revirement de René Lévesque aboutit à la première grande crise du Parti Québécois qui a vu la démission d’une vingtaine de députés du parti dont des ministres importants comme Jacques Parizeau, Camille Laurin, Gilbert Paquette et quelques autres. Cette crise ne se résout qu’après la mort de René Lévesque au moment où Gérald Godin demande la démission de Pierre-Marc Johnson, le nouveau chef du Parti Québécois, partisan d’une politique d’affirmation nationale. Jacques Parizeau prend alors les commandes du Parti Québécois et le mène à cette quasi victoire de 1995.

On peut dire que Parizeau trouvait son appui majoritairement dans sa base militante. Les parlementaires qui l’entouraient étaient les mêmes qui avaient appuyé le beau risque et les mêmes qui avaient suivi Pierre-Marc Johnson dans sa mise au rancart de l’article 1 portant sur l’indépendance. Après la démission de Jacques Parizeau, ces parlementaires n’en avaient plus que pour Lucien Bouchard qui avait pourtant été un des artisans du beau risque. Tout cela montre qu’il y a depuis très longtemps un hiatus entre les ailes parlementaires du PQ et du Bloc et la base réellement militante du mouvement indépendantiste. On peut même faire remonter au RIN cette double posture du mouvement indépendantiste, aile modérée et aile radicale ne sont en fait que l’aile parlementaire et journalistique qui possède le pouvoir médiatique et l’aile militante qui trouve son appui principalement dans des réseaux de terrain.

Même si l’aile militante a toujours apporté son appui aux partis indépendantistes, le contraire n’est pas vrai. Il est rare que l’aile parlementaire se sente à l’aise avec l’aile militante. Le rejet et les condamnations ne datent pas d’aujourd’hui. La marginalisation de Pierre Bourgault, la honte généralisée infligée à Jacques Parizeau après son discours de 1995, la méfiance vis-à-vis le cinéaste Pierre Falardeau, la motion scélérate votée unanimement à l’Assemblée nationale à l’encontre de Yves Michaud, le robin des banques, le refus de soutenir les publications indépendantistes telles que le Journal Le Québécois, et maintenant cette campagne hystérique contre Martine Ouellet que Francine Pelletier du Devoir compare à une martyre, en référence directe à Jeanne D’Arc qui a été brûlée comme sorcière.

En fait, la crise au Bloc Québécois n’est au fond qu’une résurgence de tous les vieux démons de la mouvance indépendantiste. Pourtant, cette division destructrice a été condamnée plusieurs fois. La plus mémorable mise en garde à mon souvenir a été faite aux funérailles de Pierre Falardeau par son fils Jules. Lors de l’hommage à son père, il fait une leçon aux leaders souverainistes en leur rappelant qu’il est fondamental que les modérés et les radicaux travaillent ensemble. Les modérés n’arriveront à rien s’ils ne modifient pas leur attitude face aux radicaux. Ils ont besoin d’eux, selon Jules Falardeau, qui s’exprime d’ailleurs dans des mots très crus. Pauline Marois, qui était dans l’église, opine alors de la tête pour montrer son approbation.

Si on revient à la crise actuelle, une lettre remarquable signée par le comédien Denis Trudel et 23 présidents de circonscriptions du Bloc Québécois paraît dans Le Devoir demandant aux protagonistes de la crise de faire des gestes d’apaisement et de revenir à la base du processus politique à savoir la médiation et le compromis comme outils de résolution de la crise. Peu après cette lettre, Gilles Duceppe et Pierre Paquette répliquent en défendant leur bilan du passé et réclament eux aussi avec l’ensemble des chroniqueurs politiques le départ de Martine Ouellet.

En chœur, les 7 démissionnaires du bloc qui auraient semble-t-il vécu l’enfer et sans égard à l’enfer que Martine Ouellet vit de son côté ne proposent toujours qu’une seule solution : « Faut qu’a parte. » C’est d’ailleurs l’ensemble de leur discours répété en litanie : « Faut qu’a parte. » Eux qui dénoncent l’incantation indépendantiste reprennent ce « faut qu’a parte » à qui mieux mieux.

L’aile modérée, on le voit, n’est pas si modérée quand un certain pouvoir interne est menacé. Et pourtant, on lui passera tout, car on a besoin d’elle comme elle a besoin des militants. Mais le sait-elle? Non? Alors, on le lui redit. La porte est ouverte, la main est tendue. Il s’agit simplement de marcher ensemble, mais marcher réellement.
Sinon, à mon avis, ceux qui annoncent la mort du Bloc Québécois avec Martine Ouellet sont ceux-là même qui précipitent sa mort. Car qui voudra désormais militer pour l’indépendance quand le mot « Indépendance » devient pour ceux qui le disent une marque d’opprobre. Mais au fait, cela n’est rien de nouveau.

Publié le à la une, chroniques politique québécoise, Journal Le Québécois et étiqueté , .

9 commentaires

  1. Elle la seule qui ose parler d’indépendance aux occasions qui présentent à elle et c’est ce un grande partie des Québécois veulent entendre… Ça fait depuis 1995 que le PQ et-ou le Bloc ne parlent que très rarement qu’un Québec indépendant serait parmi les pays les plus prospères. Quand avons-nous entendu un député dire que nous, le Québec, envoyons plus de 50 milliard $ à Ottawa par année… Mme Ouellet l’a fait…

  2. Bravo René Boulanger! C’est l’analyse la plus lucide de la situation du mouvement indépendantiste depuis 1996! Je suis d’accord avec lui également pour son constat des années qui ont précédé la reprise en main du Parti québécois par Jacques Parizeau. L’animosité de René Lévesque envers Pierre Bourgault et le RIN a marginalisé, en partant, les indépendantistes les plus convaincu.e.s du parti. Tant que Parizeau siégeait à l’exécutif national, ceux-ci ont pu trouver en lui un leader en accord avec leurs idées et qui constituait la caution économique du parti. Hélas, Claude Morin a profité de la disgrâce de Jacques Parizeau, après le débat sur le budget de l’An 1 – organisé, sans son autorisation, par Louis Bernard – qui n’a pas eu la tournure espérée et qui a influencé le résultat de l’élection de 1973, pour le remplacer à l’instance suprême du parti. C’est lui qui a détourné le PQ de son objectif en convaincant Lévesque de rendre l’option de la « souveraineté-association » accessoire, en la séparant de l’élection par la tenue obligatoire d’un référendum.

    Le même Claude Morin que René Lévesque apprendra avoir collaboré avec la GRC pour saboter ainsi le PQ de l’intérieur.

    Si le PQ, après 1973, a accéléré sa prise du pouvoir grâce à cette stratégie du « bon gouvernement » provincial, qui permettait aux électeurs fédéralistes déçu.e.s du PLQ d’appuyer le PQ sans danger pour l’unité nationale du Canada, les gouvernements péquistes qui en ont résulté ont tôt fait d’être pris au piège de l’impuissance politique du statut de province. Qu’ils y réussirent ou y échouèrent, à chaque fois que le PQ s’est accroché au pouvoir après avoir perdu son référendum, les appuis à l’indépendance ont fini par plafonner à 40-45% et le PQ a fini par décevoir et perdre le pouvoir.

    Hélas, jamais le PQ n’a accepté de revoir son approche pour réaliser l’indépendance, pas plus que peaufiner son argumentaire pour convaincre à la fois les francophones que les allophones d’adhérer au projet de pays. Il s’est complètement écroulé sur le dossier identitaire, intériorisant les accusations de xénophobie ou de racisme des fédéralistes qui ont suivi le constat limpide fait par Jacques Parizeau de l’influence de « l’argent et des votes ethniques », le soir du 30 octobre 1995. Il n’a pas su capitaliser sur les vagues d’indignation suite au scandale des commandites et de la crise des « accommodements (dé)raisonnables ». Son projet mal fagoté de « Charte de la laÏcité » n’a fait que diviser les francophones et soulever la colère de communautés habituellement acquises au PQ.

    Aujourd’hui, Martine Ouellet est le dernier espoir de rallumer la flamme indépendantiste, mais le refus – deux fois plutôt qu’une – des membres du PQ de remettre en cause leur vision électoraliste du parti a poussé Martine Ouellet à prendre la tête d’un parti au mauvais endroit pour réaliser l’indépendance.

    Mais qu’à cela ne tienne, si les membres du Bloc québécois renouvellent, massivement, leur appui au leadership et au changement du rôle du parti par Martine Ouellet, les indépendantistes détiendront une solide alternative au PQ actuel, si ce parti subit une nouvelle correction le 1er octobre prochain.

  3. Quelques mots tardifs ici.
    On aura beau dire, le Parti Québécois demeure, son nom le dit, le seul véritable parti… québécois. Le seul véritable parti qui, à l’encontre de tous les autres, a les assises, la solidité, la pertinence et la capacité de promouvoir et représenter les « intérêts supérieurs » de la majorité francophone devant les instances nationales, ne leur en déplaise, et internationales.

  4. Votre analyse est un résumé complet de l’histoire du mouvement indépendantiste et du Parti québécois, tel que je l’ai vécu. Il met en lumière les failles de René Lévesque, de Claude Morin et de bien d’autres. Le mot indépendance est devenu rapidement un mot tabou. Il a fallu parler de souveraineté-association. Même Camille Laurin, ce héros comme le dit Martine Ouellet, a dû se battre contre ses propres collègues pour faire voter la Loi 101 Notre histoire en est une de craintes et de défaites., de soif de pouvoir et de gouvernance, comme le sont les sept démissionnaires du Bloc. Il faut soutenir Martine Ouellet et le conseil régional du 29 avril est crucial. Tous les membres peuvent y participer. Rassemblons-nous et cessons de nous diviser. Le courage de Martine Ouellet m’inspire beaucoup.

  5. M. Boulanger, vous rappelez ici le conflit qui oppose depuis toujours radicaux et modérés au sein du mouvement souverainiste. Il semble bien qu’à chaque épisode, les radicaux aient été floués. On tolère certes les militants radicaux, mais tout sera fait pour les tenir éloignés des postes décisionnels. Martine Ouellet en fait aujourd’hui la dure expérience.
    Ne serait-il pas temps que les radicaux songent à fonder leur propre partii? Il est vrai que les deux précédentes tentatives (le parti indépendantiste des années 1980 et l’actuel fondé à la fin des années 2000) n’ont pas réussi, mais ne pourrait-on pas réfléchir aux causes de ces échecs?
    À vous lire, on saisit que le référendum de 1995 fut en quelque sorte gagnant, puisque 60% des Canadiens-Français ont voté «oui». La dérobade de Jacques Parizeau a malheureusement laissé toute la place aux modérés pour qui cette interprétation était inadmissible. Les modérés ont alors fortement imprimé en nous l’idée de défaite référendaire quasi irrémédiable, ils ont fait taire toute référence au nationalisme canadien-français et ils ont renforcé la définition multiculturelle du peuple québécois par la loi 99 (2000), suite au discours du Centaur.
    De fait, ils ont parachevé notre redéfinition identitaire commencée formellement en 1968. Or, cette redéfinition (appelons-là la québécitude), sans référent explicite aux Canadiens-Français, (qui constitue pourtant, je vous cite : «l’essence du peuple québécois […] au premier chef concernée par ce combat de libération nationale, [car portant] en elle la résistance à l’oblitération nationale […] et tout le poids de l’héritage colonial»), cette redéfinition, dis-je, est la cause première de la neutralisation politique des radicaux.
    Radicaux et modérés ne s’entendent manifestement pas sur la définition du peuple québécois. Ni donc sur les implications politiques et les actions à poser pour défendre les intérêts de ce peuple. Comme en ce domaine les modérés contrôlent tout avec la collaboration des partis fédéralistes ou multiculturalistes qui partagent avec eux une définition pluraliste du peuple québécois, les radicaux s’en trouvent marginalisés, totalement délégitimés sur la scène politique. Ce ne sont plus que des dinosaures, des «purs et durs», une appellation assez dévastatrice qui flaire l’intolérance, voire le racisme. Les partis indépendantistes n’avaient dès lors aucune chance.
    Ne serait-il pas temps d’admettre que la québécitude est contraire aux intérêts nationaux de «l’essence du peuple»? Qu’elle porte en elle un double discours, une imposture qui nous perd? Et qu’il faille en conséquence refonder notre action politique sur la défense des Canadiens-Français avant qu’ils ne soient mis en minorité dans le Québec même?

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