Le souverainisme est aujourd’hui, pour l’essentiel, une profession de foi. Vous êtes souverainiste? Le PQ exige votre vote, parce qu’il « est » souverainiste, lui aussi. Il ne propose qu’un programme de gouvernement provincial pour l’avenir prévisible? Ce n’est pas important. Ne pas l’appuyer, c’est nuire à des gens qui « sont » souverainistes. Il faut les croire sur parole: ils le sont. Quiconque concurrence leurs projets provinciaux est vilipendé à l’enseigne de la traîtrise à la cause.
Vincent Marissal est un « homme de gauche ». C’est lui-même qui le dit et qui place cette allégeance au coeur de son passage en politique partisane. Lui aussi, il « est » souverainiste. Il a grandi dans une famille souverainiste, il a voté OUI en 1995, et comme une bonne moyenne de souverainistes, il y croit aujourd’hui, justement, moyennement. « Il y a beaucoup de travail à faire », dit-il l’air résigné, avant de s’animer de nouveau lorsqu’il parle de la gauche et de ses combats. Par conséquent, en toute logique, Marissal rejoint Québec solidaire, ce parti où il faut militer activement pour la gauche, et où, comme au PQ, « être » souverainiste suffit amplement. L’indépendance à trente-cinq pourcent dans les sondages: discours absent et attitude passive. La gauche solidaire à huit pourcent: c’est formidable, on fonce dans le tas et on se permet de rêver!
Les députés du Bloc québécois aident au bon fonctionnement du Canada et leur travail quotidien est à deux cents années-lumière d’une démarche indépendantiste? Ce n’est pas grave: ils « sont » souverainistes. Comme ils le « sont », il est interdit de se demander à quoi ils servent.
N’en doutons pas: parmi les courants politiques qui cohabitent au Québec, le souverainisme est, de très loin, celui dont le brevet, en politique active, comporte les exigences les plus basses. C’est simple: il faut « être » souverainiste. Ainsi, on peut « être » souverainiste tant au PQ qu’au NPD, à QS, au PLC, à la CAQ, au PCC ou dans son garde-robe — ce qui revient pas mal au même que dans tous les cas précédents –. On peut « être » souverainiste tout en ne proposant jamais la souveraineté de façon soutenue au plus grand nombre, et pourtant s’insurger vivement quand on fait remarquer cette absence d’engagement concret. « Comment osez-vous juger de mes convictions? », rage-t-on, feignant de ne pas voir que le problème est ailleurs.
De fait, ceux qui pratiquent le souverainisme de la profession de foi, majoritairement issus de la famille péquisto-bloquiste, lieu d’origine de cette régression du souverainisme au rang d’étiquette dévaluée, sont toujours les premiers à accuser tout un chacun de douter de leur foi, comme ils s’empressent de juger des convictions de ceux qui ne s’impliquent pas là où ils le voudraient, comme ils le voudraient. Marissal est un fédéraliste! Ouellet est une pure et dure!
Le débat entourant les dissensions qui minent le mouvement indépendantiste bénéficierait d’une lecture plus factuelle des choses, qui permettrait de voir au-delà des sempiternelles mesures de foi. Et si, par exemple, en marge du contentieux PQ-QS, on se demandait simplement ce que proposent les deux partis? La réponse objective est là, sous nos yeux: le PQ, un gouvernement provincial autre que libéral ou caquiste; QS, une opposition de gauche aspirant à terme au pouvoir, avec, dans l’intervalle, une volonté d’accueillir des souverainistes ayant envie d’«être» souverainistes à gauche du PQ ou ailleurs qu’au PQ.
On verrait alors, des deux côtés de la clôture, que personne dans cette rivalité n’est en position de donner des leçons de souverainisme à l’autre. Il pourrait être là, dans une telle prise de conscience, le vrai point de départ d’une potentielle convergence.
Sauf que nous sommes à six mois des élections; l’heure n’est donc pas à la réflexion, mais plutôt à la polarisation et à la récupération partisane, souvent caricaturale, des enjeux. Mais ayons confiance: derrières les habituelles jérémiades sur la « division du vote » des uns et les accusations de « dérive identitaire » des autres, on réfléchira peut-être, en silence, à ce que devrait être une proposition indépendantiste. Chez ceux qu’une telle chose intéresse, s’entend.
Brillant texte ! J’aime cette souplesse d’exprit qui sort des sentiers bâtus !
> Brillant texte ! J’aime cette souplesse d’exprit qui sort des sentiers bâtus !
exprit -> esprit
Fine analyse. J’applaudis.
Si j’apprécie cette critique d’une relative inaction due à une complaisance statutaire de « souverainiste », j’ai néanmoins une réserve quant à votre lecture « factuelle » de la situation.
« Et si […] on se demandait simplement ce que proposent les deux partis? […] le PQ, un gouvernement provincial autre que libéral ou caquiste; QS, une opposition de gauche aspirant à terme au pouvoir, avec, dans l’intervalle, une volonté d’accueillir des souverainistes ayant envie d’«être» souverainistes à gauche du PQ ou ailleurs qu’au PQ. »
Je crois que dans le cas du PQ comme de QS, cette interprétation, bien que fondée, est caricaturale et non « objective ». (J’affiche mes couleurs: je travaille activement au sein de QS et j’ai par le passé milité brièvement au sein du PQ)
Au-delà de l’orientation idéologique dominante trop à droite pour moi, bien que sans cesse redéfinie, du PQ, il m’apparaît évident que différents niveaux de hardiesse, ou d’activisme, indépendantiste coexistent au sein du PQ. En fait, je crois qu’il faille plutôt critiquer la dominance presque absolue du ou de la chef-fe en matière de vision indépendantiste, mais aussi en ce qui concerne l’orientation idéologique, alors que ce parti a été pensé à l’époque comme un parti de masse. Il est en effet très difficile pour les membres de déterminer l’orientation de leur parti… un genre de « c’est à prendre ou à laisser » difficile à suivre.
Du côté de QS (autre couleur annoncée: j’ai travaillé en faveur d’une fusion entre ON et QS), je dois avouer que, jusqu’à la fusion avec ON, j’aurais été obligé d’adhérer au moins partie à votre interprétation. Toutefois, le fait de promouvoir la tenue d’une assemblée constituante afin de créer démocratiquement la future constitution d’un Québec indépendant ne m’apparaît une proposition aucunement attentiste, ou passive, ou statique. Bien sûr que pour mettre en oeuvre un tel projet, il faut que le (ou les) parti(s) au pouvoir en décide(nt) ainsi. Mais je ne vois pas en quoi est-ce une forme molle d’indépendantisme. Il s’agit à mon avis au contraire d’une manière, avec laquelle on peut ou non être d’accord, de redonner un sens et une vitalité populaire à ce projet d’émancipation.