D’abord et avant tout, établissons que Pierre Karl Péladeau ne vendra pas les actions de Québecor qu’il possède. Que les libéraux et les Caqueteux s’époumonent autant qu’ils le veulent bien, c’est écrit dans le ciel que PKP n’abandonnera pas son empire. Ce qui n’est pas une mauvaise chose pour le Québec inc. Qu’un tel fleuron demeure entre les mains d’un Québécois, c’est souhaitable et profitable pour la « belle province ». Voilà, la grande vérité de la Palice est dite.
Maintenant, est-ce que cette situation est aussi profitable pour la démocratie québécoise ?
Soyons bien clairs. Que PKP conserve ses actions ne transformera pas du jour au lendemain le Québec en une dictature péquiste à la sauce Goebbelsienne. Les médias continueront de couvrir l’actualité, donnant demain comme hier l’impression qu’on vit en démocratie. Les gens croiront toujours que par leurs votes ils exercent vraiment le pouvoir, alors qu’ils ne le confient qu’à des gens qui en font bien ce qu’ils veulent, sans jamais les considérer en dehors des périodes électorales. Notre monde de fous survivra à la candidature de PKP, quoi !
Demain matin, le surlendemain et encore plus loin dans le temps, il y aura encore un biais important des médias d’ici en faveur du statu quo, et donc du Canada ; principalement à cause du travail combiné de Gesca et de Radio-Canada. Deux ou trois grands groupes de presse contrôleront toujours le message qui se retrouve sur la place publique. Cela demeurera dramatique. Ça l’est encore plus quand ils disent tous à peu près la même chose ! Leur pouvoir indu sur notre vie politique qu’ils ne devraient pas avoir le droit de posséder demeurera.
Alors que tous ceux qui espéraient que le gouvernement du Québec s’engage enfin à diversifier la presse au Québec ravalent leurs rêves dès maintenant. Car ce n’est certainement pas le PQ de PKP qui posera un geste à ce chapitre. Ai-je vraiment besoin d’expliquer pourquoi ?
Je comprends aussi tout à fait les grands bonzes du mouvement souverainiste d’avoir dit de taire cet aspect peu reluisant du dossier afin de ne pas nuire à la cause qu’ils chérissent, que je chérie. Plusieurs parmi ceux qui ont signé la lettre d’appui à PKP le politicien et le grand propriétaire de média étaient assez, voire très âgés. Ils rêvent de voir le pays avant le trépas. Pour cela, il faut que les prochains événements aillent vite. Et la venue de PKP leur donne l’espoir d’une accélération de l’histoire. Pour eux, le reste importe beaucoup moins, et ce, même lorsqu’il est question de quelque chose d’aussi fondamentale que la liberté de la presse.
Moi aussi je rêve d’en finir au plus vite avec la geôle canadienne, mouroir du peuple que nous formons. Moi aussi je veux voir le pays du Québec avant ma mort. Parce qu’il sera bon pour moi et mes proches, mais également pour le monde dans lequel nous vivons. Et si PKP peut nous servir ce pays sur un plateau d’argent, alors j’applaudis de toutes les mains que je possède ; honnêtement et franchement, quoi qu’en disent les croyants de tout acabit.
Mais je comprends malgré tout les gens qui ne sont pas attachés à notre cause de libération nationale de trouver malsaine la relation que peut entretenir un grand maître du PQ avec l’un des deux empires médiatiques du Québec. Qu’un ministre, voire un premier ministre, accorde, par exemple, des points de presse devant des journalistes dont la moitié travaille pour lui est en soit questionnable, voire condamnable. Imaginez seulement ce qu’on dirait, nous, indépendantistes, si demain matin André Desmarais, fils de feu l’empereur Paul Desmarais et grand propriétaire de l’empire Power Corporation et donc de Gesca, se lançait à l’assaut des urnes du Québec sous la bannière du Parti libéral de Philippe Couillard. Trouverait-on normal qu’il puisse devenir ministre, voire premier ministre du Québec, tout en conservant la propriété de La Presse, du Soleil, du Quotidien et tutti quanti ? Poser la question, c’est y répondre.
Ceci étant dit, quel impact aura la carrière politicienne de PKP sur la couverture médiatique inhérente à la question nationale ?
J’ai déjà dit, dans une chronique précédente, que je considérais que PKP aurait beaucoup mieux servi la cause indépendantiste s’il avait imposé une solide ligne éditoriale indépendantiste à son empire plutôt que de sauter dans la joute électorale, là où son influence sera bien moindre qu’en tant que magnat de la presse. Il avait la possibilité d’accorder une place digne de ce nom à la souveraineté dans les médias d’ici, idée que soutiennent des millions de gens au Québec.
Un propriétaire de média a le droit de choisir la ligne éditoriale qui lui convient. Il est sain qu’il en aille ainsi, et personne n’aurait reproché à PKP d’imposer un changement de cap idéologique aux médias qu’il possède. Il aurait été facile pour lui et ses commettants d’expliquer qu’il est correct d’avoir un média indépendantiste au Québec, que le problème apparaît seulement lorsque toutes les lignes éditoriales disent à peu près la même chose ; comme c’est le cas présentement au Québec, alors que les idées fédéralistes et de droite dominent notre paysage public. PKP avait la possibilité de s’attaquer à ce problème de front (en ce qui concerne la place de la souveraineté s’entend), comme nul autre ne l’a pu dans notre histoire. Il avait l’opportunité de compléter d’admirable façon les œuvres de Jules Fournier, d’Olivar Asselin et de Gérald Godin. Il a préféré fuir le dossier en adoptant plutôt une stratégie militante classique qui consiste à se faire élire en espérant changer les choses par la suite.
En ce qui concerne la place de la souveraineté dans les médias de Québecor, je pense très sincèrement que la décision de PKP envenimera le problème. Il est clair que l’empire Québecor aura plus de mal demain de donner un appui au Oui à l’indépendance qu’il ne le pouvait hier. Imaginez ce que ça représentera, maintenant, pour un artisan de Québecor, d’afficher ses convictions souverainistes alors que le boss du navire amiral du mouvement souverainiste sera justement son patron ? Les commentaires du genre fuseront : « on sait ben, PKP pis le Parti Québecor !» ; « On ne mord pas la main qui nous nourrit, pas vrai ? » ; « A-t-il reçu un appel de son patron pour dire de telles choses ? », etc. La carrière politicienne de PKP exercera une très forte pression sur son empire, et pas dans le bon sens en ce qui concerne la question nationale ; et cette pression sur les professionnels de Québecor s’exercera fiducie ou pas, n’en doutez point.
La face cachée de la lune de la candidature de PKP sera donc de rendre Québecor encore plus timoré en ce qui concerne la question nationale qu’il ne l’est déjà.
Et cela n’est pas une bonne nouvelle pour le mouvement indépendantiste. Car sans média pour appuyer le camp de la libération, le pays du Québec sera toujours très compliqué à réaliser. Ça, ça fait 20 ans que je le répète ad nauseam. Et on dirait bien que ce n’est pas aujourd’hui que je pourrai enfin remiser ma vieille cassette TDK.