Les temps sont difficiles pour les bons vieux Canayens. Ceux qui sont devenus les Canadiens-Français après la Conquête et la britanisation systématique de son territoire. Les Pea-soups. Les Frogs. Les Damned Canucks. Ceux qui ont tenté de se libérer en devenant des Québécois et qu’on appelle parfois, avec mépris et dédain, les Québécois de souche. Le fameux Nous. Ce Nous honni qui voit aujourd’hui son identité remise en question. Ce Nous nié.
Ce peuple conquis, colonisé, paupérisé par l’occupant. Ce peuple qui a subi de nombreuses tentatives d’assimilation et qui, chaque fois, a su résister. Ce peuple qui, malgré tout, a dû s’accommoder des reculs causés par d’âpres combats en minimisant toujours la gravité des pertes. Ce peuple qui vivote entre impérialisme étasunien, néo-colonialisme canadien, vieux métropolitanisme français et provincialisme domestique. Ce peuple qui doit rester constamment vigilant sans quoi il voit sa langue lui être arrachée. Ce peuple qui, attaqué si souvent et blâmé des pires maux, a la mémoire en charpie et l’honneur en haillons. Ce peuple dont les héros et les faits d’armes disparaissent les uns après les autres dans le bourbier de l’amnésie éternelle. Ce peuple qui, au rabot de la honte, a varlopé ses accents. Ce peuple qui crache sur son propre folklore et qui considère ses traditions comme de vieilles reliques ringardes d’un passé qu’il vaudrait mieux mettre au rancart. Ce peuple schizophrène qui, trop souvent, regarde la vie avec les yeux du conquérant. Ce peuple qu’on a cherché à noyer et qui, quand même, est resté accueillant au possible. Ce peuple qui a vu sa quête d’universel être travestie en repli sur soi et en xénophobie. Ce peuple minorisé, affaibli, volé, humilié, mis en tutelle, vassalisé. Ce peuple qui, après s’être sorti de la mentalité du porteur d’eau, a su travailler à sa libération mais qui, trompé dans ses espérances et trahi par ses élites, a accepté la logique de défaite et s’est conforté dans l’indifférence et le reniement de soi, renouant ainsi avec la vieille pensée du « né pour un petit pain ». Ce peuple qui pourtant, avait vu de si près les rivages de la liberté. Ce peuple inachevé, acculturé, rapetissé. Ce peuple en trop dans sa propre maison. Ce peuple en marge de l’Histoire.
Malgré qu’il semble avoir définitivement troqué la foi pour le doute, ce peuple qui toujours, a trouvé le moyen de ressortir vivant des hivers de toutes sortes, ce peuple porte encore en lui la possibilité d’un sursaut et peut-être, seulement peut-être, n’a-t-il pas encore dit son dernier mot. Et s’il arrive à le prononcer, vaudrait mieux le crier à tue-tête, que l’écho s’en empare et le répercute aux quatre vents. Pour que plus jamais, nous ne soyons tentés de dire, à la manière du confus en chef, que nous serions « peut-être quelque chose comme »…
Ça fait longtemps que j’ai pas lu un aussi beau texte sur notre condition nationale. Très belle plume. Elle ira loin et fera des ravages. Que l’auteur ne doute pas de l’issue de notre combat, elle est écrite dans notre géographie, dans notre histoire et maintenant sous sa plume.