Les médias et les commentateurs politiques ont été complètement déboussolés de voir des partisans de Donald Trump en armes occuper le Capitole de Washington en janvier. C’est que l’élection du nouveau président démocrate Joe Biden a ouvert une nouvelle ère politique d’espoir et d’inclusion, non?
L’erreur que font bien des gens concernant l’extrême-droite est de penser qu’elle naît spontanément suite à l’élection de personnes comme Trump. Bien sûr, ces populistes de droite participent à exacerber les comportements racistes, nationalistes et sexistes dans la population, mais la construction d’une tendance d’extrême droite commence bien avant. Si les populistes comme Trump jouent un rôle actif pour alimenter l’extrême-droite, l’élite progressiste, libérale et démocrate lui a toutefois pavé la voie passivement pendant des décennies d’inaction face à l’écroulement des conditions de vie des travailleurs et des travailleuses.
Les Démocrates, artisans de leur propre malheur
Depuis la récession de 2007, les Démocrates ont fait ce qu’on attend de tout parti capitaliste. Qu’il se dise de droite ou de gauche, qu’il soit rouge ou bleu, que sa candidature présidentielle soit blanche ou noire, un homme ou une femme, le Parti démocrate a d’abord aidé la classe dominante à traverser la crise plutôt que les travailleurs et les travailleuses. Ce parti est à la remorque des banques et des multinationales qui le financent grassement.
Ce sont les politiques de surenrichissement de classe capitaliste et l’appauvrissement constant de la classe ouvrière qui ont fait surgir les plus réactionnaires du lot. Les conditions gagnantes pour le populisme de droite ont été servies sur un plateau d’argent à Donald Trump. Ce dernier n’a eu qu’à s’en servir, prononcer les discours que les gens en colère voulaient entendre, en pointant du doigt de faux coupables.
La politique du «moins pire»
Les Démocrates n’ont pas seulement préparé le terrain pour Trump, ces gens ont attaqué le seul candidat qui allait à contre-courant des politiques pro-capitalistes ayant mené à la crise: Bernie Sanders. La direction du Parti démocrate a tiré la plug sur la seule personne qui aurait pu mettre Trump en échec efficacement en 2016 et en 2020.
En 2016, guidé par la colère envers les politiques impopulaires des Démocrates, le peuple américain a choisi la stratégie du lesserevilism, ce qu’on appelle plus communément en français la politique du «moins pire» ou encore la politique du «moindre mal». Cette stratégie est souvent accompagnée par l’argument du «changement». Peu importe le changement, du moment qu’on ne revive pas les mêmes problèmes de l’ancienne administration, qu’on change le mal de place, à défaut de changer de système.
Les dés semblent déjà pipés lorsque l’on sait pertinemment qu’en restant dans un système capitaliste, rien ne peut vraiment s’améliorer. Devant l’alternance bipartisane entre Démocrates et Républicains, devant l’absence d’alternative réelle pour la classe ouvrière, on dirait qu’il ne reste qu’à voter pour le parti qui est la solution la moins désastreuse, ou qui, du moins temporairement, soulage notre colère face aux politiques d’austérité du dernier parti au pouvoir. Alors, Hillary Clinton ou Donald Trump?
Trump, quatre ans de cauchemar
Comme on se doutait bien, une fois Trump élu le lesserevilism a laissé place à quatre ans de politiques anti-immigration, de propos mensongers, racistes, misogynes, narcissiques, bref complètement déconnectés de la réalité des travailleurs, des travailleuses et des classes sociales les plus opprimées du pays. Tout ce que les Démocrates ont eu à offrir après ces quatre années a été un candidat insignifiant comme Joe Biden. Ce dernier a promis de ne rien changer des politiques de Trump, si ce n’est de nous exploiter avec plus de classe et plus de tact.
Comme en 2016, l’establishment démocrate a tassé Sanders pour ne laisser aucune ouverture à une alternative qui irait dans le sens des intérêts de la classe ouvrière plutôt que vers ceux de Wall Street. Sanders s’est lâchement rallié derrière Biden en fermant les yeux sur ses politiques exécrables, comme le fait qu’il a été l’architecte d’incarcérations de masse pendant le mandat de Bill Clinton. Même Alexandra Ocasio-Cortez a été plus critique en qualifiant le choix de Biden de politique de harm reduction (réduction des méfaits).
Sortir de la logique du bipartisme
En fait, il est plus intéressant pour les membres de ces partis de parler de réduction des méfaits que de politique du moins pire. En parlant de moins pire, on a l’impression de compromettre nos idéaux, alors que la réduction des méfaits ressemble plus à une position réformiste qui tente d’éliminer par étapes les problèmes de racisme systémique, de répression policière, d’austérité, etc.
Mais peu importe l’expression, ça revient pas mal au même: c’est une stratégie électoraliste qui met seulement en compétition les avantages et les désavantages de deux candidats qui défendent, à toutes fins pratiques, les mêmes politiques bourgeoises. Une expression plus visuelle qu’on entendait souvent dire de ça, c’était de comparer le choix Trump/Biden à celui entre la peste et le choléra. Le vrai changement doit impliquer un mouvement de masse qui amène les changements sociaux de la base vers le haut. Aucun messie ou candidat politique peut individuellement nous amener à une société plus juste. D’autant plus s’il n’est pas un porte-parole des vraies revendications de la classe ouvrière.
Suite au nouveau désistement de Sanders, la stratégie de notre section sœur aux États-Unis, Socialist Alternative (SA), lors des élections présidentielles de 2020 a été d’appuyer la candidature de Howie Hawkins du Parti vert. SA ne croit pas que le Parti vert soit LE parti de la classe ouvrière, tout comme Alternative socialiste ne croit pas que Québec solidaire le soit au Québec. Par contre, l’appui à ces partis permet d’ouvrir la porte à un vote qui casse avec l’hégémonie des partis bourgeois habituels et entraîne la classe ouvrière à explorer d’autres alternatives, de sortir des sentiers battus.
Cet appel permet d’aiguiller la réflexion sur la nécessité pour la classe ouvrière de développer sa propre voix politique. Il est possible d’utiliser les candidatures de tels partis pour organiser et mener des luttes réelles dans les communautés. Des luttes contres les capitalistes, qui pointent vers la nécessité de changer de système.
Pour l’instant, on voit que bien des adeptes de Democratic Socialists of America (DSA) s’accommodent trop bien de la victoire à l’arrachée de Biden. Et pourtant, il n’y a rien de si réjouissant, car la lutte est loin d’être terminée.
Le gazon n’est guère plus vert chez nous
Qu’en est-il du Québec et du Canada? Et bien nous avons exactement les mêmes mauvaises habitudes: se contenter de la politique du moins pire. On en fait même des stratégies électorales clairement avouées. Rappelons-nous des publicités syndicales qui, face au ras-le-bol anti-Harper au Canada, proposait de voter, non pas pour quelqu’un, mais contre les conservateurs.
Cela nous a amené à concéder le contrôle du pays à un premier ministre aussi insignifiant que Justin Trudeau. En terme d’alternance bipartisane au Canada, on n’a rien à envier aux States. Au Québec, l’alternance entre le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ) a durée 50 ans avant l’élection décisive de la Coalition avenir Québec (CAQ).
Ici, on a connu une écoeurantite des partis politiques principaux en alternance. D’une part, les libéraux sont constamment touchés par des scandales nauséabonds de corruption et de collusion depuis des décennies. C’est à croire que c’est dans leur ADN bourgeoise! De l’autre, les péquistes se sont rabattus sur le nationalisme identitaire à défaut d’offrir un vrai projet de société emballant pour la classe ouvrière au grand complet.
Les gens se sont contentés de voter pour le moins pire pendant plusieurs années, en opposition à un parti, non pas pour revendiquer avec enthousiasme le programme politique d’un parti. Et comme on le voit partout, la stratégie se limite à faire sortir le vote au quatre ans. Une fois les élections passées, c’est le calme plat et le retour à la case départ.
L’élection majoritaire de la CAQ est une rupture dans l’alternance bipartisane, mais une continuité dans la tentative de l’électorat à élire le moins pire. Ça reste un vote de contestation pour une bonne partie des gens qui se sont prévalu de leur droit de vote. La CAQ a représenté pour bien des Québécois et Québécoises notre version du lesserevilism.
Sortir des sentiers battus
Il est important de prendre conscience que tant que ces partis restent dans les limites du système capitaliste, il ne peut y avoir de réel changement pour la classe ouvrière. Déjà, pensons simplement à l’aspect environnemental. Comment espérer un vrai développement durable dans une société dont la production est gérée selon la quête du profit d’une clique plutôt que planifiée selon les besoins réels de la majorité? Comment espérer que les partis politiques de notre système parlementaire soient à l’écoute des besoins de la population, alors que la survie de ces partis est intimement reliée à leur financement par les multinationales et les gros joueurs de la finance?
Au Québec et au Canada, on peut estimer que les règles du financement des partis sont plus «sobres» lorsqu’on les compare au free for all qui règne aux États-Unis. Mais, la commission Charbonneau nous a montré que l’élite politique ne se gêne pas pour recourir à diverses tactiques pour contourner allègrement ses propres lois en toute impunité. Et comme les commissions sont toujours faites dans les limites du système actuel, on peut se dire sans se tromper qu’on a à peine égratigné la surface du problème.
Élections à l’horizon pour Montréal
Au détour de cette année, il y aura les élections municipales par au Québec. Cela pourrait nous donner une excellente opportunité de casser le cycle des appuis aux partis les «moins pires», à ceux qui se prétendent progressistes. L’administration de la Ville de Montréal sous Valérie Plante nous a démontré comment un parti, en apparence plus à gauche, peut trahir son électorat.
Il n’y a rien à espérer de partis qui renouent constamment avec les règles élémentaires du au plus fort la poche. En se débarrassant de Denis Coderre, les gens de Montréal ont tenté leur chance avec une femme prétendant incarner le changement. Mais une mairesse qui défend la classe des nantis et des promoteurs immobiliers, même sur un Bixi, ça reste une capitaliste.
On n’est jamais mieux servi que par soi-même
Il reste une chose importante à accomplir pour la classe ouvrière, c’est de construire son propre parti des travailleurs et travailleuses. Ça commence par l’élection de candidatures qui n’ont pas peur de s’en prendre aux riches et aux puissants. Seul ce courage politique peut nous permettre de mobiliser des masses de gens autour de revendications claires et pertinentes pour la majorité des travailleurs et travailleuses. Il faut arrêter de croire que le seul potentiel qui est entre nos mains, c’est celui de choisir notre bourreau au quatre ans, en espérant choisir celui qui nous fera le moins mal.
On vaut mieux que ça. Il faut compter sur des outils indispensables à notre réussite: la solidarité et l’organisation. Il faut que la jeunesse et la classe ouvrière s’organise, spécialement en se réappropriant les structures syndicales et militantes actuelles. Il n’y a que la classe ouvrière qui peut travailler POUR la classe ouvrière, dans SES intérêts et selon SES prérogatives.
Nous devons relever les défis de la situation actuelle et arrêter de se contenter des miettes qui tombent de la table des élites. Les décennies de victoires du «pire» et du «moins pire» nous ont prouvé, sans équivoque, que rien n’est vraiment gagné pour les travailleurs et travailleuses tant que nous n’aurons pas pris, non seulement toute la miche de pain qui se trouve sur la table, mais le contrôle complet du moulin!