Pendant ce temps à Gaspé…

Alors que les yeux de la planète étaient tournés vers Paris, là où l’attentat contre la salle de presse de Charlie Hebdo faisait franchir de nouveaux sommets à l’horreur, à Gaspé, la compagnie Pétrolia poursuivait ses agissements pétroliers en toute discrétion. Les dirigeants de la compagnie pouvant même annoncer, dans pareil contexte, qu’ils étaient tout près de pouvoir lancer la première production commerciale de pétrole de l’histoire du Québec.

Un tel scénario ravit bien sûr la compagnie. Mais beaucoup moins les citoyens de Gaspé. Et ce, parce que les puits de forage sont piqués dans le paysage à seulement quelques centaines de mètres des habitations. Et aussi parce qu’ils menacent les réserves en eau potable de cette ville de quelque 30 000 habitants.

Le gisement de pétrole qui se trouve dans le secteur de Gaspé représente seulement 23 jours de consommation de pétrole pour un groupe humain comme le Québec. C’est très peu. On est loin de parler, dans ce cas-ci, d’indépendance énergétique pour le Québec. Les opposants à ce projet en sont très conscients et stipulent qu’il est illogique de menacer la magnifique baie de Gaspé, de même que le parc Forillon qui est situé tout près et qui se ferait décoiffer par les pétroliers qui passeraient par là, pour aussi peu de pétrole, pour qu’une compagnie privée engrange des profits, risquant au passage de saloper un environnement qui est beaucoup plus payant touristiquement qu’industriellement.

Pour empêcher les requins voraces de parvenir à leurs fins, la Ville de Gaspé avait adopté il y a quelques années de cela un règlement qui interdisait les forages sur son territoire. Les capitalistes rencontraient un obstacle sur leur route les menant toujours vers le seul profit. Pétrolia en avait appelé des tribunaux pour casser ce règlement. Démarche bien exagérée puisque le gouvernement Couillard est venu à sa rescousse rapidement en adoptant, en juillet dernier, une loi qui faisait l’affaire de Pétrolia; la compagnie a dès lors pu relancer ses forages tout juste à côté des maisons de Gaspé, se contrefoutant ainsi d’une ville et de sa communauté comme de sa dernière chemise, et ce, grâce à la complicité écœurante d’un parti réputé pour coucher avec le grand capital.

Tout ce dossier démontre tout le danger qu’il y a de confier les ressources naturelles et leur exploitation à des compagnies privées. Celles-ci ne réfléchissent qu’en termes de profit. Le leur. Et ne démontrent aucun scrupule à passer sur le corps des citoyens si l’atteinte des objectifs l’exige. La Gaspésie a été classée comme l’un des plus beaux endroits à visiter sur la planète par le prestigieux magazine National Geographic. Au lieu de soutenir de toutes les façons imaginables la mortifère industrie pétrolière, le gouvernement devrait financer le développement de véritables outils touristiques pour vendre ce coin de paradis au reste de la planète. Collectivement, ça serait pas mal plus payant que de dérouler le tapis rouge à des compagnies comme Pétrolia. Mais le ridicule Office du Tourisme de la Gaspésie pèse bien peu dans la balance lorsqu’on le compare à l’industrie pétrolière! Surtout dans ce Canada accro aux sables bitumineux.

Cette histoire démontre également qu’il est fort périlleux de s’en remettre à des politicards pour gérer intelligemment le dossier de l’énergie (et dire que ceux-là nous concoctent présentement une commission de consultations concernant la politique énergétique du Québec…). De très gros sous sont impliqués dans ces dossiers. Et les veules qui gamiquent au sein de l’appareil d’État sont beaucoup plus sensibles aux pressions des lobbyistes et autres maniganceux de tout acabit que de celles exercées par de modestes comités de citoyens qui espèrent un environnement sain où vivre. Résultat: le gouvernement donne raison à une compagnie qui menace l’eau potable des gens et l’environnement de la Gaspésie pour des profits qui la concernent uniquement.

Dans l’essai Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, l’auteur Hervé Kempf démontrait à quel point le système dans lequel nous vivons favorise la corruption de l’appareil gouvernemental. Pour Kempf, l’individualisme et le matérialisme propres au capitalisme, de même que la réfutation des sensibilités collectives en cette époque de télé-réalité et de toujours plus de centres d’achats, ouvrent toute grande la porte à la corruption, une corruption dont se délectent les grandes compagnies entichées de profit et qui doivent bien souvent se frotter au gouvernement pour l’obtenir. Face à elles, les petits fonctionnaires qui rêvent d’enrichissement eux aussi sont des proies faciles.  Les petits députés sans envergure également. En cette ère de Commission Charbonneau, on peut difficilement donner tort à cet auteur.

Roberto Saviano, qui a étudié les mafias napolitaines, illustre parfaitement ce problème qui concerne la nature même du système capitaliste: « Ceux qui prétendent que c’est immoral, qu’il ne peut y avoir d’existence humaine sans éthique, que l’économie doit avoir des limites et obéir à des règles, ceux-là n’ont pas réussi à prendre le pouvoir, ils ont été vaincus par le marché. L’éthique est le frein des perdants, la protection des vaincus, la justification morale de ceux qui n’ont pas su tout miser et tout rafler ».

Et nous sommes encore et toujours dirigés par le Parti libéral du Québec…

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