Au temps de la Nouvelle-France, lorsqu’il ne restait plus à nos braves que sauver notre capitale, Québec, la guerre était déjà perdue. Toutes les autres lignes de front étaient déjà tombées, seul le baroud d’honneur demeurait. Abandonner Ottawa pour mieux nous réfugier à Québec aurait également un effet dévastateur. Nous serions plus encerclés que jamais par les forces de la soumission au grand Canada, celles qui ne cessent de chanter les louanges du bon vieux Jack pour avoir écrasé le Bloc lundi dernier. Un tel repli, une telle fuite en avant, ne confirmeraient peut-être pas notre défaite finale, mais à l’évidence, cela nous compliquerait drôlement la tâche pour la suite des choses. Et les choses sont déjà bien suffisamment complexes sans qu’on les complexifie en plus nous-mêmes.
Dans sa chronique d’hier, Jean-François Lisée y allait d’une formule lucide : « Et je ne suis pas de ceux qui jugent préférable de monter au combat avec le moins de moyens possibles ». Je suis ici tout à fait d’accord avec Lisée. Je puis comprendre que bien des indépendantistes en avaient soupé du Bloc Québécois de Gilles Duceppe. J’étais d’ailleurs l’un d’eux. Ne jamais rien faire pour faire avancer le projet indépendantiste en a convaincu plus d’un de l’inutilité du Bloc. Cela constitue une analyse bien superficielle.
La dernière direction du Bloc était fautive. C’est l’évidence même. Et on les a mis en garde à plus d’une reprise à propos des failles qui minaient sa stratégie, mais elle n’écoutait pas la base militante. En se concentrant dans divers dossiers qui ne concernaient pas la question nationale, la direction Duceppe a donné l’impression à plus d’un que le Bloc contribuait à faire fonctionner le Canada. Ce qui ne doit jamais être la mission confiée à des indépendantistes combattant sur la première ligne de front qui se situe sur le territoire ennemi, tous les militants sincères en conviendront. Ceci fut la grande erreur de Gilles Duceppe. S’il avait mis l’accent sur l’indépendance pour mieux préparer les combats futurs, ceux qui comptent, il n’aurait peut-être pas eu autant de succès électoraux par le passé, mais le Bloc n’aurait jamais chuté comme ce fut le cas le 2 mai dernier, défaite qui ne lui a laissé que quatre députés. Mais cela ne signifie aucunement que le problème était le Bloc en soi. Le Bloc n’est qu’une structure politique qui sera ce qu’en décidera la direction. Sous les mollassons, ce parti était mollasson. Sous une direction pure et dure, il sera pur et dur. Voilà ce que nous devons retenir.
Projetons-nous quelque peu dans l’avenir. Au cœur d’une future campagne référendaire par exemple. Est-ce que le camp indépendantiste serait alors mieux servi par la présence de 75 députés fédéraux-fédéralistes sur notre territoire, eux qui utiliseront toutes leurs ressources pour empêcher le Québec de se libérer ? Et là on parle d’importantes sommes d’argent. Ou est-ce que le camp indépendantiste ne serait pas mieux servi, au cours de cette même hypothétique campagne référendaire, par la présence de 10-20 ou 30 députés bloquistes vraiment indépendantistes qui appuieront le gouvernement du Québec désireux de libérer le Québec ? Poser la question c’est y répondre.
Au lieu de fermer la « shop » comme le proposent les adeptes des analyses à courte vue, il nous faut redresser la barre et donner naissance à un Bloc Québécois véritablement indépendantiste. Nous ne devons pas libérer la première ligne de front. Nous devons y demeurer et y combattre férocement en faveur du Québec libre. Le nouveau Bloc Québécois doit se consacrer à 100% à la lutte indépendantiste, et ne jamais plus afficher une attitude attentiste nationaleuse et provincialiste. Il doit mener les luttes que le Parti Québécois ne pourra pas mener parce qu’occupé par la gestion de l’État québécois.
Pour être d’une efficacité redoutable, ces députés du Bloc indépendantiste devront consacrer une partie de leurs salaires à la lutte pour un Québec libre, puisque l’argent est le nerf de la guerre. Ils devront utiliser leurs bureaux de circonscription comme autant de bases indépendantistes. Ils multiplieront les stratégies destinées à appuyer le Parti Québécois dans sa quête émancipatrice, l’une d’entre elles concernant les communications indépendantistes. Ils placeront au coeur de leurs discours les combats que nous devons mener contre le génocide culturel qui aspire à la disparition de notre peuple et contre le colonialisme économique qui asservit le Québec. Bref, ils feront tout pour faire éclater les crises dont Jacques Parizeau parlait il y a un an de cela afin de favoriser le projet indépendantiste. Ne pas avoir peur des polémiques, faire preuve de courage en travaillant avec intelligence pour notre libération, voilà l’attitude qui animera les bloquistes indépendantistes.
Ceux qui croient qu’un tel Bloc serait inutile devraient immédiatement réviser leurs analyses. Car ils ont tout faux.
En tout cas, en ce qui concerne l’organisation du Québécois, un tel programme concernant la première ligne de front relève de la plus haute importance. Nous lutterons afin de donner naissance à un véritable Bloc indépendantiste, rouage incontournable de nos succès futurs.