On ne voit cela, pratiquement, que dans la famille indépendantiste: des gens qui, après avoir accédé aux plus hautes fonctions et être devenus des géants de l’Histoire, retournent humblement militer dans la rue, dans les parcs, les bars et les salles plus ou moins défraîchies où ils s’entassent à nouveau avec leurs concitoyens, souvent inconfortablement, toujours gratuitement, sans autre ambition que celle de servir la cause qui leur est chère.
Les canadianistes du haut de l’échelle, eux, lorsqu’ils quittent la politique active, tendent à rejoindre toutes sortes de firmes privées et d’instances internationales dans les officines feutrées desquelles on les paiera grassement en échange d’un peu de leur prestige.
En fait de retour au statut de simple militant exemplaire, Bernard Landry est sans aucun doute le champion toute catégorie par mille longueurs, et il le restera fort longtemps. Monsieur Landry était tellement partout, tout le temps, que nous sommes probablement des centaines à pouvoir raconter une rencontre avec lui, un moment de partage, de collaboration, voire une relation plus soutenue. Sa disponibilité et sa générosité étaient hors norme, pour quelqu’un, si j’ose dire, de son rang.
En ce qui me concerne, j’ai fait l’expérience de ces belles qualités du Premier ministre Landry, pour la première fois, il y a une décennie. Je ne m’étais alors jamais impliqué en politique, et je n’avais absolument aucun contact avec la faune politicienne et militante. J’écrivais depuis quelque temps des textes de blogue lus par une poignée de fervents indépendantistes. Il faut dire aussi qu’un peu plus de deux ans auparavant, j’avais envoyé, privément, une lettre à M.Landry, suite à sa démission comme chef du Parti québécois, dans laquelle je suggérais qu’il serait possible et viable pour lui de se présenter à sa propre succession, et qu’il était parti trop tôt, la relève n’étant pas prête (et, surtout, pensais-je sans le dire aussi directement, ne lui arrivant pas à la cheville en termes de force de conviction indépendantiste.) Cette lettre était restée sans réponse.
Nous étions donc un peu plus de deux ans plus tard, en 2008, lorsque Le Devoir, qui me publiait à l’occasion, me contacta au lendemain de l’une de ces publications pour me faire savoir que Bernard Landry souhaitait me parler. Je m’empressai d’autoriser le journal à lui remettre mon numéro de téléphone. Peu après, cet homme, quasi mythique pour l’indépendantiste trentenaire que j’étais, m’appelait pour me dire à quel point nous étions d’accord sur le sujet que j’avais abordé à ce moment-là. Je n’en revenais pas.
S’ensuivirent. pendant quelques années, un certain nombre de dîners, de rencontres et de longues conversations téléphoniques qui furent pour moi, vous vous en doutez bien, non seulement agréables vu la personnalité chaleureuse de M.Landry, mais aussi très inspirantes et instructives même si, bien évidemment, nous n’étions pas toujours du même avis.
On me pardonnera, j’espère, cette anecdote toute au « je ». Elle ne se veut rien de plus qu’un bien modeste et imparfait hommage à cet homme qui sut, comme très peu d’entre nous, porter le flambeau de l’indépendance, et dont je revendiquerai toujours fièrement et égoïstement les quelques brefs moments qu’il m’aura consacrés. Merci encore, Monsieur Landry.