L’indépendance du Québec dépend d’un monde multipolaire

L’HÉGÉMONISME ANGLO-SAXON OBSTACLE À LA LIBERTÉ

Le Conseil national du PQ a pris une position en fin de semaine dernière qui décourage la fixette référendaire (quand? Comment?) pour inviter à la place les candidats à la course à traiter davantage du fond des choses. Il s’agit là d’une excellente orientation. Traiter du fond, c’est traiter du quoi et du pourquoi de l’indépendance et, j’ajouterais de son étendue, dans le sens de sa portée, de ce que l’idée d’indépendance englobe en pouvoirs souverains.

Sans surprise, la course actuelle porte largement sur le réformisme provincial déterminé, soit le renversement de l’ordre Libéral-Couillard-Desmarais par le Parti québécois. C’est certes une lutte indispensable à mener, une condition essentielle pour porter plus loin la cause de l’indépendance. Ceci dit, on aurait tort de penser que l’indépendance se fera dans la continuité naturelle d’un changement de la garde à Québec, à l’issue d’un changement somme toute conforme avec l’existence du Canada tel qu’il est. Le réformisme provincial même acharné, s’il est une condition évidente du progrès de la cause, demeure donc insuffisant. Ce dernier devra être augmenté d’autres pré-requis, dont la maturation du débat public qui sans délaisser la politique provinciale ne s’y confinera plus mais abordera de front le destin du Québec indépendant.

Si l’ordre Libéral-Couillard-Desmarais se situe dans l’ordre du provincial, l’ordre Défense-Monnaie-Banque se situe dans l’ordre du national. Le programme du Parti québécois prévoit que le Québec souverain conservera la monnaie canadienne, donc rejette pour le Québec la création d’une banque centrale. Il reste muet sur la défense nationale. Pour les cinq candidats à la chefferie, la question de la monnaie est inexistante, ce qui laisse supposer qu’ils entérinent le programme existant du parti. Quant à la défense nationale, le programme du PQ n’en parle pas. Le seul qui traite de la défense dans son programme est Pierre Céré, qui nous annonce que le Québec indépendant n’aura pas d’armée. Il ne précise pas si le Québec sans armée de ses rêves continuera de faire partie de l’OTAN et de NORAD.

Inutile d’aller plus loin pour constater la pauvreté du discours sur tout ce qui constitue le noyau dur, le coeur même de l’indépendance, les vrais pouvoirs qui permettent de gérer les «vraies affaires», pour reprendre cette expression galvaudée. Si les indépendantistes s’autocensurent à ce point sur ce qui ferait d’eux un véritable pays souverain c’est sans doute qu’ils sont mentalement sur la défensive face au principal obstacle de leur indépendance que constitue la volonté hégémonique anglo-saxonne sur l’ensemble de la planète. Cette volonté hégémonique est certes profondément inscrite dans l’histoire du Canada anglais vis-à-vis les néo-français et leurs continuateurs, mais elle est aussi parfaitement lisible dans le discours des chefs de file étatsuniens qui reviennent inlassablement sur le caractère exceptionnel de leur pays pour le monde, sur leur messianisme et leur devoir d’intervention dans les affaires des autres pays pour défendre leur propre intérêt qu’ils identifient sans problème au bien de l’humanité.

La mise à jour du projet d’indépendance du Québec, froidement, en rapport avec l’état des lieux de la situation mondiale et de la géopolitique contemporaine s’impose avec urgence pour ne pas continuer de ramer dans le surréalisme politique. Si rien ne bouge, l’observateur objectif ne pourra conclure que ce projet abuse des mots d’«indépendance» et de «souveraineté» pour ne livrer qu’un contenu qui se limite à un remplacement provincial assorti d’une volonté mal définie d’autonomie socio-culturelle. Pourquoi ne pas alors décrire ce projet comme une simple volonté (sans doute futile) de réforme du fédéralisme?

Un pays qui n’a pas d’armée, pas de banque centrale et pas de monnaie n’est pas un pays. C’est une province disposant de plus ou moins de pouvoirs mais privée des pouvoirs souverains.

Je crois donc que les cinq candidats, qui devront nous entretenir de leurs projets pendant encore trois mois, auront l’obligation morale et politique de nous présenter leur doctrine d’un Québec souverain sur un horizon de dix ans ou d’une génération, en ce qui concerne la monnaie, la banque, la défense nationale, les relations extérieures, le commerce international…

Je sais qu’une curieuse tendance en démocratie est aujourd’hui d’en dire le moins possible sur ses intentions afin de se garder les mains libres pour appliquer ensuite un programme qui conserve toutes ses marges de manœuvre. Cette situation est devenue effectivement un danger considérable de dissimulation qui se protège du caractère sensationnaliste de la presse et son parti pris en faveur du statu quo. Cependant, quand on porte un projet de l’envergure de l’indépendance, les candidats, s’ils doivent éviter de prêter inutilement le flanc à la critique, doivent s’exprimer suffisamment pour donner un corps et une âme à leur projet ultime et partager en des termes suffisamment concrets leurs plus grandes ambitions. Y a-t-il de la graine de chef d’État parmi eux? Nous le saurons au cours des prochains mois.

Chose certaine, un Charles de Gaulle n’a jamais caché, même dans les circonstances les plus difficiles, les grandes ambitions qu’il avait pour la France. Les cinq candidats pourraient s’inspirer de son discours de Phnom Penh ou de celui de l’hôtel de ville de Montréal, à l’occasion desquels il ne fut aucunement question de référendum mais du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de leur droit à la neutralité devant les grandes puissances et à la paix. Bien de chez-nous, Daniel Johnson père, décédé trop tôt, n’était pas dénué non plus de cette figure de chef d’État que le Québec de 2015 recherche avidement.
Sursum Corda

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