Libérer l’information

Certains croient que les grands médias ont perdu des plumes à cause d’Internet et qu’il est possible de leur faire contrepoids par exemple en se servant habilement des médias sociaux. Les grands groupes de presse eux-mêmes cherchent parfois à minimiser leur propre influence et aiment entretenir l’illusion que tout internaute ingénieux est capable, sans les médias, de se faire entendre par des millions de ses concitoyens. C’est faux. Les vagues qui sont lancées dans les médias sociaux ne deviennent des tsunamis que si elles sont amplifiées mille fois par les grands médias. Jamais on n’arrive à se faire entendre par des millions de personnes, sur des sujets d’importance, sans bénéficier d’un écho médiatique.

En exagérant l’importance des initiatives citoyennes, les grands médias veulent éviter d’être pointés du doigt dans les débats de société. Ils ne veulent pas qu’on les accuse de piper les dés ou d’avoir un poids démesuré. Ils ne veulent pas devenir eux-mêmes un sujet de polémique. Ils évitent de se critiquer entre eux. Ils entretiennent par le mutisme leur réputation de rigueur et de professionnalisme. Ils s’emploient même souvent à ridiculiser «ceux qui disent que c’est la faute aux médias» ou qui cultivent ce que certains journalistes appellent, sourire en coin, la «théorie du complot».

Les grands médias détiennent un pouvoir immense. Ils dirigent la circulation sur Internet bien plus qu’ils ne subissent des pertes d’auditoire. Ceux qui ont vu la fréquentation de leur site Web ou de leur blogue multipliée par cent ou par mille à cause d’un article ou d’un reportage dans les grands médias en savent quelque chose. La plupart du temps, les médias cherchent ainsi à susciter une controverse et non à informer utilement le public. Et surtout, jamais ils ne dirigent le public vers des sites qui, avec de solides arguments à la clé, remettent en question leur honnêteté ou donnent des versions des faits contraires.

L’organisation du Québécois a souvent été prise pour cible par les médias, mais elle n’a pratiquement jamais eu le droit de répliquer sur les tribunes médiatiques autrement que dans des entrevues plus ou moins piégées à la radio ou à la télé. Je me souviens notamment du refus de la Gazette de publier notre réponse à son éditorialiste Don Macpherson, qui avait porté des accusations aussi sérieuses qu’infondées contre nous. Il nous avait traités de «groupe séparatiste violent» et de «fiers-à-bras» du mouvement indépendantiste, ce qui relève de la diffamation. Nous n’avions pas pu exercer notre droit de réplique sans doute parce que notre réponse contenait des vérités qui auraient trop dérangé les patrons de M. Macpherson.

La fausse liberté de presse

Le combat pour la liberté de presse, contre la censure des États, a été dur et s’est étiré sur plusieurs siècles. Dans certains pays, cette liberté n’est pas encore acquise ou a été perdue, par exemple dans la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, où l’on emprisonne les journalistes, alors que, pendant le mandat de Laurent Gbagbo, la presse de l’opposition pouvait débiter tous les mensonges qu’elle voulait contre le président sans être inquiétée. Aujourd’hui, au Québec et ailleurs en Occident, la population est généralement persuadée que la liberté de presse existe bel et bien. De fait, on constate que le pouvoir politique en Occident est régulièrement malmené par la presse et on peut en conclure à première vue que celle-ci est libre. Mais il n’en est rien.

En réalité, la liberté de presse et, de manière plus générale, la liberté d’expression nous ont été confisquées par le grand capital, qui s’en sert pour raconter des histoires complètement fausses et nous mettre dans la tête des idées conformes à ses objectifs financiers. Les grands médias sont tous directement ou indirectement sous l’emprise des milliardaires qui ont pris progressivement les commandes du monde depuis le triomphe du néolibéralisme, à l’ère Reagan-Thatcher. Un journal supposément indépendant comme Le Devoir, par exemple, puise une grande partie de son contenu dans les dépêches des grandes agences de presse comme l’AFP ou Reuters, qui sont devenues de vulgaires instruments de propagande au service des riches marionnettistes de Paris, Londres et Washington.

La plupart des gens n’ont aucune idée de l’ampleur du conditionnement auquel nous sommes soumis. Même les personnes les plus politisées et les plus instruites se laissent la plupart du temps berner par les médias, qui vont même jusqu’à se berner eux-mêmes. Beaucoup de journalistes prennent les mensonges qu’ils nous font ingurgiter pour des vérités. La désinformation atteint des proportions colossales, au point d’inverser complètement la réalité. Les bons deviennent des méchants, et vice-versa. On peut en toute quiétude bombarder des civils, massacrer des enfants, violer des femmes, commettre les pires actes de torture, causer des milliards de dollars de dégâts et plonger des populations autrefois pacifiques et prospères dans la pauvreté et la terreur, et ce, en proclamant sans vergogne qu’on agit au nom de la démocratie et du respect des droits de la personne.

C’est ce qui vient de se passer en Côte d’Ivoire et en Libye, comme cela s’est passé en Afghanistan, en Irak, en Serbie, au Rwanda, en République démocratique du Congo, en Palestine, au Liban et ailleurs, où les populations continuent de souffrir cruellement du martyr qu’on leur a fait subir en vue d’améliorer le rendement de certaines grandes sociétés, en particulier les pétrolières, les minières, les banques et les fabricants d’armes. Ni Kadhafi, ni Gbagbo n’étaient des dictateurs ou des tortionnaires. Ce qu’on nous a fait croire à leur sujet est complètement faux.

Kadhafi n’a jamais commandité l’attentat de Lockerbie et Gbagbo n’a jamais ordonné à ses soldats de tirer sur des civils à l’arme lourde. Ce sont des mensonges flagrants. Au contraire, ils étaient aimés de leur peuple et avaient de grandes réalisations à leur actif. Kadhafi a entre autres permis à l’Afrique de disposer de ses propres satellites de télécommunications. S’il y a un système qui fonctionne en Afrique, à l’heure actuelle, au milieu de la pagaille, c’est bien la téléphonie cellulaire à bon marché.

Kadhafi et Gbagbo sont des hommes de paix et de progrès. Mais les deux ont le défaut de défendre leur peuple et de refuser d’obéir aux exploiteurs. Ce sont des empêcheurs de tourner en rond pour le grand capital désireux de piller les ressources naturelles abondantes de l’Afrique. Ils ont donc fait l’objet d’une intense campagne médiatique de salissage. Cette campagne a été tellement efficace que j’entends déjà des lecteurs protester: «Non mais, quand même, ce n’étaient pas des anges.» Oui, justement.

Par comparaison avec Bush, Obama, Chirac, Sarkozy, Cameron, Blair, Chrétien ou Harper, Kadhafi et Gbagbo sont des anges. Ils n’ont jamais semé la mort, ni dans leur pays, ni dans les autres pays, eux. Ce ne sont certainement pas eux qui devraient être traduits devant la Cour pénale internationale, mais bien leurs moralisateurs des grandes capitales occidentales, qui ont des millions de morts et de blessés sur la conscience.

La complicité et la naïveté

La désinformation à grande échelle est possible grâce à la concentration des médias entre les mains de quelques-uns, mais aussi grâce à la convergence du travail de ceux que Pierre Falardeau appelait les «journalistes à gages» et du travail d’autres serviteurs de la ploutocratie, que j’appellerais des démagogues et des humanitaires à gages. Bref, les maitres du système s’offrent non seulement des journalistes, mais également des politiciens, des universitaires et des ONG, y compris l’ONU elle-même, qui fait du reste l’objet d’un nombre croissant de manifestations hostiles dans le monde, parce que les populations locales perçoivent à raison les casques bleus comme des mercenaires venus participer à la destruction de leur pays. Tout ce beau monde grassement payé est recruté selon le critère de la servilité et de la compatibilité idéologique. Les serviteurs savent très bien qui les paient et agissent en conséquence. Pas besoin de fouet, en général.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que beaucoup d’employés obéissants du grand capital, qu’ils soient journalistes, pseudo-intellectuels ou humanitaires, sont complices de la désinformation et des multiples crimes que celle-ci sert à couvrir. Dans le cas de la Côte d’Ivoire et de la Libye, par exemple, la complicité de Radio-Canada est facile à établir et est d’autant plus scandaleuse qu’il s’agit d’une société d’État financée par l’argent des contribuables.

J’affirme disposer personnellement de suffisamment de preuves pour monter un dossier très accablant contre Radio-Canada concernant l’information internationale. Pour en avoir une idée, le lecteur peut consulter ma plainte contre la couverture radiocanadienne des évènements postélectoraux en Côte d’Ivoire. Contrairement à son obligation, l’ombudsman de Radio-Canada, Mme Julie Miville-Dechêne, a refusé de répondre à cette plainte. Elle répond à tous mes courriels sauf ceux qui concernent cette plainte. À mon avis, elle obéit à un ordre qui lui a été donné par la direction de Radio-Canada, après consultation des avocats de cette société. Radio-Canada a propagé sciemment, dans ce dossier, des mensonges tellement grossiers qu’elle pourrait nettement faire l’objet de poursuites judiciaires, ce qui fait qu’elle a choisi de ne pas aggraver son cas en reconnaissant sa culpabilité, ce que l’ombudsman l’aurait certainement obligée à faire, vu l’énormité et la grossièreté des mensonges, si ses patrons ne l’avaient pas empêchée.

D’autres journalistes sont tout simplement manipulés eux-mêmes au même titre que la très vaste majorité de leurs concitoyens. Cependant, la naïveté de mes concitoyens, y compris bon nombre de mes camarades indépendantistes, me déçoit beaucoup. Je dirais même qu’elle m’enrage, en particulier lorsqu’il s’agit de gens instruits et politisés. Les exemples de mensonges médiatiques et étatiques dans le passé récent sont très nombreux. On n’a qu’à penser aux attentats du 11 septembre 2001, qui n’ont certainement pas été commis comme on le raconte, vu les nombreuses invraisemblances dans la version officielle. On n’a qu’à penser également aux armes de destruction massive qu’était censé posséder Saddam Hussein. Les médias nous ont abondamment rebattu les oreilles avec ces mensonges. Dans le cas de l’Irak, la supercherie a été révélée au grand jour parce qu’elle était trop grossière, ce qui n’a pas empêché toutefois les psychopathes de la Maison-Blanche et du Pentagone de continuer leur destruction systématique de l’Irak. Mais dans d’autres cas, comme les attentats du 11 septembre 2001 ou encore le massacre des Hutus rwandais, des Congolais, des Libanais ou des Palestiniens, les médias persistent à ne pas reconnaitre leurs fautes. Néanmoins, beaucoup de gens se doutent qu’on leur a menti. Alors, comment se fait-il qu’ils soient toujours aussi naïfs devant les nouveaux mensonges?

Pourquoi des personnes qui constatent que les médias, les dirigeants politiques et un certain nombre d’autres serviteurs du grand capital leur ont menti un grand nombre de fois, sur des sujets extrêmement graves, sont-elles tout à fait disposées à croire que Kadhafi ou Gbagbo sont d’impitoyables tyrans? Chers compatriotes québécois, chers frères africains, chers camarades du Moyen-Orient, pourquoi êtes-vous si affligés par la désinformation lorsqu’elle est dirigée contre vous, mais si prompts à avaler toutes les couleuvres lorsque les mêmes menteurs débitent des inventions sur tel ou tel dirigeant étranger? Ne trouvez-vous pas suspect que l’on n’entende jamais des témoignages des populations favorables au prétendu tyran? Que les journalistes soient toujours «embarqués» avec les faux rebelles amis des puissances occidentales? Quand allez-vous enfin cesser de considérer les médias et leurs complices des ONG ou des milieux universitaires comme des gens crédibles ? Ce sont des ennemis jurés de la liberté. Il faut les considérer comme tels. Voici comment je vous propose de leur faire échec.

Une presse indépendante et libre

Nous devons sans tarder créer au Québec des agences de presse indépendantes et enchâsser le droit à une information exacte, judicieuse, impartiale et complète dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Ces agences, qui pourraient être au nombre de trois, relèveraient directement de l’Assemblée nationale et d’un comité de supervision citoyenne. Elles seraient financées par les deniers publics. Tout contribuable pourrait choisir quelles agences il souhaite financer et dans quelle proportion, mais il serait obligé d’en financer au moins une, et le prélèvement fiscal serait prédéterminé et proportionnel au revenu.

Les médias privés seraient eux aussi obligés de participer au financement des agences de presse indépendantes. Ils seraient obligés d’acheter leurs reportages et de les diffuser, à raison d’un certain pourcentage du contenu de chaque site Web, journal, radio ou chaine télévisuelle. Le prix de vente serait proportionnel à la taille du média. Un prix très bas serait offert aux coopératives d’information, comme les radios communautaires. En outre, les agences de presse auraient leurs propres moyens de diffusion et pourraient, par exemple, offrir au public des compléments d’information sur ce que les médias diffuseraient.

La critique des médias serait permise, voire encouragée, mais elle se pratiquerait de manière civilisée. Ainsi, un journaliste ou un éditorialiste d’une des agences de presse aurait le devoir de souligner les faussetés et les sophismes véhiculés par André Pratte, pourvu qu’il ait de solides preuves à l’appui et qu’il ne profère ni insultes, ni autres attaques personnelles.

La surveillance des agences de presse serait très rigoureuse. Il faudrait voir à ce qu’aucun journaliste ne soit sous influence. Il faudrait, par exemple, que rien n’empêche les journalistes d’enquêter sur les riches qui gouvernent le monde, plutôt que de se borner à révéler des petits scandales dans le monde politique, où les maitres du jeu ont plus d’une marionnette en réserve pour remplacer celles dont la réputation a été irrémédiablement ternie. Des gens ayant l’influence médiatique, économique et politique des Desmarais ne devraient certainement pas être à l’abri des enquêtes journalistiques.

Les médias québécois n’auraient pas le droit de diffuser plus qu’une certaine proportion de dépêches d’agences de presse étrangères, c’est-à-dire non québécoises. Ils pourraient avoir recours autant qu’ils le voudraient à leurs propres journalistes, basés au Québec ou temporairement à l’étranger, mais ne pourraient servir de courroie de transmission de la propagande diffusée par les grandes agences de presse comme l’AFP et Reuters, qui sont de vrais nids de menteurs. Les médias appartenant à des intérêts étrangers diffusant au Québec seraient soumis aux mêmes règles.

Les agences de presse québécoises seraient tenues de faire enquête sur tous les sujets d’intérêt public et d’y consacrer leurs ressources selon l’importance réelle de ces sujets pour la population. Autrement dit, finis les potins vendeurs et finie l’exploitation en silence du pétrole du Québec, à l’abri des caméras.

L’Assemblée nationale et le comité de surveillance citoyenne auraient le droit d’examiner non seulement le travail des agences de presse québécoise, mais également le travail des médias privés et des agences de presse étrangère dont les dépêches seraient diffusées par les médias québécois. Ils pourraient exiger que les médias québécois cessent de diffuser ces dépêches s’il était prouvé qu’elles étaient mensongères ou destinées à occulter des faits importants.

Évidemment, la principale difficulté pour mettre en oeuvre ces propositions est le fait que les télécommunications sont un domaine de compétence fédérale et qu’elles pourraient faire l’objet de contestations en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Il faudrait voir comment on pourrait traduire ces propositions sur le plan juridique pour qu’elles puissent être légales en vertu du droit fédéral. Au pire, on pourrait les mettre en oeuvre après l’indépendance du Québec, mais il serait nettement préférable qu’elles le soient avant, du moins en partie, pour faire échec à la propagande fédéraliste à l’occasion du prochain référendum.

Une chose est certaine, en tout cas, les mensonges de Radio-Canada et son entente secrète avec Gesca pourraient servir de monnaie d’échange dans les négociations avec le gouvernement fédéral. Si l’État québécois le voulait, il pourrait porter plainte contre Radio-Canada pour malversation et révéler au public quel usage incroyablement frauduleux les journalistes à gages et leurs patrons ont fait des deniers publics, au détriment des Québécois et des damnés de la terre.

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