Avant l’avènement de la loi 101, c’était la triste réalité linguistique au Québec. Une réalité mortelle pour le français c’est évident. L’anglais s’imposait partout (au travail, dans la rue, dans les commerces, etc.) et le français était carrément détruit par un bilinguisme qui déconstruisait notre langue nationale. Le poète donnait de nombreux exemples de ces aberrations que l’on pouvait voir dans l’espace public québécois : « In use/En usage », « Prévenez les maladies lourdes », « Ne dépassez pas quand arrêté », « Avancez en arrière », etc. Heureusement, avec la loi 101, le visage du Québec allait se franciser en grande partie… pour un temps. Les tribunaux canadiens et notre mentalité de colonisé allaient cependant bientôt nous ramener vers la case départ. Donc, à la fin de sa vie, Miron craignait avec raison que l’on retourne à l’anglicisation par le bilinguisme et à ses effets destructeurs. Avancez en arrière…
Nous en sommes là en 2011. La loi 101 ayant perdu à peu près toutes ses dents après plus de 200 amendements imposés par la Supreme Court of Canada, n’étant plus défendue ni même appliquée pour ce qu’il en reste, l’anglais et ce que Miron appelait le « traduidu », un français traduit de l’anglais qui n’a plus rien de français, comme dans les exemples précédents, l’anglais et le traduidu, donc, occupent toute la place, comme au bon vieux temps cher aux colonialistes d’ici d’un Québec parfaitement anéanti dans la moelle épinière de son identité : sa langue.
Le bilinguisme ravageur revient en force depuis les années 1990, et cette fois auréolé d’une nouvelle vertu : l’anglais, c’est l’ouverture sur le monde à l’heure du village global! Ah oui? Mon œil! Lorsque notre langue ne sert qu’en traduction incompréhensible de la langue de l’Autre, c’est la perte de soi pure et simple. Ce n’est pas de l’ouverture, c’est se faire avaler purement et simplement par la culture anglo-saxonne hégémonique qui lamine tout en Amérique du Nord et même ailleurs sur la planète. Or, au Québec, il n’y a plus guère de choix : ou résister, ou filer droit vers la louisianisation, lentement mais sûrement.
D’ailleurs, la question linguistique au Québec est bien sûr une question politique liée à notre statut de province, de semi-État inféodé à un autre État, lequel détient le vrai pouvoir. La majorité canadienne gouverne avec son État dont elle a le parfait contrôle et le Québec subit. Ainsi, ni la nécessité de la loi 101 ni les manifestations pour la défendre n’ont pu empêcher que cette loi perde son pouvoir. Bien sûr, nos élites politiques sont aussi responsables de ne pas avoir confronté Ottawa sur la question linguistique en opposant un refus clair et net aux prétentions du Canada, par-delà la supposée légalité canadienne. Au contraire, ils sont se pliés à la Constitution canadienne, qu’ils n’ont pourtant pas signée, et aux jugements de la Cour suprême. Ils ont refusé d’agir de manière souveraine. Ils refusent même de défendre et d’appliquer ce qui reste de la loi 101, au risque de déplaire à la majorité canadienne. Pourquoi? Parce que le Québec n’est qu’une province et que nos élites ne sont que des élites provinciales qui refusent d’agir dans l’unique intérêt du Québec français, par peur, par lâcheté ou par calcul.
Sans l’indépendance politique, nous sommes donc condamnés à cette situation, c’est-à-dire au provincialisme et à l’assimilation lente. La mort lente, comme disait mon ami Falardeau. Déjà, le Québec ne pèse plus très lourd dans la fédération canadienne. La démographie nous rattrape rapidement. Nous n’avons pas 100 ans pour faire l’indépendance. Gilles Duceppe avait raison cet été lorsqu’il a déclaré que le Québec n’a que 15 ou 20 ans pour donner un coup de barre avant de franchir le point fatal de la folklorisation et de l’assimilation. En passant, voilà ce que Duceppe devait dire alors qu’il était à la tête du Bloc, ce qu’il ne faisait jamais… Maintenant qu’il est à la retraite, il parle enfin! Des élites provinciales, disions-nous, même dans le mouvement indépendantiste.
Or, l’espoir est encore permis. On peut se donner dans les prochaines années un pays libre et indépendant de langue française malgré les problèmes actuels du mouvement indépendantiste québécois. Quinze ou 20 ans, c’est peu, mais c’est suffisant si nous sommes sérieux et organisés. Et nous pouvons l’être. De toute façon, il n’y a plus de place pour les reculs. On ne peut plus « avancer en arrière ». Ou bien on avance vraiment, ou bien on recule dans le précipice. Je ne peux croire que les Québécois choisiront le précipice. Et je refuse d’offrir du désespoir en cadeau à nos ennemis. Comme Miron jusqu’à la fin de sa vie, je continue d’espérer et je me bats.
« Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver
Nous entrerons là où nous sommes déjà
Ça ne pourra pas, car il n’est pas question
De laisser tomber notre espérance »
– Gaston Miron