L’exotisme régional québécois

Au Québec, la région comme exotisme est une fabrication bourgeoise des élites culturelles montréalaises. Cela s’explique de plusieurs manières. D’une part, le discours culturel est majoritairement produit depuis l’épicentre urbain de Montréal, de l’autre comme Montréal est la plus grande ville universitaire québécoise, la métropole attire nécessairement vers elle un nombre considérable d’étudiant-es provenant des régions qui en viennent à adopter le point de vue montréalais. Le phénomène n’est évidemment pas systématique et ne répond pas à une règle générale. Toutefois, quiconque issu des régions ayant résidé dans l’espace culturel montréalais peut témoigner de cet écart majeur qui existe entre elles et la ville urbaine. Il ne s’agit pas non plus de célébrer la « pureté » des régions et l’authenticité des habitants, comme dans tout roman du terroir qui se respecte.

Je ne dis pas que les montréalais-ses ignorent la réalité des régions et qu’ils-elles s’en font tous-tes l’image d’une contrée mythique, comme le célèbre «royaume du Saguenay » (expression entendue la première fois dans un concert de Neil Young où deux faux golden-boys du quartier des affaires me racontaient s’être fait offrir une fellation par presque toutes les serveuses des brasseries de Chicoutimi). Ce serait grossier et malhonnête, comme le mensonge des goldens-boys du concert de Neil Young. À ce que je sache, le cinéaste-écrivain Pierre Falardeau est né dans le quartier SaintHenri, a vécu à Montréal toute sa vie et connaissait l’âme de ces régions tout aussi bien que celles et ceux qui en proviennent. Moi-même, je connais des montréalais qui s’inquiètent tout autant de la folklorisation des régions québécoises par des bobos – véritables produits des cultural studies – fascinés par une culture de la pauvreté simpliste (les rednecks de Beauce et les danseuses abîmées de Val-d’Or) et qui viennent eux-mêmes jouer aux pauvres dans un quartier qu’ils ont tristement rebaptisé HoMa.

Les rituels, les codes sociaux et la proximité humaine propres à la vie des régions correspondent difficilement à ceux de la métropole. Même si mes parents ont complété des études universitaires, provenant d’une petite ville industrielle de l’extrêmebanlieue montréalaise, j’ai longtemps côtoyé des enfants d’agriculteurs, de mécaniciens et de coiffeuses. J’ai aimé ces gens, je les aimerai toujours et davantage que les universitaires avec qui je partage très peu de choses. Que dire du choc vécu lorsque je suis arrivé à l’Université du Québec à Montréal. J’ai dû apprendre avec beaucoup de difficulté la langue universitaire – langue que je maîtrise encore très mal – et à prendre la parole lors de séminaires et colloques où m’ont conduit les études littéraires. Même si j’ai traversé ces études littéraires sans trop de difficulté (une professeure m’a quand même accusé de ne pas savoir écrire), je porte néanmoins cette culture rurale des régions, cette « culture de la pauvreté » qui me hante et c’est depuis elles que j’écris.

La région devient progressivement un exotisme, un ailleurs appartenant à l’immensité américaine du continent, habité par des créatures mythiques. On observe autant cet exotisme au sein du discours universitaire que dans les pratiques littéraires québécoises. Par exemple, la fameuse «École de la Chainsaw », la « ruralité trash » inventée par Mathieu Arsenault et les trips d’acides en motoneige décrits dans les performances improvisées du Duo Camaro sont autant de représentations caricaturales de la région qui établissent une distance de plus en plus infranchissable entre le point de vue montréalais – point de vue dominant souvent chargé de mépris – et les autres régions où l’on retrouverait des cowboys transfigurés par la mélancolie et la cocaïne, des rednecks esclaves des machines à poker et de la Budweiser, des filles-mères abandonnées qui rêvent d’être sauvées par l’arpenteur montréalais en visite.

En adoptant un tel point de vue sur les régions, on tombe rapidement dans la taxidermie culturelle et la folklorisation de la mémoire qui nous rendent étrangers à notre propre pays. Tous ces clichés véhiculés par une nouvelle génération d’écrivain-nes fasciné-es par l’imaginaire de la région comme Far-West témoignent d’une immense séparation historique qui perdure entre les « propriétaires » du discours culturel et ceux-celles qui le subissent.

Posted in chroniques arts et culture, Journal Le Québécois.

2 commentaires

  1. Et que faites-vous des textes comme La déesse des mouches à feu de Pettersen et Arvida d’Archibald? Je peux concevoir l’idée d’une création du mythe des régions par des regards extérieurs, mais le regard de la région par ses propres écrivains reprend les mêmes « cristallisations » des imaginaires collectifs. Je vois dans cette mouvance un épuisement des imaginaires montréalais au détriment des régions. Cette folklorisation à mon sens cache quelque chose de plus profond qu’un simple exotisme de l’intérieur.

    Cependant, il reste des éléments frappant dans nos régions qui n’ont jamais pu prendre une forme littéraire. Le prochain Mathieu Arsenault n’est pas qu’une simple imagination des bars saguenéens. Il y a une part de vrai dans cette poésie de la vie nocturne des bars, et celle-ci s’applique également au grande centre. Parfois, dans ce regard de l’autre, on retrouve du nous.

    p.s. Je te propose d’ajouter en lien cet article de Melançon sur l’idée de l’école de la « tchén’ssâ ». http://oreilletendue.com/2012/05/19/histoire-de-la-litterature-quebecoise-contemporaine-101/

  2. Il semble que l’auteur soit lui-même imbibé des cultural studies et du conformisme idéologique uqamien.
    Le culte de la féminisation des textes représente la quintessence du conformisme idéologique montréalo-centriste.

    Il y a donc un problème entre la forme et le fond du texte, ce dernier étant par ailleurs plutôt convaincant.

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