L’enjeu du Conseil national de Québec solidaire de la fin mars : l’identitarisme

Arrêter net la montée identitaire qui pénètre le parti

Après le racisme des arénas et l’attentat terroriste de la mosquée de Québec et suite à l’apparition médiatique des groupes d’extrême-droite telle La Meute, l’élection de la CAQ, qui d’entrée de jeu tape sur les clous islamophobe de la répression des femmes voilées et anti-immigrant de la diminution des quotas et d’un recrutement pro-patronal encore plus serré, plonge le Québec plus que jamais dans le morbide identitarisme qui gagne le monde. Faut-il se surprendre que Québec solidaire, parti à carte d’une vingtaine de milliers de membres enracinés dans le terroir québécois en subisse les contre-coups ?

En fut le révélateur l’électrochoc de la manifestation d’une centaine de personnes organisée par les « Chinois-es progressistes du Québec » contre les propos sinophobes d’une députée Solidaire excusés trop peu trop tard après une tentative de diversion puis celle de blâmer les critiques et de s’excuser à demi-mot. Non seulement la porte-parole de ce groupe a-t-elle déjà été une candidate Solidaire mais la manifestation a été soutenue par un porte-parole reconnu de la gauche de la communauté haïtienne et ancien candidat vedette de Québec solidaire, par la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et par l’Association des femmes est-asiatiques… et par le chef du Parti vert qui tente de profiter de l’occasion pour rallier à son parti la gauche québécoise racisée.

On voit les dégâts politiques si Québec solidaire devenait, comme la CAQ, comme le PQ, irrémédiablement un parti de la majorité blanche francophone avec peut-être un appendice francophone non blanc. Il faut résister à la tentation d’envoyer sous le tapis cette bavure d’autant plus que l’on voit surgir depuis lors sur des fils de discussion privés et internes au parti une contre-attaque des tenants de l’Option Bouchard-Taylor, tout à fait légitime bien sûr, mais qui tente de redorer son blason en accusant ses critiques de les traiter de racistes. On voit même apparaître le phénomène « fardeau de l’homme blanc » qui plaide la vertu modératrice des positions centristes contre les extrémismes de droite et de gauche… et que Québécor n’a pas manqué de mettre en évidence. Comme si un parti de gauche luttant contre la crise civilisationnelle de l’humanité engendrée par le néolibéralisme guerrier pouvait ne pas recourir à des solutions extrêmes d’un point de vue capitaliste.

Qu’il y ait eu certains dérapages dans la chaleur du débat, on n’en doute pas. Mais là n’est pas le fond de l’affaire. Le débat sur les options met plutôt en relief que l’évolution de la conjoncture depuis de dit « compromis » est clairement au renforcement mondial et québécois de l’islamophobie qui cherche à s’insinuer dans toutes les brèches que la loi lui ouvrirait y compris symboliques. Le « compromis » est devenu une stigmatisation des femmes voilées, les plus opprimées des opprimées, et son maintien ouvre la porte à son éventuel élargissement, comme en France, qui lui sera plus que symbolique. L’électoralisme de l’adaptation à l’opinion publique fabriquée par les tenants de l’idéologie dominante, au lieu de la combattre à contre-courant comme il sied à tout parti de gauche, se double ici d’une concession à l’extrême-droite dont le développement au Québec est à tuer dans l’œuf.

Remettre en question le capitalisme (vert) pour une indépendance éco-féministe du « prendre soin »…

Un grand nombre de partis de gauche ont vogué de victoire électorale en victoire électorale pour s’enliser dans le cloaque du capitalisme aujourd’hui néolibéral, du PSD allemand qui a assassiné Rosa Luxembourg et du Parti communiste russe stalinisé qui a tué et envoyé au goulag les révolutionnaires d’Octobre jusqu’au Syriza grec et au PT brésilien qui ont renié le mouvement social qui leur avait valu leur victoire électorale. Les peuples de ces deux pays paient très cher le retournement de ces partis vire-capots et c’est pire pour le peuple du Venezuela que le chavisme a enlisé dans le nationalisme extractiviste en n’en faisant une proie de choix pour l’impérialisme étasunien. La résilience anti-impérialiste étasunien de ce peuple, malgré tout, est à saluer et à appuyer.

La crise générale de la civilisation de classe née au néolithique, dont le capitalisme néolibéral est le paroxysme, après le jeu macabre de la roulette russe des armes de destruction massive du siècle dernier qui continuent de menacer, se mue en ce siècle en crise climatique et de la biodiversité qui tel le mécanisme d’une bombe à retardement garantit l’effondrement de l’humanité civilisée avant l’aboutissement de l’espérance de vie des enfants nés aujourd’hui. C’est cela qui doit être au cœur de la politique de notre parti. Tout le reste en découle : le rejet de toute forme d’identitarisme pour créer les conditions de l’unité populaire combative; le rejet du capitalisme vert, cette chimère technologique de grands projets inutiles financée par l’austérité pour enrichir une poignée de transnationales.

Grâce à une indépendance internationaliste récusant le Canada financier et pétrolier du Quebec bashing, le contrôle de l’épargne nationale donnera au peuple québécois les moyens du socialisme du plein emploi écologique de l’économie éco-féministe du « prendre soin » fait autant de révolution énergétique, des transports de l’agriculture et de l’urbanisme que de services bonifiés de santé, d’éducation et sociaux économes en énergie fossile et riches en relations sociales anti-consuméristes. C’est de cela qu’il faut débattre dans le parti, particulièrement dans nos formations.

… et la priorité organisationnelle électoraliste pour un parti de la rue fer de lance de la lutte climatique

La mobilisation de la jeunesse du Québec et d’ailleurs dans le sillage du mouvement « La Planète s’invite » est la grande bonne nouvelle mobilisatrice de l’année militante en cours… presque la seule avec la grève des stages de cette même jeunesse. Huit ans après le Printemps érable, victoire défensive mais à un coût élevé au goût amer, la jeunesse étudiante se remobilise en combinant la lutte pour leur reconnaissance, surtout des femmes, comme travailleuses (en formation) de plein droit et la lutte pour une société libérée de la dictature capitaliste qui mène l’humanité civilisée à sa perte avant la fin du siècle.

Heureusement, Québec solidaire a pris le bateau en marche en convoquant ses membres aux manifestations climat du 15 mars partie prenante du mouvement mondial climatique de la jeunesse. C’est un prix de consolation faute de ne pas avoir été capable de prendre les devants du mouvement climat après avoir décidé d’une campagne climat qui ne démarre pas. Le parti parlementaire prend trop de place par rapport à celui de la rue tant en répartition du temps de la permanence, de priorités organisationnelles et même de programme. On commence à se rendre compte chez la militance du parti que le noyau du Plan de transition, imposé par le Comité de coordination nationale à parti d’un rapport resté secret d’une boîte à penser liée au PQ, n’est que la Politique de mobilité durable des ex-Libéraux aux hormones, relevant d’un capitalisme vert plus conséquent.

Ré-axer le travail du parti sur la rue, à commencer par la mobilisation de ses membres, est le défi interne de l’heure. Car il faut un parti remobilisé, en particulier sur la grande lutte du XXIe siècle, pour corriger la tendance à l’électoralisme qui donne la priorité à la machine électorale et à l’adaptation au capitalisme, ce qui a transformé les victoires électorales de Syriza et du PT brésilien en défaites populaires. Pour que le parti militant encadre l’aile parlementaire, et non pas vice-versa, cette militance doit être mobilisée sur ce qui lui tient le plus à cœur. Puis viendra le test du Front commun du secteur public à comprendre comme un aspect de la lutte climatique, contrairement à l’étroitesse capitaliste vert du Plan de transition, comme étant le cœur de la société éco-féministe de « prendre soin » qui devrait être le but stratégique de Québec solidaire.

Un choix de candidatures politiquement différenciées

Au prochain Conseil national, deux candidatures me semblent représentatives de cette orientation. Molly Alexander a compris que « [d]’autres formations de gauche à travers le monde ont connu des succès similaires à QS. L’une d’entre elles, SYRIZA, a même été portée au pouvoir en Grèce avec l’appui massif des travailleurs et travailleuses. Toutefois, les député·es progressistes ne peuvent résister longtemps à l’assaut néolibéral sans une masse critique militante derrière eux. C’est cette force politique consciente qu’il faut développer à QS. » Mais considère-t-elle adéquat le noyau socio-économique capitaliste vert du programme Solidaire ? Thibault Camara a compris qu’il faut donner la priorité à la campagne politique sur le climat et à la centralité de la mobilisation de la jeunesse. Mais il n’explique pas pourquoi cette campagne ne décolle pas.

Notre parti s’installe-t-il dans la politique parlementaire du juste milieu nourrie de sondages à l’infini reflétant la force idéologique de l’idéologie dominante à combattre et se contentant d’un plat réformisme d’un capitalisme irréformable ? Ou osera-t-il aller à contre-courant en devenant le parti de la rue reconnu par le mouvement social pour la pertinence de ses analyses politiques et son plan d’action de mobilisation populaire capable à terme d’ébranler la forteresse néolibérale et trouver la brèche pour la conquérir ?

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