Le coup fourré du 24 juin oblige à l’affrontement du discours et de la rue

Faut-il s’étonner du coup fourré du ministère des Transports du Québec qui, le jour de la Fête nationale du 24 juin, envahissait à coups de bulldozers le boisé dit Steinberg faisant partie de la friche dite L’Assomption que l’association citoyenne Mobilisation 6600 Parc-Nature Mercier-Hochelaga-Maisonneuve veut transformer en parc nature, comme son nom l’indique? D’où son rejet d’y construire un bruyant et polluant complexe de transbordement de containers rail-camion adoubé par une jonction autoroutière fédéral-provincial au profit du Port de Montréal à laquelle vient de se superposer le REM. Les ministères des Transports fédéral et québécois sont parmi les plus affairistes de tous les ministères, en ce sens qu’ils ont comme mission de maintenir et de développer un réseau de transport d’abord et avant tout efficace pour le transport des marchandises c’est-à-dire maximiser leur vitesse de circulation à moindre frais pour les entreprises. Le transport des personnes doit s’y ajuster en dégageant le système routier en faveur du transport des marchandises spécialement lors des heures de pointe tout en, pour les entreprises, maximisant les retombées lucratives pour la construction et le financement et
minimisant les coûts d’opération, ce que doit faire le REM de l’Est.

Une lutte indirecte contre la plaque tournante de la circulation marchande du Canada central

Pour le « Canada central », le Port de Montréal est la plaque tournante de ce système. C’est ce qui explique le soutien sans faille du gouvernement fédéral pour l’administration « autonome » de ce port — en réalité sous le contrôle du milieu des affaires — lors par exemple de la grève des débardeurs sous la forme d’une loi spéciale pour casser la grève. Mais aussi en donnant son accord environnemental, doublé de subventions, pour la très importante expansion de Contrecœur (Jérôme Labbé, Ottawa donne son feu vert à l’expansion du port de Montréal à Contrecœur, Radio-Canada, 2/03/21) tout en refusant pour aussi des raisons environnementales
l’expansion du Port de Québec (Laurentia) qui aurait fait concurrence à Montréal pour le transbordement des containers (David Rémillard, Le fédéral dit officiellement non au projet Laurentia, Radio-Canada, 29/06/21). Comme quoi la question écologique peut aussi être instrumentalisée car il y avait autant de bonnes raisons de refuser Contrecœur que Québec-Laurentia.

Évidemment un double refus motivé écologiquement aurait eu une profonde portée politique soit l’asphyxie du nœud de la circulation des marchandises dans l’Est canadien ce qui politiquement aurait signifié freiner la consommation de masse qui est au cœur de l’accumulation du capital depuis la croisade anti-communiste de la Guerre froide ensuite prolongée par l’endettement massif des ménages avec le néolibéralisme. Cet stratégie de
étouffement, tout comme celle du pétrole bitumineux et du gaz naturel de fracking par le rejet des pipelines, est indispensable pour atteindre la cible 1.5°C de l’ONU-GIEC avec laquelle le Canada et le Québec font semblant d’être d’accord.

Le plus corrompu des ministères caquistes corrompt le sens de la Fête nationale

Le ministère des Transport du Québec, le plus corrompu des ministères que même la Commission Charbonneau a épargné, agit en sous-fifre de celui fédéral bien que dans le cadre de sa « stratégie maritime du St-Laurent » la  CAQ soit favorable à Laurentia tout comme à Contrecœur, ce qui cache une stratégie antisyndicale (François Normand, Il faut un second port de conteneurs au Québec, Les Affaires, 14/08/20). Non content de déborder sur la Rive-sud, le Port de Montréal déborde au nord de la rue Notre-Dame évidemment dans un quartier populaire tout près d’un CHSLD. Et fi du maintien d’un espace vert qui minimise les îlots de chaleur dans les quartiers populaires. Comme complément du viaduc en construction aux frais du Port, le gouvernement de la CAQ se charge du reste (bretelle Souligny de l’autoroute 25, boulevard L’Assomption) ce qui accélérera la circulation des marchandises avec le supplément d’un centre de transbordement privé (Ray-Mont) rentabilisé par ces investissements publics qui comptent parmi les projets prioritaires de la CAQ pour la relance post-pandémie (loi 68).

En bout de ligne, la Ville de Montréal déroule le tapis rouge après avoir fait semblant de résister et de consulter — gouvernement de proximité oblige — car elle savait fort bien que son règlement de zonage permettait ce genre de « développement ». Ainsi fut piégée et à demi démobilisée la résistance citoyenne avant de se ressaisir une fois tombé le jugement fatidique doublé d’une contre-poursuite en dommage de Ray-Mont pour profits non réalisés.

Du haut de sa tour d’ivoire le ministère fédéral des Transports mène le jeu stratégique — mais la députée Libéral locale comme secrétaire parlementaire de ce ministère offre une prise citoyenne surtout si elle continue d’oser se présenter aux manifestations — tout en se protégeant par la pseudo autonomie de l’Autorité du port de Montréal (APM) sous la houlette des gens d’affaires. Comme le jeu perfide de la Ville de Montréal vient d’arriver à son terme avec son/sa compromis(sion) avec Ray-Mont et que la mobilisation citoyenne a repris du poil de la bête depuis plus ou moins un an, le ministère caquiste des Transports a dû la remplacer sur les barricades du combat social.

Il s’y substitue non pas avec un renouvellement trop usé de la tactique de la concertation mais avec une brutale tactique d’affrontement. Pendant que l’APM commençait à construire le viaduc au-dessus de la rue Notre-Dame, Québec, le jour férié de la Fête nationale, envahissait à coups de bulldozers ce que l’on croyait être la parcelle la moins menacée, dit Steinberg, de la friche que le regroupement citoyen veut convertir en Parc nature. Est-ce un signal de ce que le gouvernement du Québec veut que devienne la Fête nationale, une célébration de la répression
et de l’intolérance que ce soit envers le peuple-travailleur ou envers les communautés autochtones et racisées ?

Renverser le sens des expropriations : contre la marchandise, pour la nature

Cette volonté citoyenne assise sur le besoin populaire urbain de paisibilité et de contact avec la nature exprime à une échelle locale une aspiration révolutionnaire de démarchandisation de la vie à contrario de l’aménagement autoroutier-transbordement de la friche L’Assomption résultant d’une industrialisation révolue. Il ne faut pas se surprendre que la revendication stratégique citoyenne soit l’abandon du projet conjoint affairiste-fédéral-provincial-municipal et l’aménagement de la friche en parc nature y compris les expropriations afférentes. Tout le
contraire d’expropriations marchandes de forêts, de terres agricoles et de logements populaires pour faire place à l’ogre spatial et énergivore qu’est devenu le système routier néolibéral avec son juste-à-temps et sa livraison à domicile, et l’annexe de ses stationnements privés.

Ne devrait être que tactique, pour gagner du temps et étaler son argumentaire, la revendication citoyenne d’une évaluation environnementale par la CAQ et même la continuelle participation aux consultations de la Ville de Montréal. Admettons, cependant, qu’il y a ici un piège de renversement stratégie-tactique car plusieurs persistent à miser sur la bonne fois et la raisonnabilité des gouvernements qui savent être ratoureux pour masquer leur parti-pris en faveur de l’accumulation du capital.

Durcir le discours, préparer l’affrontement, élargir la mobilisation, faire valoir l’écoféminisme

Le tournant tactique vers l’affrontement par la coalition gouvernementale-entreprise vise le découragement et la démobilisation car la coalition citoyenne ne possède pas encore la clarté politique de l’enjeu et l’organisation concomitante de contre-affrontement par exemple pour bloquer des travaux ou une invasion soudaine de bulldozers. Elle n’a pas encore tenté fortement de construire une contre-coalition populaire-syndicale-étudiante-féministe appuyant mutuellement leurs luttes et revendications bien qu’il y ait des liens avec les comités luttant
contre le REM de l’Est. On songe à des mains tendues vers le syndicat des débardeurs et autres syndicats du secteur public, les multiples comités citoyens du quartier et au-delà, la gent cégépienne et universitaire de l’est et du centre-ville de Montréal. Et, last but not least, faire appel au « prendre soin » (care) écoféministe s’appliquant autant à la terre-mère qu’aux gens. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que la direction de la coalition citoyenne soit principalement assumée par une cohorte de femmes de connivence dont plusieurs sont mères.

Le temps paraît jouer contre la coalition citoyenne mais le passage de la coalition affairiste à l’affrontement aura peut-être l’effet d’un choc mobilisateur, et non pas le contraire, si la direction citoyenne clarifie son discours et se réorganise comme il arrive souvent quand la répression se met de la partie. Pensons au Printemps érable de 2012 quand la mobilisation citoyenne était entrée en jeu à la suite du vote de la loi 78 par le gouvernement Charest.

Où est Québec solidaire : assumer un leadership politique… ou derrière la parade?

Un acteur très crédible qui pourrait faire la différence est Québec solidaire (QS) qui représente la circonscription. QS appuie certes la lutte mais, si l’on se fie à la réaction verbale du député au lendemain du coup fourré du 24 juin, le parti réduit la portée de la confrontation pour ramener l’enjeu à une affaire de manque d’information, de communication et à un refus de participation du gouvernement du Québec à la consultation de la Ville de Montréal laquelle est devenue une absurdité, pour ne pas dire une farce, depuis la capitulation de Projet-Montréal.

Tactiquement, on peut peut-être y participer, pour ne pas aliéner les encore nombreux croyants de la concertation, mais afin de dénoncer, de confronter et d’exiger l’arrêt des travaux et l’expropriation de l’entreprise privée Ray-Mont. Cette clarification vis-à-vis les consultations de Projet-Montréal en cette veille d’élections municipales s’impose d’autant plus que ce parti renouvelle l’exercice à propos de l’aménagement de la rue Notre-Dame pour accommoder le REM de l’Est sous prétexte de tenir tête à son promoteur. Minimalement QS pourrait au moins exiger un moratoire pour tous ces travaux durant l’évaluation environnementale non encore
consentie par le gouvernement de la CAQ et incluant le REM qui doit en plus traverser la friche L’Assomption. L’adoption de ce discours par QS pourrait faire la différence tout en démontrant sa capacité de leadership au lieu de se contenter de suivre la parade.

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