La vraie lucidité a un nom : Jacques Parizeau

Sa sortie était d’une lucidité à toute épreuve, et ce, même si dans les faits, M. Parizeau a tout simplement répété le gros bon sens.  Quand on veut réaliser un projet d’une ambition certaine – et le projet souverainiste entre sans l’ombre d’un doute dans cette catégorie – il faut s’y préparer ;  et sérieusement. Et investir les ressources nécessaires – lire les fonds publics – à l’atteinte de nos objectifs. Y a-t-il vraiment un indépendantiste qui peut se dire en désaccord avec les affirmations de M. Parizeau ?

Partant de là, ce dernier se dit quand même tout à fait à l’aise avec l’idée qu’on écarte le calendrier référendaire du discours péquiste.  Je suis moi aussi tout à fait d’accord avec cela.   Le référendum (ou la simple déclaration unilatérale d’indépendance ?) doit être tenu quand le moment est propice et lorsqu’on peut espérer le gagner.  Mais cela n’implique quand même pas de ne pas s’y préparer.  Que l’on soit en faveur d’une stratégie référendaire ou pour une déclaration unilatérale d’indépendance, le fait est que la victoire n’est possible que si on s’y prépare avec l’énergie du désespoir.  Faudra quand même allumer un jour.  Sortir le Québec du Canada (et vice et versa), ce n’est pas une mince tâche.  Bien des gens multiplient les efforts pour nous empêcher de le faire.  Parce qu’on a moins de moyens que ces gens-là, il faut travailler 1000 fois plus fort qu’eux.  C’est aussi simple que ça.

Dans sa lettre, Jacques Parizeau dit également avoir ressenti un profond malaise par rapport au traitement qui a été réservé à une proposition émanant de la circonscription de Crémazie et concernant la mise sur pied d’une commission de préparation à la souveraineté, une proposition avec laquelle on ne peut qu’être en accord.  Les instances péquistes ont tranché :  proposition irrecevable.   En quoi l’était-elle ? Pourquoi la rejeter ainsi du revers de la main?  À quoi joue le PQ de Mme Marois?  Nul ne le sait mais le diable s’en doute. 

Le sort réservé à cette proposition démontre bien que la démocratie est profondément malade au sein du Parti Québécois.  René Lévesque doit parfois avoir envie de se retourner dans sa tombe.  Le vieux chef n’était certes pas parfait, mais il était très certainement un grand démocrate.  Jamais il n’aurait accepté qu’une petite intelligentsia mette la main sur son parti, pour mieux le détourner des volontés de la base militante, seule propriétaire du PQ.

Il est choquant de voir que les poigneux de beigne se servent de « règles » autoritaires afin de mettre au pas les militants qui, eux, ont compris que la préparation sérieuse et énergique est une étape incontournable pour la réalisation de l’indépendance du Québec.

Comme on devait s’y attendre, la sortie de M. Parizeau a ébranlé le PQ.  Les députés sont maintenant aux abois.  Bernard Drainville ose même prétendre que le « plan de match » du PQ de Mme Marois est limpide (alors pourquoi Mme Marois promet-elle aujourd’hui un nouveau plan de match si l’ancien est limpide ???). Le fait est qu’il ne l’est aucunement.  La gouvernance souverainiste pourrait être certes efficiente si elle se permettait de violer les règles fixées par le fédéral, mais malheureusement, elle ne défend pas cette option. Partant de là, elle constitue une simple stratégie puant l’autonomisme.

On ne sait toujours pas aujourd’hui ce que Mme Marois voudrait faire CONCRÈTEMENT dans le cadre de la gouvernance souverainiste, ni quand, ni à quel rythme.  Créer des crises afin de favoriser l’indépendance ?  Non, tel n’est pas le plan.  Alors améliorer le sort du Québec dans la fédération canadienne, et éloigner ainsi le PQ de sa raison d’être qui est de faire la souveraineté ?  Non, tel n’est pas le plan.  Poser unilatéralement des gestes de rupture sans se soucier de la constitution canadienne et des lois fédérales ?  Non, tel n’est pas le plan.  Demander la permission de rapatrier quels pouvoirs et quand et comment ?  Le plan ne le prévoit pas vraiment.  Et que faire si le fédéral dit non à tout (ce qu’il fera, on le sait tous) ?  On ferme nos gueules et on encaisse ou alors on organise un référendum ?  On ne le sait pas non plus, mais on sait par contre que le PQ ne se prépare pas à cette éventualité.  Mais alors, c’est quoi précisément le plan, M. Drainville ?  

Se contenter de dire qu’on fera un référendum quand cela sera le temps, ce n’est pas un plan.  C’est une formule permettant d’esquiver les questions concernant la stratégie, et rien d’autre. Tout cela est navrant.  On s’attend à plus – beaucoup plus- d’une direction de parti qui se veut sérieux.

Tous s’en rendent bien compte : le Parti Québécois de Pauline Marois ne donne aucunement l’impression d’avoir travaillé fort pour faire avancer le projet de pays au cours des dernières années.  C’est clair comme de l’eau de roches.

Il y a quelques années de cela maintenant, Mme Marois nous promettait un sérieux argumentaire souverainiste qui devait servir à relancer la marche des Québécois vers la liberté.  Une équipe aguerrie devait s’y concentrer.  Le résultat est venu quelques mois plus tard ;  le délai était donc suffisant pour espérer quelque chose qui serait sérieux et intelligent.  Mais tel n’a pas été le cas.  Le PQ a tout simplement déposé sur son site internet un ô combien modeste – pour ne pas dire niais – document PDF d’une page et demie reprenant les mêmes formules creuses qu’on entend à l’égard de la souveraineté depuis des lustres.  Genre :  « la souveraineté, c’est la capacité de prélever tous ses impôts, d’adopter ses propres lois » et bla bla bla. Un document aussi insipide est sombré à la vitesse grand V dans l’oubli.  Il ne méritait pas meilleur sort.  Et voilà le résultat obtenu par Mme Marois qui promettait un solide argumentaire souverainiste…

Aujourd’hui, Pauline Marois semble vouloir adopter sensiblement la même stratégie afin d’étouffer l’affaire Parizeau dans l’œuf, question que la sortie de ce dernier ne fasse pas dérailler son congrès d’avril.  En guise de concession (et encore une fois, cela prouve que le discours souverainiste du PQ est actuellement confus et ambigu), Mme Marois nous dit qu’elle veut maintenant permettre la réalisation d’un « plan d’action ».  Celui-ci serait préparé sous peu par son équipe de militants bénévoles.  La chef dit croire que ce compromis contentera ceux qui souhaitaient voir le PQ mettre sur pied une « commission de préparation à la souveraineté ».  Tout ça n’est aucunement de bon augure.  Je suis bien prêt à laisser la chance au coureur (même si j’ai pas mal perdu toutes mes illusions), mais j’ai bien peur de voir naître un second document PDF…

Tout cela me rappelle des événements qui ont marqué pour toujours ma « carrière » de militant.  Ces événements eurent lieu en 2003.  Je venais de me faire confier un modeste contrat par la direction du Parti Québécois.  Un contrat de rien du tout concernant une question pourtant de la plus haute importante que l’on confiait à un militant pas plus important que le contrat en question.  Il s’agissait du chantier pays qui devait articuler, en partie du moins, la saison des idées que venait de lancer Bernard Landry.

Je me revois encore demander à un conseiller de M. Landry de m’apporter tout ce que le parti avait écrit depuis 1995 pour faire avancer le projet de pays du Québec.  Et je revois encore celui-là m’admettre bien candidement :  « Ben, on n’a rien fait, aucun document ».  Pas une ligne écrite en huit ans !  J’en suis tombé en bas de ma chaise, je n’en suis jamais revenu. 

Peu importait le laxisme péquiste, il me fallait quand même bien constituer un premier corpus de documents devant servir aux militants qui alimenteraient la réflexion dans le cadre du chantier pays de la Saison des idées. Après tout,  telle était la mission qu’on m’avait confiée.  Il me fallait trouver une source pour m’inspirer, des documents à partir desquels travailler.  Mais quoi ?

J’ai alors eu l’idée de fouiller dans le rapport de la commission Corbo qui devait mettre à jour les études afférentes à l’accession à la souveraineté de 1990 (Commission Bélanger-Campeau). 

La Commission Corbo avait été initiée par le ministre Joseph Facal, et le rapport avait été reçu par Jean-Pierre Charbonneau qui l’avait remplacé en tant que ministre des Affaires intergouvernementales.  On parle d’une commission qui a coûté bien des sous.  Et on parle d’un rapport d’une richesse inouïe.  Tout y était abordé, tout ce dont parle M. Parizeau dans sa lettre d’hier.  Des intellectuels, des professeurs avaient écrit des milliers de pages afin de pousser la réflexion quant à la monnaie, aux frontières, à l’armée, à la fonction publique, à l’immigration ou à la richesse d’un Québec souverain.  Des idées importantes s’y trouvaient et étaient en mesure d’amorcer des réponses à presque toutes les questions que se posent les citoyens d’ici quant au projet de pays du Québec.

La copie du rapport Corbo que j’ai lue durant tout l’été était la copie personnelle de Jean-Pierre Charbonneau.  Les couvertures n’étaient même pas cassées.  Le document ne présentait aucune note, aucun surlignage.  À l’évidence, il n’avait jamais été lu.  Cela démontrait tout l’intérêt dudit ministre pour ces questions.  Je suis alors retourné dans les archives des journaux pour voir ce qu’en avait dit publiquement Jean-Pierre Charbonneau lorsqu’il avait reçu le rapport, question de vérifier si mes hypothèses à l’effet qu’il ne l’avait point lu étaient fondées ou pas.  Et je suis alors tombé sur des articles rapportant qu’en conférence de presse, M. Charbonneau s’était contenté de parler de la méthodologie qui avait orienté les travaux de la commission Corbo;  les journalistes s’étaient eux aussi rendus compte que le PQ n’avait même pas lu le rapport.  J’avais donc raison. Et le PQ me décevait une première fois de manière vraiment violente ;  mais ce ne devrait pas être la dernière.

Malgré ma déception, je me disais qu’on avait quand même une deuxième chance de donner une vraie vie à ce rapport.  Durant tout l’été, j’ai multiplié les notes, les synthèses, les résumés, les analyses à partir des informations contenues dans ces documents.  À la fin de l’été, j’ai pu remettre le fruit de mon travail au PQ. J’en étais quand même content.

Et puis quoi ?  Et puis rien.  Je n’ai jamais su ce qui était advenu de mon rapport, je n’ai jamais su s’il avait servi à quelque chose ou s’il s’était tout simplement retrouvé sur une tablette, voire à la poubelle.  Il était peut-être très mauvais après tout; mais une chose demeure et c’est que les informations du rapport Corbo, elles, elles ne l’étaient pas. Elles étaient vraiment de nature à bien servir le PQ et la cause souverainiste. Alors quoi ? 

Alors c’est bien simple.  Au PQ, on est bien bons pour faire des beaux discours souverainistes quand vient le temps de convaincre les militants de travailler pour les députés et la direction, mais on est archi nuls pour passer du « rêve au projet ».  Les énergies pour sortir le Québec du Canada (et vice et versa) n’y sont jamais investies de manière importante, et c’est fichtrement déplorable puisque ce n’est pas de cette façon-là que naîtra le pays du Québec.

En 2011, M. Parizeau doit encore une fois sortir publiquement pour ramener les pendules à l’heure, pour sonner la fin de la récréation et pour réclamer le simple b.a-ba de toute cause politique :  que l’on se prépare sérieusement à mener à bon port un projet ambitieux comme celui qui constitue toujours, à ce que je sache, l’article 1 du PQ. 

Je ne peux pas croire qu’on en soit encore là…

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