La moitié du ciel

Alors, s’il y a une chose à faire, c’est bien d’inciter les femmes à prendre une plus large part encore à la politique, de leur accorder une plus large place dans nos structures.  Québec Solidaire, même si la décision a aussi fait des gorges chaudes, a délibérément choisi de confier sa direction à un homme (Amir Khadir) et à une femme (Françoise David).  Je ne crois pas que la pratique bicéphale doive être répandue pour autant dans l’absolu, même si elle ne manque pas d’originalité.  Sans verser dans la discrimination positive, voire dans l’angélisme, un petit effort pour intégrer les femmes dans nos organisations serait louable.  Et, l’on s’entend, pas en les confinant à des tâches subalternes.

Si certaines personnes ont encore des réserves sur la capacité des femmes de s’impliquer de façon exemplaire, on pourra leur fournir de nombreux exemples édifiants, seulement au Québec :  Simone Monet-Chartrand, Thérèse Casgrain, Madeleine Parent, Hélène Pedneault, Pauline Julien, Lise Payette, Andrée Ferretti, Nicole Boudreau, etc.  Pauline Marois aurait pu un temps en être aussi (pourrait en être encore ?  cela dépendra d’elle), c’est-à-dire l’une de ces femmes qui font avancer le Québec.

D’ouvrir les portes aux femmes n’est après tout qu’une question de justice, car, comme disent les Chinois, les femmes représentent « la moitié du ciel » (ce qui, si je me fie à mes calculs, invalide peut-être en partie la thèse des soixante-dix vierges qui attendraient là-haut chaque kamikaze musulman !).  Le Réseau de résistance du Québécois ne fait bien sûr aucune discrimination quant au sexe des gens qu’il recrute, même s’il est vrai que sa réputation d’organisation combattante peut lui donner une image par trop masculine.  Avec un symbole comme le poing fermé, cela pourrait être peu vendeur auprès de la gent féminine.  Peut-être devrions-nous alors inventer un nouveau logo, comme une main de femme tenant un rouleau à pâte ?  Bien entendu, j’écris cela parce que vous entendez à rire.

En tous les cas, pour ma part, je pourrais difficilement me passer des femmes.  L’autre jour, j’étais avec ma femme en voiture.  Elle était venue me chercher à la Maison Ludger-Duvernay, où venait de se terminer une réunion de la SSJB.  C’était un mercredi soir, aux alentours de 9 heures, et à l’angle des rues Notre-Dame et Pie-IX, un homme mendiait en plein centre de la voie.  Non seulement cet emplacement était-il téméraire, car à cette heure du soir,  un automobiliste pourrait ne pas le voir et risquer de le frapper, mais l’homme était debout sur une seule jambe, car unijambiste, et soutenu par des béquilles.  Moi qui suis aussi dans cet état, bien que portant toujours une prothèse (sauf la nuit pour laisser reposer mon moignon), je n’ai pu rester indifférent à sa condition et je lui ai donné tout ce que j’avais comme argent de poche (quelques dollars).  Est-ce que cet homme avait retiré sa prothèse afin qu’on s’apitoie davantage sur son sort et qu’il reçoive une obole en conséquence ?  Je ne le saurai jamais, mais il demeure que je sais pertinemment bien par contre ce que d’avoir une jambe en moins peut signifier comme difficulté.  Si je n’avais pas eu ma femme pour me trimballer un peu partout, comment pourrais-je poursuivre mes activités politiques ?  Comment aurais-je pu participer à la manif contre le prince à Québec ?  Comment  aurais-je pu assister à toutes ces réunions politiques au cours des derniers mois ?  Certes, pour le boulot, je peux compter sur le transport adapté, mais pour militer, cela n’est plus possible.

Cela faisait quelques minutes que nous avions dépassé l’homme qui quêtait sur la seule jambe qui lui reste, quand  ma femme me dit, tout bonnement :  « Tu vois, Jean-Pierre, tu es chanceux de ne pas avoir à mendier.  Et, en plus, toi, tu as une femme à tes côtés. »  J’opinai du bonnet.  Eh oui, bobonne a bien raison.  En dépit de mon handicap, qui ne disparaîtra pas à moins que ma jambe ne se mette subitement à repousser, c’est beaucoup grâce à elle si je peux mener une vie militante des plus actives.  On dira ce qu’on voudra, et tenez-vous le pour dit, mais c’est une preuve supplémentaire que les femmes sont indispensables pour l’indépendance !

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