La culture de la défaite, c’est assez

Discours s’adressant au Mouvement des jeunes souverainistes lors de la marche pour le français

La défense du français au Québec est indissociable de la lutte pour l’indépendance. Je vais donc surtout parler de cela. Dans un Québec indépendant, à propos du français, nous n’aurions plus une posture défensive comme maintenant, mais une posture d’affirmation. Mieux que ça…  ça irait de soi.

En fait, je voulais surtout aborder un aspect précis de la lutte pour l’indépendance. Le défaitisme. Le défaitisme à outrance dans lequel on essaie de nous cantonner, en nous racontant que la conjoncture n’est plus aux indépendances, que le pourcentage d’appui à l’indépendance est bas, que les gens n’y croient plus, que les jeunes voient ça comme un combat dépassé, qu’il faut passer à autre chose, etc. D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours entendu ce discours, un discours mis de l’avant par qui vous pensez? Par nos adversaires…. C’est sûr qu’ils vont nous pousser à abandonner avant même d’avoir livré bataille, c’est l’un des principes de base de l’Art de la guerre, un des principes de base de tout combat. Ce n’est même plus le principe de la carotte et du bâton. Il y a de moins en moins de carotte et on ne prend même plus la peine de brandir la menace du bâton…. Mais on le garde pas trop loin au cas où.

Rendu là, je vais juste vous raconter quelques d’anecdotes de peuples qui ont réussi à vaincre, et même dans les pires conditions, sans sombrer dans le défaitisme. À la fin des années 1950, Fidel Castro, le Che et d’autres, s’embarquent sur le bateau Granma, pour aller renverser le régime de Batista à Cuba. Ils sont 82 guérilleros. Le débarquement est un désastre, tombé dans une embuscade, seuls une quinzaine survivent. Déjà que 82, ce n’était pas beaucoup pour espérer gagner, 15, disons que tout pointait vers une acceptation de la défaite. Au contraire, quelques jours plus tard, alors que Castro retrouve un groupe de survivants du débarquement raté, il fait le compte :

« -Combien de fusils avez-vous ? »

« -Cinq. »

« -Moi j’en ai deux, ça fait sept. Maintenant, oui nous allons gagner la guerre. »….

Au Vietnam, Ho Chi Minh disait : « tant qu’il restera un Vietnamien et une abeille, le Vietnam ne sera pas vaincu ». Tout le monde se demande pourquoi une abeille? C’est René Boulanger qui raconte cette anecdote à mon père dans le livre « Le monde selon Elvis Gratton », publié aux Éditions du Québécois. Parce que les Vietnamiens s’étaient fabriqué un espèce de lance-pierre, et ils tiraient des nids d’abeilles sur les Américains dans leurs tranchées. On compensait la faiblesse des moyens par l’ingéniosité…. et surtout un refus du défaitisme.

On va me répondre, oui, c’est bien beau, mais tes histoires, ça fait longtemps. Oui, c’est vrai. Mais il n’y a pas d’époque pour la liberté. De toute façon, je vous propose une anecdote plus récente. Plusieurs le savent sans doute, mais je suis allé tourner un film en Bolivie pour les commémorations du 50e anniversaire de la mort du Che. Je voulais montrer aux Québécois que l’engagement politique pouvait prendre différentes formes, pas nécessairement en s’impliquant dans un parti.

Là-bas, on est tombé sur une gang de militants guévaristes boliviens, qui, dans leur jeunesse, pendant leurs vacances d’école, marchaient dans les montagnes selon le parcours du Che et de ses compagnons. Ces militants se disaient, c’est bien beau de lire ça dans les livres, mais nous voulons comprendre les sacrifices qu’ils ont dû endurer à l’époque de la guérilla bolivienne. À travers cette route, ils apprennent la solidarité, ils se forgent le caractère, comme groupe. L’un d’eux disait : « Quand t’es dans le confort de la ville, tu peux bien avoir des discours de grands seigneurs à propos de la solidarité, mais quand t’es dans le maquis, il faut dépasser les beaux discours, il faut agir en conséquences ».

En parlant de ce film-là lors d’une conférence dans un cégep, un étudiant m’a dit un truc qui m’a vraiment jeté à terre, il a dit : « Je ne savais pas qu’on pouvait être nationaliste et ouvert sur le monde… » J’ai réalisé que si personne ne lui avait jamais parlé de l’internationalisme, il y avait quelque chose qui s’était perdu. Je me suis rappelé des paroles d’un camarade burkinabé, qui parlant notre lutte de libération nationale, me disait qu’il faudrait retourner à la base, à l’essence du militantisme. J’y reviendrai.

Je vais vous donner un dernier exemple étranger, l’Écosse. Quand j’étais petit, la seule personne que je voyais publiquement faire la promotion de l’indépendance de l’Écosse, c’était l’acteur Sean Connery. À cette époque, l’option indépendantiste ne dépassait pas 10% d’appuis favorables. S’est-il enfermé dans une logique défaitiste? Jamais. Une vingtaine d’années plus tard, l’Écosse votait pour son indépendance à 45%. Une défaite, oui, mais ça leur faisait déjà une belle base pour repartir. Et d’ailleurs, ils repartent. Sean Connery n’aura pas pu voir l’indépendance de l’Écosse de son vivant, mais il savait que son pays était en marche vers sa libération.

Ici, alors qu’on nous enfonce une logique défaitiste dans la gorge, et qu’on qualifie le mouvement indépendantiste de champ de ruines, l’appui au Oui se maintient autour de 30-35%.  Quand on y pense, ça fait moins d’une personne sur quatre à convaincre. Repartir de la base oui, mais sur une base qui est déjà solide! Il faut convaincre. Pour convaincre, il faut lire, il faut débattre, il faut intéresser les désintéressés, les indécis. Mon ami Cliver, du groupe guévariste bolivien, disait qu’il fallait respecter les gens qui ne s’intéressent pas à la politique. Les inclure plutôt que les stigmatiser. À ton ami désintéressé, donne-lui un livre important, invite-le à une soirée militante, fais-lui voir un film politique sur notre situation. Intéresse-toi, et intéresse-le au pillage de nos ressources naturelles, le bois, l’eau, les minerais. C’est notre pays après tout. Sois la solution…

Quand on a fait la soirée hommage pour le 10e anniversaire de la mort de mon père, j’ai une amie d’origine irakienne qui m’a dit que « pour la première fois, ce soir-là, je me suis sentie québécoise ».

Maintenant, construisons une base militante si forte qu’on puisse forcer les partis politiques à se sortir les mains des poches, à ce que l’indépendance soit dans chacune de leurs actions, et pas seulement une carotte qu’on brandit au Conseil national pour galvaniser les militants.

Je termine avec deux citations. La première vient du sociologue suisse Jean Ziegler. Il dit : « Il n’y a pas d’impuissance en démocratie ».

Et la seconde vient du grand Jacques Parizeau. Il disait : « De voir dans les assemblées, l’une après l’autre, ces jeunes dont on disait L’AVENIR DE LEUR PAYS ÇA N’A PAS D’IMPORTANCE pour eux et qui venaient de plus en plus nombreux en disant : ‘’le pays on veut l’avoir!’’. Tant que les jeunes penseront ça, on l’aura le pays !».

Il n’en tient qu’à vous.

Jules Falardeau

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