La stratégie capitalisme vert, avec son rejet des hydrocarbures et sa promotion du tout hydroélectrique y compris pour l’auto solo, déboule sur le Québec comme un tsunami. Elle laisse voir un Québec gagnant, une nouvelle Alberta, dans la perspective d’une nouvelle division internationale du travail assise sur le nouvel extractivisme de l’électricité dite renouvelable se substituant, ou plutôt se superposant, à l’ancien extractivisme des hydrocarbures (Marc Bonhomme, Au pays du Québec, le capitalisme vert se prépare de beaux jours, Presse-toi-à-gauche, 8/06/21). La gent affairiste fait dorénavant sienne dans l’enthousiasme ce scénario tout hydroélectrique et tout batterie sans renoncer pour autant et pour l’instant, malgré les récentes admonestations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), au supposément combustible de transition que serait le gaz naturel qui remplacerait le charbon allemand (Alexandre Shields, GNL Québec souhaite vendre du gaz en Allemagne, Le Devoir, 22/05/21), en réalité le gaz importé de Russie auquel s’oppose le gouvernement étasunien.
Tous les partis d’opposition de l’Assemblée nationale adhèrent à cette stratégie au projet GNL-Québec près, auquel s’opposent même les Libéraux. Tous les grands groupes écologiques et les centrales syndicales suivent la parade… ou la précèdent. Tous font leur le noyau dur du Plan pour une économie verte (PEV) du gouvernement de la CAQ soit la généreuse subvention Québec-Ottawa de 13 000$ pour l’achat d’un véhicule électrique, le soutien au réseau REM pour le Grand Montréal (Marc Bonhomme, En termes de GES, d’étalement, de déficit public, de tarif de transport collectif — Le REM est une catastrophe qui livre le Québec au capital financier,
Presse-toi-à-gauche, 2/03/21) et le soutien fiscal à l’entreprise privée participant à la stratégie d’électrification, le tout étant financé par le marché du carbone. Même si ni Québec solidaire (QS) ni le Parti québécois (PQ) n’ont approuvé la loi 66 pour cause de ratatinement des procédures d’examen environnemental (Caroline Plante – Presse canadienne, Le projet de loi 66 sur les infrastructures est adopté, Le Devoir, 10/12/20), aucun parti n’a remis en question la liste prioritaire concomitante des 181 projets du Plan de relance caquiste liés au PEV.
Une liste prioritaire sans lien avec la lutte climatique et tout lien avec le PEV électrique
Pourtant cette liste comprend, en plus des trains aériens REM de l’Est, de Longueuil et de Laval, parfois appelé « projet structurant », le prolongement de quatre autoroutes (19, 25, 35, 73) et l’élargissement de six (10, 15, 20, 25, 30, 440) pour des voies réservées : « Le ministre Bonnardel a expliqué que le gouvernement veut ajouter des voies réservées aux autoroutes existantes, plutôt que d’en implanter sur des voies déjà existantes : ‘’Pas question pour moi de ‘vols de voies’. […] La plupart des voies [réservées] que vous connaissez, c’est pour l’autobus, le
covoiturage, les véhicules verts.’’ » (François Messier, Québec en route vers un réseau de voies réservées dans les banlieues de Montréal, Radio-Canada, 2/09/20). On pourrait sous-titrer ce « Réseau métropolitain de voies réservées (RMVR) » de voie de contournement passant par le transport collectif pour aller plus vite vers l’auto solo électrique, pivot du nouvel extractivisme des batteries, de l’éolien et du solaire afin de tout changer pour que rien ne change.
Ainsi au nom de la lutte climatique on relance l’accumulation du capital et ses corollaires d’étalement urbain et de consommation de masse… du moins pour les classes supérieures et moyennes. C’est pas-touche à la sacro-sainte croissance au lieu de viser une baisse du temps de travail et de riches relations sociales sans consumérisme dans une vision écoféministe. Après coup, pour certes de pertinentes raisons nationale et sociale, le seul projet qui n’a pas trouvé grâce aux yeux du PQ est l’agrandissement du cégep Dawson et aux yeux de QS, « le projet d’aménagement du Centre universitaire de santé McGill sur le site de l’ancien Hôpital Royal Victoria » (Aile parlementaire de Québec solidaire, L’Hôpital Royal Victoria doit être retiré du projet de loi 66, plaide Québec solidaire, 9/12/20). Mais de rejet des prolongements et élargissements d’autoroutes pour des raisons climatiques il n’est point question.
On note en particulier le silence de tous les partis au sujet du projet 165 de la liste prioritaire soit l’« [a]mélioration des accès au Port (Phase II) par le prolongement de l’avenue Souligny et du boulevard de l’Assomption à Montréal dans l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve » dont les conséquences entraînent la construction d’un site de transbordement rail-camions à ciel ouvert avec tout son cortège de bruit et de poussière impactant le voisinage immédiat dont un CHSLD. Ce projet fait l’objet d’une mobilisation du quartier adjacent d’Hochelaga-Maisonneuve pour lui substituer un « parc nature » (Marc Bonhomme, La logistique contre la nature et la vie sociale d’Hochelaga-Maisonneuve — Manifestation des 500 contre « leurs profits qui nous polluent la vie », Presse-toi-à-gauche, 26/05/21). Le député QS de la circonscription ne s’oppose pas à ce projet de prolongement de route et de logistique en découlant. Tout au plus demande-t-il au promoteur de produire un plan et une étude d’impact tout en s’opposant au « REM aérien » qui traverserait le terrain impliqué mais non au REM tout court en faveur d’une alternative d’autobus rapide ou de tramway se substituant à des voies pour véhicules routiers et non en expropriant des parcs, des friches, des logements et autres bâtiments. On est très loin de l’exigence de rejet du projet prioritaire 165 pour lui substituer un parc nature ce qui implique l’expropriation du site de transbordement… ce que les gouvernements ne se privent pourtant pas de faire pour des autoroutes, ports et aéroports.
La critique du PEV devient un pétard mouillé sans courage politique de s’opposer à l’auto solo
Une fois emmailloté dans le PEV caquiste il est difficile de s’opposer conséquemment non seulement à la multiplication des mines à ciel ouvert de lithium, de graphite et tutti quanti dont les nations autochtones seront les premières à pâtir mais aussi au gargantuesque troisième lien de Québec qui devient un moyen de mise en valeur de l’électrification du transport privé comme aime à le dire le Premier ministre. Tout au plus peut-on évoquer au sujet des mines et des barrages des arguments de mitigation des dégâts environnementaux, nationaux et sociaux et à l’encontre du troisième lien des arguments économiques de coût-bénéfice et de projets de
grandeur politique. Plus profondément, il devient quasi impossible de résister à la perspective que le Québec devienne le nouvel Alberta électrique de l’Amérique du Nord. Plus immédiatement, comme la « transition » sera longue parce que devant respecter la règle d’or capitaliste de la rentabilisation du capital investi, deviendra irrésistible le piège suédois de recours massif aux supposément écologiques bioénergie et biomasse ce qui favorisa le pillage de la forêt, la production de déchets organiques et les engrais fossiles de l’agro-industrie. Last but
not least, la promotion du gaz naturel comme combustible de transition s’en trouvera renforcée. Comment alors être crédible quand on critique le PEV de n’atteindre que la moitié d’un objectif déjà insuffisant ?
À partir du moment où on admet soit explicitement soit implicitement, par une politique du silence ou de l’atermoiement, les subventions aux véhicules solo électriques, que renforcerait une politique de bonus-malus, on renonce à tout argumentaire climatique pour s’opposer aux filières lithium et biomasse tout comme au troisième lien et au REM lequel leur abandonne la trame urbaine. Faut-il se surprendre qu’aucun parti d’opposition n’ait critiqué les projets d’allongement et d’élargissement d’autoroutes de la liste prioritaire de la loi 66 ou ose carrément soutenir le parc nature réclamé par Mobilisation 6600 parc nature Hochelaga-Maisonneuve-Mercier ? Faut-il se surprendre que ces partis ignorent tout alternative d’une politique de transport en commun public mur à mur ? Faut-il se surprendre en fin de compte que ces partis se résignent à un retour à la dite normale néolibérale devenant tout électrique à petits pas ce qui n’arrêtera pas la dynamique exponentielle de la terre-étuve ? Faut-il se surprendre que ces trois partis oppositionnels, en particulier QS, n’arrivent pas à envisager une économie alternative de prendre soin (care) des gens et de son complément de prendre soin de la terre-mère ?
Des revendications transitoires vers l’alternative d’une société de prendre soin
Avec une telle alternative convergeraient plein emploi écologique, écoféminisme et vision du monde autochtone dont les concrets engagements transitoires pour l’élection de 2022 seraient :
1. Une agriculture essentiellement végétarienne sans gaspillage alimentaire et sans intrants fossiles et mécanisée électriquement d’ici 2040, ni OGM d’ici 2030, et dotée d’une convention collective sectorielle garantissant entre autres un chemin vers la citoyenneté
2. Une embauche immédiate de 250 000 personnes dans les services publics et le communautaire, incluant la nationalisation et démocratisation des CHSLD privés, RI et RPA
3. Un système de transport en commun gratuit, fréquent, confortable, électrifié, en voie exclusive et sans autre REM, sur les actuels autoroutes, boulevards et grandes rues et routes jusqu’au moindre village, complété par des minibus automatiques dans les banlieues et un autopartage communautaire, à mettre en place d’ici 2030
4. Construction annuelle de 10 000 logements sociaux écoénergétiques, et rénovation écoénergétique de tous les bâtiments actuellement climatisés à l’énergie fossile d’ici 2030, combinée à un obligatoire contrôle des loyers
5. Régularisation immédiate de tous les sans-papiers et ouverture des frontières aux personnes réfugiées
6. Application de la DNUDPA (consentement éclairé et préalable sur l’usage des ressources naturelles sur leurs territoires historiques) aux peuples autochtones
7. Imposition de 100% des surprofits et revenus extra dus à la pandémie et une réforme fiscale imposant le patrimoine, le capital, les profits et les revenus élevés au niveau de l’effort fiscal pré-néolibéral des années 1970