La capture d’El Chapo : de la poudre aux yeux

L’histoire entourant la capture d’El Chapo ressemble à un film hollywoodien. En fait, vu ce que Hollywood produit par les temps qui courent, des producteurs seraient capables de s’emparer de cette histoire pour en faire un navet avec Enrique Iglesias dans le rôle du président Nieto et une genre de star de style twilight pour jouer un jeune Américain naïf qui se lie d’amitié avec El Chapo, avant de réaliser qu’il n’est vraiment pas gentil. Et disons que l’histoire de la rencontre avec Sean Penn aussi fait très film hollywoodien.

Ceci dit, je crois qu’il faut voir la capture d’El Chapo Guzman pour ce qu’elle est : un écran de fumée. Un show pour les caméras. Une façon pour le pouvoir mexicain de réparer l’injure de la dernière évasion très médiatisée d’El Chapo. Il n’y a qu’à regarder la façon dont on l’exhibe devant les caméras, avec ce soldat-policier qui le tient par le cou, lui incline la tête en signe de soumission, puis lui tourne la tête pour les photographes. D’ailleurs, au niveau symbolique, ça me rappelle beaucoup un autre Guzman, et le freakshow créé par Alberto Fujimori en 1992, lors de l’arrestation du chef du Sentier Lumineux, Abimael Guzman, présenté aux médias dans une cage vêtu d’un antique costume de prisonnier rayé noir et blanc.

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Ensuite, il faut aussi y voir une « réussite symbolique » pour le gouvernement d’Enrique Peña Nieto. On trimballe Guzman comme un trophée de chasse, preuve du succès de la guerre contre les cartels, mais preuve aussi de la collaboration couronnée de succès entre les instances du pouvoir mexicain et les instances de sécurité, police et forces armées. Justement, Nieto s’en cache à peine, alors que lors de la dernière capture d’El Chapo, il se défendait bien sûr de faire du triomphalisme, et que cette fois-ci, c’est ce qu’il fait. « Ce succès est une preuve que les institutions mexicaines peuvent réussir à neutraliser ceux qui sont des menaces à la tranquillité des familles mexicaines. [] Ce succès est une preuve de plus que les citoyens mexicains peuvent avoir confiance que les institutions de sécurité sont à la hauteur ».

Voilà le nœud de toute l’histoire. Se servir de cela comme d’un moyen de dire aux Mexicains : « Ayez confiance en ce gouvernement, ayez confiance dans les institutions, ayez confiance dans les forces de sécurité ». On essaie de rétablir la crédibilité du pouvoir et des forces de sécurité, alors que justement, les Mexicains en sont désillusionnés. À ce niveau, on se rappelle des milices de citoyens au Michoacan en 2014-2015, créées parce que justement les citoyens ne voyaient pas vraiment de différence entre les cartels et les forces de l’ordre corrompues.

Donc, on se sert de la capture d’El Chapo pour redorer le blason des forces de l’ordre, dans un pays où la corruption est endémique, pour tenter de redonner une crédibilité à la guerre contre les cartels du président Nieto, qui fait fort dans les événements spectaculaires, mais dont les succès réels sont mitigés, pour ne pas dire médiocres. Et réellement, la chute d’El Chapo a-t-elle diminué le trafic de drogue ou l’emprise des narcotrafiquants sur l’économie mexicaine? Il serait naïf de croire que oui. Avec ce succès récent, le gouvernement Nieto espère aussi mettre derrière lui sa gestion plus que douteuse de l’histoire des 43 étudiants disparus. Et enfin, c’est facile de dire : « Ayez confiance » après un coup de pub comme celui-ci, alors que les réformes de son gouvernement sont catastrophiques : privatisation en douce du système d’éducation, privatisation masquée du pétrole mexicain, à travers une réforme du conseil d’administration de PEMEX, la compagnie nationale, nouvelles mesures concernant les relations de travail, découpage des zones d’extractions pétrolières et des concessions accordées à des compagnies étrangères. C’est très triste de voir le pays de grands réformateurs progressistes comme Benito Juarez, Francisco Villa ou Emiliano Zapata se faire enfoncer le néolibéralisme à l’américaine dans la gorge comme c’est le cas actuellement. Néanmoins, je continue de croire que ce pays est au bord de l’éclatement social.

Et finalement, de voir la DEA se réjouir, ça me rappelle un peu la mort de Pablo Escobar, alors que la même DEA et les gouvernements colombiens et américains se félicitaient de ce coup de filet et, du même coup, de la « réussite » de la guerre à la drogue. En fait, la mort d’Escobar a-t-elle permis de ralentir le trafic de cocaïne et son arrivée sur le territoire nord-américain? Poser la question c’est y répondre. Plus qu’un réel succès, la guerre à la drogue fut le nouveau fourre-tout des gouvernements Bush père et Clinton après la chute de l’URSS. Et comme le dit Evo Morales à Oliver Stone dans le documentaire « South of the border », la guerre à la drogue n’a jamais été rien d’autre qu’un prétexte pour les Américains pour s’immiscer, grâce à la DEA, dans la politique des États latino-américains. Comme le fameux Plan Colombie, qui devait aider à combattre le trafic de drogue, en réalité n’était qu’un plan d’aide militaire, de vente d’armes et de modernisation de l’armée colombienne.

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Pour conclure, il ne faut pas non plus tomber dans l’angélisme face aux cartels mexicains, ils sont aussi responsables d’un climat de terreur sans précédent; la guerre des cartels est responsable de la mort de plus de 100 000 personnes au cours des 10 dernières années. Et El Chapo, bien qu’ayant l’air d’un bon père de famille dans l’entrevue parue dans le magazine Rolling Stone, il n’en reste pas moins l’un des plus gros narcotrafiquants du monde et le chef d’un cartel sanguinaire responsable de violences inouïes. Et de l’autre côté, il ne faut pas être hypocrite, si des cartels comme celui d’El Chapo ou à l’époque celui de Pablo Escobar existent, c’est aussi parce qu’il y a des consommateurs, donc une demande pour ces drogues.

Quant à la suite pour El Chapo, j’imagine trois avenues.

1- Le gouvernement mexicain le garde en prison au Mexique, et s’expose à ce qu’il s’évade à nouveau, ce qui serait très plausible dans ce cas.

2-Il le refile aux Américains, et là, El Chapo aura plus de difficulté à s’échapper, mais pourra collaborer plus directement à ses projets de films hollywoodiens.

3-Il le « suicide » en prison et garde les mains propres.

Jules Falardeau

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