Mort précoce de toutes les tentatives pour modifier le statut constitutionnel du Québec
1- L’indépendance et la réforme du fédéralisme renvoyés dos à dos
Lorsque René Lévesque procéda à l’abandon officiel de la souveraineté en 1984, pour épouser ce qu’il qualifia lui-même de «beau risque», le parti éclata ! Un clash semblable se produisit lors du départ de Jean-Martin Aussant, en 2011. Un autre mélodrame!
Mais à quoi riment donc depuis 50 ans ces crises devenues si prévisibles entre «indépendantistes déterminés» et «souverainistes associatifs» plus conciliants? Une explication courante voudrait que la prépondérance d’un camp sur l’autre nous ferait avancer ou pas, que l’on s’approche du but ou qu’on s’en éloigne. Est-ce bien le cas? Il est permis d’en douter.
Par un aveu surprenant, René Lévesque va nous aider à réfuter cet antagonisme apparent. En 1967, dans une sorte d’éclair de lucidité, il écrit : «le minimum vital pour le Québec est un «maximum ahurissant et tout à fait inacceptable» pour le Canada anglais». Il ne pouvait mieux dire ! La conséquence immédiate de cette réalité mise à nue ne serait-elle pas de renvoyer dos à dos les deux camps autonomistes et leur rhétorique concurrente? Les renvoyer dos à dos tant les deux camps sont unis comme cul et chemise par leur refus de croire que tout ce qu’ils peuvent formuler constitue «un maximum ahurissant et tout à fait inacceptable». Devant un tel mur d’intransigeance dénoncé par Lévesque, le comportement avisé ne serait-il pas d’adopter la position d’une résistance obstinée? De se préparer à une lutte qui ne connaît pas de trêve? Ne serait-ce pas chez les nôtres de s’armer d’une volonté à toute épreuve pour arracher quelques gains autour d’un «minimum vital»? Que nenni. Des quatre passes d’armes d’importance contre Ottawa en cinquante ans, aucune d’entre elles ne satisfait aux exigences minimales de la rigueur et de la détermination qu’aurait dû inspirer le jugement tranchant de René Lévesque sur le Canada.
Le Canada maître absolu du jeu politique
Le Canada anglais a toujours été le maître absolu du jeu politique. En cinquante ans, le Québec a eu beau s’escrimer à formuler ses revendications minimales, ou maximales, il n’en fera aboutir aucune. Qu’on revendique un ajustement de statut ou l’indépendance c’est pareil. Le fédéral n’a jamais consenti à rien car rien ne l’obligea à infléchir son intransigeance. Rien ne l’obligea à réfléchir autrement qu’en ses propres termes sur l’avenir du Canada. La contestation du Québec, si elle a inquiété par moments, ne réussira jamais à s’imposer dans les équations du fédéral.
Vu sous cet angle, quelle différence y a-t-il en effet entre l’indépendance et un statut particulier pour le Québec? En pratique, il n’y en a aucune car toutes les ambitions autonomistes se soldent par des échecs. Et les succès seront indéfiniment ajournées tant qu’une classe politique colonisée continuera de défendre avec si peu de sérieux les intérêts fondamentaux du Québec.
Sortir du coma politique
Pour repartir au combat les Québécois devront sortir du «coma politique» dans lequel ils sont entrés au lendemain du référendum de mai 1980. Comprendre que la «Confédération n’a jamais été un pacte librement consenti avec un partenaire de bonne foi, mais une condamnation irrévocable, suivie d’un enfermement perpétuel», comme l’explique Me Christian Néron, constitutionnaliste, consulté pour cet article.
Les graves carences de leadership ont commencé dès le début avec Lévesque qui a vite oublié sa propre lucidité. Au lieu d’accorder ses actes avec sa lumineuse précaution, il a gravement sous-estimé l’entêtement ‑prévisible‑ du Canada à conserver le statu quo et ne s’est jamais préparé à mener un combat opiniâtre et de longue haleine. Faisant volte-face, il a cru (ou fait croire?) que le changement de statut du Québec pouvait se décider dans la courte parenthèse d’un référendum. Une parenthèse ouverte pour aussitôt se refermer.
Un navire amiral sans pilote
À chaque fois que des occasions de marquer des points à notre avantage se sont évanouies, les plus déterminés ont mis la faute de l’échec sur le compte d’un pilotage par les «réformateurs du fédéralisme». Cette explication ne tient pas la route car elle refuse de voir que nos échecs successifs ne viennent pas des erreurs du pilote mais de l’absence totale de pilotage. C’est ahurissant, mais il est temps que les passagers comprennent qu’il n’y a jamais eu de pilote à bord du navire amiral ! La peur maladive de s’emparer du gouvernail a toujours été le comportement typique de l’état major national canadien français depuis Georges-Étienne Cartier, dès 1864. Une faiblesse morbide qui a continué sa belle carrière tout au cours de l’ère péquiste. Bye bye libération !
De la Révolution tranquille à colonisés tranquilles
Les prétentions si souvent répétées que la fameuse «révolution tranquille» nous aurait libérée de notre mentalité de colonisés ne seraient, finalement, que des prétentions, c’est-à-dire de belles illusions. En fait, le Canadien français se complaît dans son statut de colonisé, un conditionnement dont René Lévesque nous a fourni l’exemple le plus patent et le plus dramatique.
En réalité, et c’est là toute l’affaire, que ce soient les «indépendantistes» ou les «provincialistes» qui montent au créneau, nous restons essentiellement dans la distraction coloniale des vœux pieux et des programmes enluminés. On a toujours cru aux vertus d’un combat policé et «positif», préféré les démonstrations de viabilité d’un Québec indépendant, choisi la «pédagogie» au détriment d’une lutte politique qui pourrait mettre sur la défensive le fédéralisme destructeur. Le fond du problème reste le déni de l’éléphant dans la pièce. La problématique que pointait Lévesque et que tout le monde a oublié, lui le premier.
Le Canada remporte la bataille des mentalités
La conséquence se devine aisément, en refusant de faire son procès on a donné le champ libre au Canada qui a gagné la bataille des mentalités, une victoire qu’il savoure depuis le référendum de 1995. À tel point que beaucoup de ceux qui voteront Parti québécois aux élections de 2018 sont persuadés de son bon droit, de sa bonne foi et de sa supériorité morale. Dans une futile quête de modernisme électoral, qui ne valorise que les messages positifs et réprouve toute référence aux rapports de domination, le PQ a renoncé à transmettre l’esprit de résistance canadien français, jugé méprisable et révolu.
2- Les quatre tentatives pour modifier le statut du Québec depuis la création du Parti québécois (50 ans)
Pour le René Lévesque de tous les jours et en fin de compte toute la tradition péquiste, la promotion de «la cause» ne s’est jamais séparée de ses ambivalences à l’endroit du Canada. On ne s’est jamais affranchi d’une auto censure qui, bien que ponctuée d’occasionnels coups de gueules, s’est toujours interdit d’instruire la fourberie du fédéralisme et de ses méfaits. C’est dans ce contexte de psychologie politique que se sont déroulées quatre tentatives de changer le statut politique du Québec.
La première
Quand René Lévesque nous lance le soir de la défaite référendaire son «À la prochaine!», c’est qu’il renonce à poursuivre le combat par tous les autres moyens légitimes qui sont à sa disposition. Il venait de s’écraser sous la peur et nous conseille d’en faire tout autant.
Pour Guy Laforest, «Toute analyse sérieuse des documents de l’époque révèle l’ampleur du désarroi de René Lévesque et de son gouvernement au lendemain de l’échec du référendum sur la souveraineté-association de mai 1980. Rien ne fut fait pour préparer stratégiquement les lendemains d’une possible défaite».
La deuxième
Quand en 1981, revenu bredouille et trahi d’Ottawa, une performance marquée par l’impéritie de la délégation du Québec, il soufflera de nouveau sur les braises de l’indignation nationale, ce sera pour s’employer à les éteindre quelques mois plus tard. Il renverra aux douches ceux qui, le prenant encore pour un chef, étaient montés – pour une deuxième fois – aux barricades à son appel.
Il vaut la peine de citer de nouveau Guy Laforest qui donne un compte rendu absolument dévastateur du comportement de la fine équipe Lévesque-Morin :
« Sur le terrain de l’alliance avec les provinces récalcitrantes aux initiatives unilatérales de M. Trudeau [père], et notamment dans la guérilla diplomatique menée à Londres, le gouvernement Lévesque (…) est constamment resté sur la défensive, paraissant souvent incohérent et désorganisé.
« Le 16 avril 1981, trois jours après la victoire électorale de René Lévesque et du Parti québécois contre les libéraux dirigés par Claude Ryan, le gouvernement du Québec a accepté, dans un document qui consolidait un front commun de provinces opposées aux projets de M. Trudeau, une formule d’amendement qui substituait le principe d’un retrait avec compensation financière au droit de veto du Québec. Cette décision fut entièrement improvisée. (…) Le Québec aurait pu beaucoup mieux gérer l’enjeu du droit de veto, n’acceptant d’y renoncer qu’au lendemain d’un accord global auquel il aurait pu souscrire.
«…Entre 1978 et 1982, Claude Ryan a incarné au Québec une vision du renouvellement du fédéralisme canadien en harmonie avec les intérêts du Québec comme société nationale et distincte. Pour protéger le Québec, le gouvernement Lévesque aurait pu faire un bien meilleur usage des lumières et de la bonne volonté de M. Ryan. Certes, la politique est affaire de combat; (…) Toutefois, Lévesque a choisi de ne jamais intégrer Ryan dans un dessein stratégique visant à contrer les projets de M. Trudeau. (…) Lors de la fatidique semaine des négociations constitutionnelles de novembre 1981, M. Ryan a essayé d’entrer en communication avec M. Lévesque et son équipe. Ses appels n’ont jamais eu de réponse.
«Véritable cafouillis. Sur le front judiciaire, le Québec et ses procureurs sont allés à quatre reprises devant les tribunaux en 1981 et 1982. Leur performance fut peu impressionnante. Pourquoi remplacer l’équipe en place par l’ex-juge de la Cour suprême, Yves Pratte? Pourquoi attendre de très longues semaines avant de décider de soumettre la question du droit de veto du Québec en renvoi à la Cour d’appel du Québec après novembre 1981? Pourquoi ne jamais avoir plaidé, sur la base de l’article 94 de la Loi constitutionnelle de 1867, la nécessité du consentement de l’Assemblée nationale du Québec pour toute réforme touchant la juridiction des provinces sur la propriété et les droits civils, invasion reconnue par le gouvernement fédéral lui-même et par les décisions antérieures des tribunaux?
«Si l’oeuvre d’ensemble paraît peu cohérente et souvent improvisée, cela s’est révélé sous son jour le plus cru lors de la conférence constitutionnelle de novembre 1981: climat anarchique et peu professionnel dans l’entourage de proximité de M. Lévesque, équipe ministérielle d’appui de second ordre, cafouillis total de René Lévesque lui-même et de son équipe à la suite de l’offre référendaire de M. Trudeau le matin du 4 novembre, absence de vigilance lors de la dernière nuit de la conférence.»
La troisième
Quand le Canada a renié sa parole – une autre fois – et que l’Accord du lac Meech a fait long feu, Robert Bourassa, premier ministre à l’époque, se retrouve avec des atouts qui lui permettent de rebondir. Mais il laisse passer le temps pour faire oublier son renoncement à faire suivre par des actes les paroles de son discours prometteur du 22 juin 1990, il s’écrase.
La quatrième
Dans la foulée du refus de procéder de Bourassa, Parizeau profite de l’indignation de l’échec de Meech, qui demeure encore vivace, pour repartir au front. Il se lance non sans témérité dans une ré-édition de l’échec de Lévesque, une aventure référendaire bis, dans laquelle il placera toutes ses billes. Il démissionne le soir du référendum de 1995, un geste prématuré qu’il regrettera plus tard. Trop tard. Il avait renoncé sur le champ à contester des résultats contestables. Il s’écrase à son tour.
Tableau
Quatre tentatives inachevées pour modifier le statut du Québec
Me Néron explique : «Quand René Lévesque ou Lucien Bouchard refusent de contester les décisions de la Cour suprême (sept. 1981) et l’imposition de la nouvelle constitution canadienne, ou d’exiger que ce dossier capital soit soumis en appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé (Londres) ou encore que le dossier soit soumis à un tribunal international», là encore, les chefs se sont défilés devant leurs obligations. «Un combat institutionnel de la plus haute importance entre deux nations n’est-il pas un conflit inter-national?»
Me Néron soutient qu’en matière constitutionnelle il ne faut jamais cesser de lutter pour le respect de ses droits les plus légitimes. Il donne en exemple la constitution de l’Angleterre, qui a presque mille ans, poursuit-il, et qui n’est faite que d’une succession de combats éprouvants pour la préservation de ses droits. Mais ici, chez-nous, il est interdit de se battre et, surtout, d’indisposer notre partenaire canadien ! «Le droit international coutumier ne reconnaît-il pas le droit de réclamer justice, et même de se faire justice lorsqu’il n’y a aucune autorité compétente pour le faire?»
De la décolonisation des mentalités
En fin de compte, les Canadiens-français-québécois tentent la quadrature du cercle depuis 1867. Et en compagnie du PQ depuis 1968. Si les Québécois et leurs chefs continuent de rejeter a priori tout geste qui occasionnerait la moindre montée de tensions entre le Québec et le Canada, si après avoir renoncé d’avance à oser un rapport de force qui leur serait favorable ils réclament du même souffle un changement de statut, c’est de la foutaise ! Vu la moindre forme de pugnacité, du moment que le Canada bombe le torse, vu la facilité avec laquelle nos chefs de file décrochent avant terme et plient armes et bagages, le Québec se présente désormais au Canada comme un joueur qui a décidé de s’exclure lui-même du jeu.
Tout ce temps, les chefs péquistes ont pu masquer leur manque de leadership et de persévérance par le report de leurs échecs sur le dos d’une population qui n’a pas suivi. Naturellement, ils ne disent pas qu’il n’y avait plus rien ni personne à suivre. N’est-il pas de l’ordre de la sagesse populaire de refuser de suivre un chef qui n’a pas de stratégie, qui ne croît pas en sa cause et qui s’incline au premier vent contraire?
Mais que la population n’ait pas suivie n’est au fond qu’une demi vérité. A-t-on oublié qu’au sommet des espoirs qu’il a suscité, le Parti québécois comptait 300 000 membres? Soit près de 5% de la population francophone ! Aujourd’hui il en a dix fois moins. Après l’échec du lac Meech, les appuis à la souveraineté atteignaient un sommet historique et 70 % de la population était prête à défier le statu quo canadian et suivre Robert Bourassa dans tout processus légitime qu’il aurait initié en ce sens. Il serait plus juste de conclure que la volonté populaire a été sacrifiée.
Par exemple ici : le soir du 30 octobre 1995, Jacques Parizeau, dans un message de dépit, renvoyait chez eux ses militants. N’était-ce pas un message d’abdication envoyé à la population? Qu’il nous fallait assumer une autre défaite? Comme Lévesque avant lui, il nous a laissé avec un sentiment de grande amertume, comme si nous n’avions pas perdu un combat mais que nous avions perdu la guerre ! Comme sur les plaines d’Abraham : la défaite. À la différence qu’en 1980 et 1995, on consentit à la défaite par une décision unilatérale de mettre fin aux hostilités après une simple période de réchauffement. La démobilisation des Québécois se poursuivait petit à petit.
En face, au Canada, on ne faisait pas dans la dentelle. «Nous étions en guerre», c’est par ces mots qu’on justifia, sans aucun remords, la violation systématique de la loi référendaire du Québec, une nouvelle agression dans un rapport de domination permanent.
Si bien que, depuis cinquante ans, ce qu’il conviendrait d’appeler chez-nous la contradiction principale est un chantier désert. Comme si celle-ci ne se situait pas entre le refus du Canada anglais de faire toute concession, et la volonté des «descendants des vaincus» de briser les cadres d’une prison constitutionnelle dans laquelle on les a enfermés, leurrés par des promesses aussitôt trahies. Faute de mettre cette contradiction au premier plan du combat politique, sauf de cibler correctement l’ennemi, toutes les nuances de la mouvance autonomiste ne peuvent que se retrouver dans une foire d’empoigne perpétuelle. Inversement, mettre la question de l’intransigeance du Canada sur la sellette, démaquiller l’hypocrisie de sa démocratie, dénoncer ses promesses trahies – dont plusieurs ont une valeur solennelle ou constitutionnelle – ne pourrait que renforcer notre unité.
Lévesque-Morin – Un scandale national
On ne peut conclure cette analyse de cinquante ans d’échecs constitutionnels sans revenir sur la désinvolture, l’improvisation et, somme toute, l’irresponsabilité du tandem Lévesque-Morin à l’occasion des délibérations qui conduisirent au rapatriement de la Constitution. Il y avait là pour le Québec une occasion de faire des gains sur le «minimum vital», voire plus. Mais le Québec, en raison de la pauvreté extrême de sa direction politique, est non seulement revenu d’Ottawa les mains vides, mais déshabillé ! Il avait renoncé à son droit de veto pour un plat de lentilles. Une bande d’amateurs aux commandes d’un navire sans gouvernail ! Une équipée dont le second de bord était un agent d’influence du fédéral tenu par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Un scandale national jamais dénoncé par l’entourage de Lévesque, voué à ne pas ternir sa réputation.
Le projet de décolonisation psychologique qui avait bien commencé dans les années 1960 s’est vite étouffé avec le plus attendrissant de nos colonisés, René Lévesque. Il rejeta non seulement le RIN mais toute notre tradition survivaliste et de résistance. Si beaucoup continuent de l’aimer autant c’est sans doute parce que c’est lui qui réunit le mieux les faiblesses de la typologie québécoise.
On a cru bien trop vite achevée la décolonisation des esprits. Nous l’avons confondue avec une perméabilité toute grande à la culture américaine, laquelle se juxtaposait au rejet de nos traditions culturelles et religieuses sans trop de discernement. La révolution tranquille, portée par un baby boom regorgeant d’énergie, nous a bien abreuvés et nourris aux agapes d’une aliénation accrue. Un rejet radical du passé qu’on a pris pour une œuvre de libération. Nous en voyons aujourd’hui les résultats. Entre la publication du livre Pourquoi je suis séparatiste? (1961) de Marcel Chaput et Naître colonisé en Amérique (2017) de Christian Saint-Germain, nous avons traversé un trou noir, pour ne pas dire une grande noirceur.