J’aime beaucoup José Bové. Celui qui assure aujourd’hui les fonctions de député européen sous l’étiquette écologiste fait toujours preuve de beaucoup de courage dans les combats qu’il mène contre les lobbys défendant l’alimentation industrialisée, contre les producteurs d’organismes génétiquement modifiés, contre la malbouffe quoi. Et j’aime ça ! Un citoyen qui ne craint pas de ruer dans les brancards pour imposer le changement – le vrai, pas celui de l’imbuvable Jean Charest-, ça fait du bien de voir ça !
La stratégie que Bové préconise pour ce faire est bien simple. Il mise sur la désobéissance civile. Cela a bien sûr valu quelques séjours en prison à cette figure dominante de l’altermondialisme. Toujours je me rappellerai d’ailleurs de l’extraordinaire photo nous le présentant les menottes aux poignets, les bras dressés, sortant d’un palais de justice donné. Le type n’avait pas peur, ça se voyait ; il était fier de ce qu’il avait accompli pour sa cause et était convaincu d’être dans son droit, d’agir légitimement pour améliorer le sort du monde. J’aime cette attitude, alors que je déteste les foutus discours des politicailleux qui consistent à ménager la chèvre et le chou.
Aujourd’hui, José Bové monte aux barricades contre les infâmes gaz de schiste. Et encore une fois, j’aime vraiment beaucoup son discours. Celui-ci ne nous dit pas qu’il est en faveur d’un moratoire parce qu’il faut attendre avant de lancer l’exploration, question de savoir si on peut bien exploiter cette ressource sans risque pour la santé humaine et l’environnement, et patati et patata. Non, ce n’est pas ce discours mièvre que nous sert Bové. Ce qu’il nous dit, plutôt, c’est qu’il faut carrément rejeter les gaz de schiste. Une fois pour toutes. Ce ne sont pas eux qui doivent être retenus pour combler nos futurs besoins énergétiques et il nous faut par conséquent dénoncer ces grands industriels qui ne cherchent pas à protéger l’environnement mais qui espèrent simplement trouver de nouvelles sources d’énergies fossiles pour encore faire augmenter davantage la demande mondiale pour de tels produits sales ; ce faisant, sans se soucier des impacts écologiques bien sûr. Sans équivoque, Bové plaide en faveur d’une réorientation drastique de notre consommation énergétique : on doit consommer moins, et consommer mieux, ce qui veut dire mettre l’accent sur des énergies beaucoup plus propres que le pétrole ou les gaz de schiste. Qui peut prétendre qu’un tel discours n’a pas d’allure ?
Alors pourquoi ne l’entend-on presque pas au Québec ? Bonne question. Jamais je ne croirai que nos écologistes et que nos citoyens sont plus inconscients que les militants français par rapport aux dangers que représente l’exploitation des gaz de schiste. Alors pourquoi ne les entend-on pas plaider fermement en faveur de la mise au rancart de toutes les idées favorisant le forage du golfe Saint-Laurent et de la vallée du Saint-Laurent, là pour y trouver du pétrole, et ailleurs pour y extraire du gaz de schiste ?
Je me risque une hypothèse, peut-être boiteuse…même si je ne le crois pas. Et si tout cela avait – un peu beaucoup- à voir avec nos médias, encore une fois. Nous savons qu’ils sont ici plus concentrés qu’à peu près partout ailleurs : Quebecor et Gesca-Power Corporation font, au Québec, la pluie et le beau temps. Qu’ils refusent de donner la parole aux militants écologistes les plus « radicaux », il n’y aurait là rien d’étonnant. Les autres militants auraient de ce fait compris que, pour accéder à la place publique, il est préférable de trouver des stratégies mitoyennes et destinées à percer les filtres médiatiques qui sont imposés à certaines causes. Que certains préfèrent mettre un peu d’eau dans leur vin pour attirer l’attention des médias, se disant qu’au moins ainsi les gens prendront conscience – en partie du moins –de leurs critiques, n’est que normal et compréhensible. Après tout, ce n’est pas ce que fait le PQ depuis des années?
Mais pourquoi les médias du Québec seraient si décidés à défendre l’industrie des gaz de schiste me direz-vous. Tout simplement parce que les militants québécois et français opposés au gaz de schiste font face à un grand ennemi commun : Power Corporation, grand propriétaire de presse au Québec, comme on le sait tous.
José Bové ne se gêne pas en France pour dénoncer les filiales de Desmarais qui sont impliquées dans les gaz de schiste, de même que les autres compagnies. Grosso modo, il est ici question de trois acteurs majeurs: la firme américaine Schuepbach Energy LLC, Total et Gaz de France. Power Corporation est un actionnaire majeur des compagnies Total et Gaz de France. En France, le groupe de Paul Desmarais a donc investi des sommes importantes dans la prospection des gaz de schiste. Il a également placé ses billes dans Arkema, une compagnie se spécialisant dans la production d’adjuvants qui servent à l’extraction du gaz de schiste. C’est dire que si la France fait le pari du gaz de schiste, les Desmarais en seront fort aise ! Et leurs coffres se rempliront encore plus rapidement qu’avant.
Mais au Québec, les Desmarais agissent dans le dossier des gaz de schiste avec plus de prudence et de discrétion. Ils interviennent principalement à partir de compagnies tiers.
Il faut par exemple savoir que les conseils d’administration de Power Corporation, de Gaz de France et de Gaz métropolitain sont tricotés serrés. Sensiblement, ces compagnies se partagent le service des mêmes administrateurs. Et poursuivent conséquemment des intérêts similaires, en France comme au Québec.
Évidemment, si le gaz de schiste devient florissant en France, la compagnie Gaz de France et Power Corporation s’en frotteront les mains d’aise. Mais si le gaz de schiste devient rentable au Québec, la compagnie Gaz Métropolitain n’en sera pas moins heureuse. Et Power Corporation et Arkema non plus, par le fait même.
L’automne dernier, Gaz métropolitain annonçait qu’elle se lançait dans le développement de pipelines destinés à transporter le gaz de schiste. 15 millions$ seront de ce fait prochainement investis pour relier les trois secteurs où d’importants gisements de gaz ont été découverts au Québec : Saint-Hyacinthe, Bécancour et Lotbinière ; le rapport du BAPE n’aura que retardé l’échéancier, parions-le. Le pipeline les reliera au réseau de distribution de gaz du Québec.
Voilà donc le plan des alliés de Power Corporation qui oeuvrent chez Gaz métropolitain, compagnie qui a jadis été dirigée par André Caillé qui défendait jusqu’à tout récemment encore les gaz de schiste: investir dans la distribution de cette ressource. Alors continuons d’être clairs : si le gaz de schiste devient le centre d’une exploitation digne de ce nom au Québec, Gaz métropolitain et ses alliés encaisseront des profits mirobolants.
Partant de là, il aurait été étonnant que les employés de Gesca desservent les intérêts de Power Corporation qui croit dans les gaz de schiste en publiant des propos trop durs allant à l’encore de cette industrie. Permettre qu’on parle du moratoire, c’était déjà bien suffisant, et ce, parce qu’une telle position ne fermait au moins pas complètement la porte.
Considérant que la moitié de la presse écrite est contrôlée par Gesca, que Cyberpresse est le site d’information le plus fréquenté au Québec, que Gesca est le partenaire secret de Radio-Canada, on comprend mieux l’ampleur du problème. On comprend aussi mieux le défi qui se pose aux militants anti-gaz de schiste qui désirent percer le filtre médiatique. S’ils veulent que leurs critiques se retrouvent sur la place publique, par l’entremise des médias qui sont en bonne partie sous la coupe de ceux qui veulent s’enrichir encore plus avec les gaz de schiste, y’a pas vraiment d’autres choix: ils ont intérêt à ne pas fermer complètement la porte à l’exploitation de cette source d’énergie qui fait rêver les patrons de Power Corporation, ce qui signifie les patrons des journalistes. Et comme le journaliste Denis Lessard m’a déjà avoué qu’il n’avait pas le droit de parler contre ses patrons, on peut s’imaginer le climat qui règne dans les salles de presse de Gesca lorsqu’il est question de l’industrie des gaz de schiste.
Du côté de Quebecor, ce n’est guère mieux. Les conservateurs y sévissent à qui mieux mieux. Les sceptiques du réchauffement climatique également. Alors, il ne faut pas plus compter sur ce grand groupe de presse pour voir l’industrie des gaz de schiste être pourfendue. Les militants se retrouvent donc Gros-Jean comme devant.
Ce dossier, encore une fois, démontre qu’on doit avoir une confiance bien limitée dans notre système médiatique québécois. Je sais que je radote ces analyses depuis 10 ou 15 ans maintenant, mais le fait est qu’elles sont toujours très utiles pour expliquer certains de nos problèmes de société et de nation.
Pour cet article, j’ai retenu un titre qui est un appel à José Bové, une boutade me permettant de dire que j’aimerais le voir militer chez nous, au Québec. Mais dans la vraie vie, je ne le veux pas. Pourquoi? Tout simplement parce qu’au Québec, José Bové n’aurait tout simplement pas le crachoir assez souvent pour être efficace, pour bien expliquer ses prises de position. S’il était né au Québec, José Bové serait un quidam, j’en demeure profondément convaincu, et ce, parce qu’il n’aurait pas suffisamment eu accès, au fil des ans, à la place publique qui est contrôlée par Power Corporation et Quebecor pour devenir quelqu’un de connu. Et comme Habermas l’a si bien dit : « qui n’est pas sur la place publique n’existe tout simplement pas ».
Comme ce n’est certainement pas dans l’inexistence et le silence qu’on peut faire la révolution et botter le cul des partisans des gaz de schiste, alors, M. Bové, demeurez en France. De grâce ! Vous êtes plus utile pour notre cause là-bas qu’ici, où la parole est efficacement contrôlée.