Heurtel à la rescousse d’un haut gradé péquiste

Avocat de formation, Scraire a été chef de cabinet pour les péquistes Jacques-Yvan Morin et Marc-André Bédard.   C’est un individu associé clairement à cette famille politique.

Parmi les éléments qui contribuèrent à miner la réputation de Scraire en tant que dirigeant de la Caisse de dépôt et placement, nous retrouvons l’affaire Vidéotron.  En 2000, la CDP investit 3,2 milliards$ dans Vidéotron, ce qui a permis à Québecor de prendre possession de l’entreprise de la famille Chagnon.  De ce fait, Scraire contribuait à aggraver encore davantage le problème de la concentration médiatique au Québec. Ce qui permettait à Québecor de bomber encore plus férocement le torse face à Gesca-Radio-Canada.  Mais l’investissement se révéla par la suite fort peu rentable, ce qui lui attira bien des critiques.  Mais si tel était le prix à payer pour que Vidéotron demeure québécoise, alors j’imagine que c’est malgré tout défendable.

Beaucoup moins défendable fut l’aventure de la CDP dans Montréal Mode. 

En 1999, Scraire décida de nommer Chantale Lévesque à la tête de la structure Montréal Mode en lui confiant la gestion d’un montant de 30 millions$, puisé à même le bas de laine des Québécois. Le but était de développer l’industrie de la mode à Montréal.  Le problème ici n’est pas tant le montant en question, qui est malgré tout assez modeste si l’on considère les avoirs de la CDP, mais plutôt le jugement dont a fait preuve M. Scraire dans cette affaire.  Sa décision plaçait une novice en la matière dans un fauteuil beaucoup trop grand pour elle.  Les libéraux reprochèrent aussi aux péquistes d’avoir récompensé l’une des leurs. Il est vrai que Mme Lévesque avait présidé la campagne du Oui à Laval en 1995.  Mais surtout, les journalistes découvrirent, une fois que le fiasco Montréal Mode fut total et que la structure fut fermée, que des notes de frais exorbitantes avaient été remboursées à madame Lévesque et à son conjoint. On parle de  plus de 600 000 $ en seulement deux ans, dont 70 000 $ sans factures justificatives et 75 000 $ en frais jugés inadmissibles.  Il est ici question de voyages au Mexique pendant la période des vacances, de vêtements de designers, etc.

L’aura de M. Scraire a également pâli à cause de son implication dans le dossier du siège social montréalais de la CDP.  Au départ, la construction de la nouvelle maison mère de la CDP devait coûter 112 millions$.  Mais comme c’est trop souvent le cas au Québec, la facture finale devait être bien plus salée que ce qui avait été annoncé au départ.  En fait, la somme totale nécessaire à la construction de l’œuvre pharaonique de Scraire devait être quatre fois plus importante que celle présentée dans le plan initial, soit plus de 400 millions$, ce qui était une somme supérieure à la valeur même de la bâtisse nouvellement construite.  Scraire fut accusé de dilapider de manière irresponsable l’argent des Québécois et d’avoir des goûts de luxe.  À cette accusation, il répondit : « non, des goûts de qualité ! »

À son départ de la CDP, cette institution présentait un rendement négatif.  Elle se classait bonne dernière en matière de rendement parmi les caisses de retraite du Canada.  En 2002, la réputation de Scraire était à son plus bas.

En tant que gestionnaire de crise (travail consistant à laver l’image de celui qui te paye pour le faire), David Heurtel, alors directeur-général d’Annexe communication, s’est porté à la rescousse de Jean-Claude Scraire.  Il devait tenter de sauver la face de celui qui avait perdu bien des plumes en présidant les pertes de la CDP et par son implication dans Montréal Mode et dans la construction du nouveau siège social.  Pourrait-on dire que le péquiste Heurtel, lui qui venait de quitter le cabinet Landry, s’est porté à la rescousse d’un autre péquiste ?  Ç’a en a tout l’air.

Mais le pire se trouvait ailleurs.  En tant qu’individu associé aux hautes sphères de la CDP, Jean-Claude Scraire a entretenu des liens avec Vincent Lacroix, le fraudeur-propriétaire de la firme Norbourg.  Lacroix a travaillé pour lui, à la CDP, et Scraire, après son départ de la CDP, a travaillé pour Norbourg.  Le site de Norbourg indiquait d’ailleurs que Scaire « met à la disposition des décideurs des « cinq continents (…) ses qualités d’homme d’affaires ».

Rappelons que Norbourg et Vincent Lacroix se sont retrouvés sur la place publique au milieu des années 2000 lorsqu’il fut révélé qu’ils étaient au cœur d’un vaste système de détournement de fonds.  Dans l’aventure, 9200 petits investisseurs ont perdu 130 millions$ de leurs économies durement gagnées à la sueur de leur front.  En 2007, Vincent Lacroix a été reconnu coupable des 51 chefs d’accusation qui pesaient contre lui.  Il fut emprisonné pour ses crimes.

Mais les rumeurs concernant Norbourg allaient déjà bon train dès le début des années 2000. On avait alors ouïe dire que Lacroix payait en argent plusieurs transactions, qu’il se promenait, en compagnie d’un garde du corps, avec des mallettes pleine d’argent.  Et dès 2002, c’est-à-dire plus  de deux ans avant l’ouverture officielle de l’enquête le concernant, lui et son entreprise étaient dans la mire de la Commission des valeurs mobilières du Québec.  Une vérification concernant Norbourg fut lancée dès 2002.  Jean-Claude Scraire gravitait alors autour de Norbourg.  Il s’apprêtait même, quelques jours seulement avant que le scandale n’éclate au grand jour, à devenir président d’un conseil de Norbourg.

Lors du procès de Vincent Lacroix, il fut démontré que Scraire, alors qu’il était le dirigeant de la CDP, avait un accès très libre au bureau de Norbourg.  Il possédait carrément la clé…

Il faut dire que Scraire n’était pas impliqué dans le scandale Norbourg et que ses relations avec Lacroix ne firent certainement pas partie du mandat de Heurtel lorsqu’il le défendait en 2002 et en 2003. À ce chapitre, c’est plutôt le PQ qui devrait réfléchir au cheminement de M. Scraire.  En effet, Pauline Marois a dernièrement nommé Scraire à la tête d’Investissement Québec. 

Comme quoi, le passé s’oublie bien vite…

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