En plus d’avoir lancé récemment le film Journal de Bolivie, le cinéaste Jules Falardeau vient de faire paraître aux Éditions du Journal un livre sur le FLQ et octobre 70 intitulé La crise d’Octobre 50 ans après. On y retrouve les témoignages de plusieurs acteurs de l’époque et de nombreuses images d’archives. Jules Falardeau a répondu à nos questions.
Jules Falardeau, est-ce que ça fait longtemps que tu t’intéresses à l’histoire du FLQ et de la crise d’Octobre? Ça te vient de ton père (NDLR : Pierre Falardeau, réalisateur du film Octobre)? Comment est né ton intérêt pour un projet de livre sur le FLQ?
Évidemment, j’ai été initié très jeune à la question. Le fait d’avoir joué un petit rôle dans le film Octobre y est pour quelque chose. Je me souviens vaguement de la polémique avec le sénateur Gigantès, mais j’étais trop jeune pour comprendre tout le sérieux de la question. Aussi, j’ai souvent rencontré Francis Simard, il m’a vu grandir, et j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs autres acteurs du FLQ.
Pour le livre, disons qu’on m’a proposé le projet. Et, comme j’ai dit, pour une fois que ce genre de projet politique ne vient pas de moi, j’aurais été fou de ne pas accepter. C’est clair que, pour un premier livre, c’est assez motivant comme sujet, mais c’est aussi angoissant, dans le sens que, comme avec le sujet du Che par exemple, qui est abondamment traité dans la culture, les livres, les films, ce sont des sujets sérieux et tu n’as pas le droit de dire de niaiseries. Mais j’ai toujours senti que les Éditions du Journal et la directrice Mylène Descheneaux m’ont fait confiance.
Quel était ton objectif principal avec ce livre? Donner la parole à des acteurs de l’époque qu’on a peu entendus parler sur le sujet? Personnellement, je trouve que c’est une des principales forces du livre.
Mon objectif principal, comme avec beaucoup de mes projets historiques, c’est de faire découvrir un pan de l’histoire aux plus jeunes, tout en le faisant redécouvrir aux plus vieux qui ont vécu ces périodes. Le choix des intervenants s’est posé naturellement. Je suis allé avec des gens que je connaissais et que je savais qu’ils apporteraient quelque chose. Doris McInnis pour comprendre le militantisme de terrain à l’époque, Raymond Villeneuve pour comprendre la naissance du FLQ, Claude Aubin pour saisir l’ambiance policière de ces années-là, Édouard Cloutier et Guy Bouthillier, c’est pour la portion analyse politique autour de la crise d’Octobre et de la Loi sur les mesures de guerre.
Ça m’a permis aussi de rencontrer Lise Balcer, Andrée Ferretti et Gilles Proulx, que je connaissais seulement de réputation et qui, eux aussi, amènent tous un point de vue particulier sur les événements et sur l’époque. Et Armand Vaillancourt, qui est comme la cerise sur le sundae, pour, de un, son implication auprès des prisonniers politiques, et, de deux, comment il a mis son art au service de la cause et de la mémoire. Sa fontaine, l’une des plus célèbres du monde, s’appelle « Québec libre! », et c’est à cause de la crise d’Octobre qu’elle s’appelle ainsi. Ça, ça m’a toujours impressionné.
Dans ton introduction, tu suggères que si le Québec avait fait son indépendance, le regard qu’on a sur les felquistes aujourd’hui serait probablement différent. Que veux-tu dire?
Dans le sens que, dans d’autres pays indépendants, le combat de gens qui se sont impliqués dans la guérilla, ou par la violence politique, a été reconnu, et certains sont mêmes devenus des dirigeants de leurs pays respectifs. Je pense à Nelson Mandela en Afrique du Sud, Pepe Mujica en Uruguay, Dilma Rousseff au Brésil. Quand on dit que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, la différence avec ici m’a toujours frappé, parce qu’on nous impose une vision : le FLQ est un mouvement terroriste. Alors que ceux nommés terroristes à une époque dans l’un de ces pays sont reconnus comme ayant fait partie de la longue lutte de libération de leur pays. Et cet élément est rarement soulevé, mais l’accueil qu’a reçu Paul Rose en Irlande de la part d’anciens de l’IRA devenus députés du Sinn Fein me prouve que ma réflexion est pertinente.
Dans le livre, tu insistes sur le contexte international qui a pu influencer les indépendantistes des années 1960 et sur leur internationalisme. Si on regarde la situation actuelle, penses-tu que les luttes pour l’indépendance en Écosse, en Catalogne ou ailleurs pourraient aujourd’hui inspirer les Québécois? Je pense à toute la mobilisation qu’il y a en Catalogne depuis quelques années, malgré la répression, c’est assez admirable, alors qu’ici on nous dit que l’indépendance est une idée dépassée…
Écosse, Catalogne, Corse, Pays Basque, Palestine, Irlande du nord, tous les récits et les expériences de ces peuples en lutte peuvent et doivent nous servir à nous comprendre nous-mêmes, sans rien calquer mais en ayant en tête que les réponses d’un pouvoir en place peuvent aller très loin.
Dans des nations déjà indépendantes il y a aussi des peuples en lutte. Des peuples qui luttent contre un néo-colonialisme, où leur pays, libre en apparence, est complètement à la merci d’une oligarchie qui le vend à des compagnies transnationales. Évidemment, je parle souvent des luttes en Amérique latine, mais je peux donner aussi un exemple en Afrique. J’ai un ami au Burkina Faso, une nation libre politiquement, mais où la réelle tentative de s’affranchir de la tutelle de la France, même après l’indépendance, a été contrecarrée et où le grand Thomas Sankara s’est fait assassiner parce que les néo-colonialistes le voyaient comme menaçant pour leurs intérêts. Et surtout pour éviter que sa volonté d’indépendance réelle ne se répande ailleurs en Afrique.
Dans le Journal de Bolivie, il est aussi beaucoup question de l’internationalisme. Et j’ai trouvé un extrait où le Che parle aux Algériens, en français, et résume le plus simplement du monde ce qu’est l’internationalisme. Il explique que l’impérialisme, où qu’il se trouve dans le monde, utilise les mêmes contre-mesures face aux peuples en lutte et c’est ce qui, d’une certaine manière, permet à ces différents peuples de pouvoir tisser des liens.
Dans la couverture actuelle des événements d’octobre 1970 et du FLQ dans les médias établis, on est souvent dans le potinage et le sensationnalisme policier du genre : « Qui était là ou pas là à tel moment? Paul Rose avait-il un revolver lorsqu’il a rencontré Jacques Cossette-Trudel? Que savait Raymond Villeneuve de la mort de Mario Bachand? Etc. ». Est-ce qu’on ne repousse pas dans l’ombre les vraies questions avec ce genre de journalisme policier qui évacue le politique?
Je trouve qu’on perd beaucoup de temps et d’énergie sur des détails de l’histoire qui sont, à mon sens, un peu des futilités. La masse d’informations qui sort et qui nourrit un débat sur ces futilités contribuent à un état de confusion, et nous empêche de réfléchir à des questions plus profondes et importantes.
Je prendrai comme exemple le livre de Guy Bouthillier et d’Édouard Cloutier, Trudeau et ses mesures de guerre, vus du Canada anglais. C’est un livre incroyable, fouillé, sérieux et inattaquable. Il est sorti pour le 40e anniversaire des Mesures de guerre, et n’a reçu que très peu d’écho. Par contre, un livre comme celui de Louise Lanctôt qui ressasse encore les mêmes histoires confuses, la même amertume, reçoit une exposition médiatique beaucoup plus large.
Personnellement, je crois que d’étudier les effets psychologiques de la Loi sur les mesures de guerre sur le mouvement indépendantiste ou le niveau de préparation stratégique et militaire de l’État canadien lors de la crise d’Octobre est beaucoup plus intéressant politiquement que de savoir si Paul Rose a dit ça ou s’il avait un revolver.
Ton ouvrage est abondamment illustré. Il y a de nombreuses photos d’époque, la reproduction de Unes et d’articles de journaux, etc. Ça t’a demandé un gros travail de recherche assembler toutes ces illustrations? C’était important pour toi qu’on puisse voir les acteurs de l’époque et la couverture de presse?
Comme cinéaste, je travaille avec l’image comme façon de raconter une histoire, mais le contenu n’en est pas moins important. Disons qu’ils sont complémentaires. Le point de départ devait être un livre de photos et d’archives du Journal, avec des témoignages de première main qui venaient enrichir le récit imagé, et c’est exactement ce qu’il est. La pandémie nous a un peu compliqué le travail, puisque, à partir d’un certain point, tout a dû se faire à distance. Cependant, quelque temps avant la pandémie, j’ai eu la chance, avec Ariane Caron-Lacoste, qui a fait un travail formidable soit-dit en passant, de fouiller des boîtes d’archives papiers du Journal de Montréal. Pour quelqu’un qui se passionne pour l’histoire et pour les archives, c’était un moment absolument incroyable. « Hein, on a trouvé un communiqué original! » ou « Regarde ce dossier ou cette photo! ». Classer le tout et essayer d’imaginer qu’est-ce qui irait où, etc.
Pour un jeune ou un moins jeune qui voudrait en apprendre davantage sur le FLQ, quels livres (à part le tien) et/ou films conseillerais-tu?
Je commencerais par le film Les Rose. Ça pourrait faire un excellent point de départ. Un très bon film de Félix Rose, le fils de Paul. Je suis sorti du cinéma complètement bouleversé. Ce n’est pas nécessairement par ce qu’on y apprend, mais ce film arrive à bien représenter et à mettre en images les conditions d’infériorité que vivaient les Québécois, le contexte d’où ont émergé les différentes vagues du FLQ. Et aussi, le citoyen Paul Rose, comment il est resté toujours droit quand on a tout fait pour essayer de le casser.
Dans le même ordre d’idées, je mettrais le livre de François Schirm Personne ne voudra savoir ton nom. On y comprend ce que ça représente d’être un prisonnier politique au Québec, quoiqu’en pense Yves Boisvert, comment le système ne te fera pas de cadeau mais, en plus, il tentera de te briser le moral par tous les moyens à sa disposition. Et le cas de Schirm est particulièrement intéressant, parce qu’il est un immigrant, qui choisit de se mettre du côté des faibles. Et lorsqu’on lui offre le choix de l’exil ou de continuer sa peine, il choisit la prison, il choisit le Québec, sa patrie.
Ensuite, je mettrais le film Octobre et le livre de Francis Simard Pour en finir avec octobre. Les deux ensemble, c’est une excellente façon de comprendre encore notre situation d’infériorité, le militantisme de longue haleine et ce qui pousse des gens vers la clandestinité et, finalement, qu’est-ce que ça fait humainement de se rendre jusque-là. Il est vraiment question de sacrifice personnel pour un idéal collectif et c’est un duo complémentaire et bouleversant.
Le livre de Louis Fournier, FLQ, histoire d’un mouvement clandestin est un passage obligé, le plus complet sur l’histoire du FLQ. Le chef-d’œuvre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, l’est aussi.
Le livre de Cloutier et Bouthillier également, Trudeau est ses mesures de guerre, vus du Canada anglais. On y voit tout le génie machiavélique de Trudeau, mais d’un point de vue canadien-anglais, comment ces gens se sont fait manipuler et mentir par Trudeau.
Et j’ajouterais Le colonialisme au Québec, d’André D’Allemagne, qui est un peu notre Les Damnés de la terre.
Avec la sortie de ton film Journal de Bolivie sur le Che et ce livre sur le FLQ, ça te fait un gros automne, mais j’imagine que tu as d’autres projets en tête. Sur quoi comptes-tu travailler désormais?
J’aimerais bien me reposer un peu! [rires]. À court terme, je continue de travailler pour Tabloïd sur des sujets bien différents, mais j’en éprouve toujours un grand plaisir du début à la fin. Je n’exclus pas de me lancer sur un autre documentaire ou un scénario de long-métrage de fiction. Et comme je lis beaucoup, je dois avouer que j’ai bien aimé l’expérience d’écrire un livre moi-même. Je pense renouveler cela éventuellement.
Le livre de Jules Falardeau La crise d’Octobre 50 ans après est disponible dans toutes les bonnes librairies. Le DVD de son film Journal de Bolivie sortira quant à lui début novembre, mais il est disponible depuis septembre en vidéo sur demande : https://vimeo.com/ondemand/journaldebolivie
Propos recueillis par Pierre-Luc Bégin