Dix années louées au rabais

Au boulot ce matin,

l’administration a cru bon

de prendre une petite minute

pour souligner les dix ans de service

de mon collègue Gaston.

Du siège social de Mississauga,

il a reçu une enveloppe matelassée

remplie à ras bord de mépris

dans laquelle on avait

accessoirement glissé

un diplôme dans un cadre en plastique.

Un diplôme, tabarnak!

Dans un foutu cadre en plastique!

Et en anglais s’il-vous-plaît,

yes madame,

congratulations for your hard work…

Et les petits gérants locaux

branlaient la queue de satisfaction,

tout contents-contents,

souriant avec leurs lèvres

pleines de marde,

applaudissant avec leurs mains

tachées de sang,

aveuglés par l’obéissance imbécile.

Autour de la table,

le malaise était palpable,

un malaise parsemé de gêne,

d’incompréhension et de colère.

Une décennie de sueur

contre un bout de papier

dans une langue étrangère…

Dix années louées au rabais.

Dix ans à risquer sa vie sur les routes,

dix ans à se maganer le dos

en charriant des pièces de chars,

dix ans à se faire pousser dans le cul

sans broncher,

dix ans, calvaire!

Et en prime,

en guise de bonus, si j’ose dire,

le bon Gaston a appris

que dorénavant,

suivant un règlement interne,

la quatrième semaine de vacances

serait allouée

non plus au bout de dix ans de service

mais bien au bout de douze ans!

It’s well explained

in the papers we gave you…

Et on rit de moi

quand je parle de colonialisme?

Ha!

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