Débat sur la laïcité : notre tragi-comédie provinciale

Le projet de loi sur la laïcité du gouvernement Legault semble inquiéter bien des gens. Je peux comprendre, mais ce qui m’inquiète le plus présentement, c’est la polarisation extrême du débat qu’il a engendrée avec son festival de la mauvaise foi où les discours délirants se multiplient à gauche comme à droite. Les voix raisonnables ne se font pas très nombreuses. C’est plutôt à qui méprisera le plus l’autre camp. Mais une fois cette tempête passée, il faudra bien, au Québec, et particulièrement dans le mouvement indépendantiste, réapprendre à se parler civilement et à travailler ensemble pour l’avenir de notre peuple, non? Ce n’est pas en se garrochant de la boue de part et d’autre qu’on va faire l’indépendance et assurer l’avenir de notre nation… Mais où s’en va-t-on bordel avec tous ces discours outranciers?!

Bon, je vous entends déjà tous, à gauche comme à droite, me demander sur le ton de l’inspecteur de police : « Mais toi, tu loges où, toi, hein? Envoye, parle! ». De un, j’essaie de me situer dans la réflexion rationnelle, ce qui semble rare par les temps qui courent. J’essaie de réfléchir, de soupeser. Ce qui fait sans doute de moi un traître pour les deux camps. De deux, surtout, je crois que l’avenir du Québec et celui du mouvement indépendantiste nécessitent la préservation d’un vivre-ensemble qu’aurait facilité une voie de compromis en matière de laïcité. Pas satisfaits?

Plus précisément, pour moi, le PL21 n’a pas le caractère scandaleux que certains lui prêtent. C’est une position qui se défend très bien et qui apparaîtrait très modérée dans beaucoup de pays démocratiques. Donc les accusations de racisme, d’autoritarisme ou de je-ne-sais-quoi, c’est du délire. Va-t-il trop loin dans le contexte actuel du Québec? Je pense effectivement que le gouvernement Legault aurait dû s’en tenir au rapport Bouchard-Taylor, une position de compromis recueillant un appui extrêmement large dans la population québécoise. Et qui aurait pu apaiser la situation et permettre de nous sortir de nos débats actuels très provinciaux. Aller plus loin allait inévitablement jeter de l’huile sur le feu et amener des déchirements importants, et des déchirages de chemises, dans la société québécoise. Et quand la société québécoise s’entredéchire, elle s’affaiblit. Oublie-t-on dans le camp dit nationaliste que nous sommes un peuple vassalisé, inféodé à un autre, et que cette situation de soumission à la majorité canadienne-anglaise nécessite un minimum d’unité de notre côté? Les fédéraux doivent bien rigoler de nous voir nous entre-déchirer ainsi…. Sans compter que tout ce brassage de merde redonne de l’importance à certains individus et à certains groupuscules qui devraient n’en avoir aucune, mais qui profitent de ce débat pour pousser plus loin la surenchère vers leurs idées puantes.

Par ailleurs, du côté d’une certaine gauche réfractaire à la laïcité républicaine, dans le camp des partisans du multiculturalisme ou du côté des défenseurs des droits individuels d’abord et avant tout, a-t-on eu la sagesse et la modération requises? A-t-on eu le souci de préserver un minimum d’harmonie dans la société québécoise? À l’évidence, non. Ça jette des galons de gaz sur le feu en multipliant les analogies boiteuses, les accusations délirantes, les épithètes nauséabondes envers quiconque appuie le projet de laïcité de la CAQ. Pourtant, le modèle anglo-saxon de gestion de la diversité est aussi un modèle qui peut se défendre rationnellement. Chez les rares modérés de ce camp, il y a d’ailleurs de bons arguments. Donc traiter, par exemple, les indépendantistes multiculturalistes, ceux qui inscrivent leur réflexion sur la laïcité dans cette tradition anglo-saxonne, de toutes sortes de noms d’oiseaux, de traîtres, d’islamistes ou d’autres choses du genre est aussi délirant. Ça peut paraître contradictoire, mais il est possible d’être un authentique indépendantiste qui souhaite ardemment l’avènement d’un Québec indépendant tout en voulant poursuivre le modèle anglo-saxon d’aménagement de la diversité. C’est une position qui était marginale jusqu’à récemment dans l’histoire du Québec, et ce n’est pas la mienne, mais c’est une position légitime. Tout comme les positions de la CAQ ou du PQ en matière de laïcité sont légitimes. Et je persiste à croire que le mieux pour l’avenir du Québec aurait été de trouver une position de compromis. En fait, elle était là, juste là, cette foutue position de compromis : Bouchard-Taylor! C’était trop simple… Tout le monde a craché dessus… Même les auteurs du rapport! Quel délire! Quelle tragi-comédie… Et les indépendantistes, d’un côté comme de l’autre, qui ont mis l’essentiel de leurs énergies et de leur temps dans les derniers mois à débattre de signes religieux plutôt que de faire la nécessaire pédagogie de l’indépendance… Décourageant.

Dans tout ce bourbier, j’en suis rendu à espérer que le PL21 soit adopté rapidement et qu’on panse tous nos plaies au plus vite pour ensuite recommencer à regarder en avant. Ensemble. Et cet avant ne peut être que l’indépendance du Québec. Le peuple québécois est de plus en plus minoritaire au Canada, Montréal s’anglicise vitesse grand V, la culture québécoise se folklorise de plus en plus… Il vous faut quoi pour reprendre vos esprits? Or, pour réaliser l’indépendance, il faudra nous unir. En avons-nous la maturité? Je nous le souhaite.

Pierre-Luc Bégin

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Un commentaire

  1. « Débat sur la laïcité : notre tragi-comédie provinciale »
    2019-05-17
    Pour en arriver à l’Indépendance un jour, il faut que le peuple québécois francophone regoûte au doux parfum de la victoire. L’adoption du PL 21, c’est déjà gagné… au Québec. Et nous avons remarqué que nos adversaires sont de très mauvais perdants. Or, ce premier pas est un gage que nous vaincrons éventuellement pour la liberté et l’indépendance.

    Aujourd’hui, Josée Legault du JdeM soument dans sa chronique « Le piège à ours » que l’arrêt Mahé c. Alberta sera invoqué par les avocats fédéralistes des Commissions scolaires anglophones. Elle conclut : « Pour appartenir à la fédération canadienne, c’est le prix à payer ».
    https://www.journaldemontreal.com/2019/05/17/le-piege-a-ours

    Macpherson de The Montreal Gazette rappelle dans une récente chronique que sur l’île de Montréal, seulement 2 des 27 députés à l’Assemblée Nationale (CAQ) sont en faveur. Les 25 autres, du PLQ et de QS sont contre. Son ton porte à croire que Montréal aurait un droit de véto sur les décisions de l’Assemblée Nationale du Québec.

    « …Already, the legislation was opposed by the Quebec Liberal and Québec solidaire parties, which hold all but two of the 27 seats for Montreal Island in the National Assembly. Several federal Liberal members of Parliament and suburban mayors from the Island also spoke against the bill at a rally in Côte-St-Luc last Sunday… »
    https://montrealgazette.com/opinion/columnists/macpherson-quebec-versus-montreal

    Patience, Monsieur Bégin. Plus les anti-laïcité brasseront la cage, plus le sentiment d’aliénation des Québécois se renforcera et plus leur fierté sera méprisée, plus ils réaliseront que LA solution à ce fouillis sera de se déclarer en faveur du pays du Québec, sorti de ce pays ROCambolesque.

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