De la « province » de Québec à la Palestine

Je dois avouer que c’est avec un certain plaisir que je commenterai l’actualité chaque semaine ou que je ferai part aux lecteurs de quelques réflexions politiques. Mais à quel type de chronique peut-on s’attendre? Hum… Bonne question! Cela dépendra des semaines : de courts billets pour les semaines surchargées, des textes plus touffus quand le temps le permettra, des coups de cœur, des coups de gueule, parfois les deux… Une constante : poser chaque semaine une petite pierre, si minuscule soit-elle, à l’édifice de notre combat pour la liberté et l’indépendance des peuples.

Bon, on commence par quoi cette semaine? Testons les lecteurs… Laissez-moi vous déprimer un peu!

Ces temps-ci, ce qui me désole particulièrement, c’est de voir à quel point la politique québécoise est profondément provinciale, dans le sens le plus péjoratif du mot. C’est la marée des préoccupations quotidiennes sans envergure. Peu de place pour le rêve et l’ouverture sur le monde. Comme si le peuple québécois ne se souciait que d’infrastructures routières ou de soins de santé à la petite semaine et qu’il ignorait la planète qui l’entoure et l’avenir de celle-ci. Bien sûr, lorsqu’un tunnel s’effondre ou que les urgences débordent, cela a de quoi inquiéter et il faut se préoccuper de tels problèmes. Mais est-ce que la vie politique doit se résumer à cela? De nos jours, il me semble que l’on patauge dans le provincialisme mur à mur.

Prenons le cas du conflit israélo-palestinien, conflit majeur aux répercussions immenses cela va de soi. Dans environ un mois, un geste historique sera posé : les Palestiniens demanderont leur adhésion pleine et entière à l’ONU. Plusieurs pays dans le monde ont déjà affirmé être prêts à reconnaître un État palestinien membre à part entière de l’ONU. D’autres ont déjà affirmé s’y opposer (dont, sans grande surprise, le Canada de Stephen Harper). Or, absence presque totale de prises de position ou même de débats sur cette question au Québec. Que des entrefilets ou de faibles reportages repiqués des agences de presse internationales. Comme si les Québécois ne se souciaient pas de cet enjeu majeur. Comme si les Québécois n’avaient rien à dire au monde. Comme si les Québécois ne voulaient jouer aucun rôle dans les débats internationaux. Vraiment? Je ne pense pas que le problème soit le peuple québécois lui-même, mais bien ses élites politiques et ses médias abrutissants.

Tout d’abord, les médias. Le problème ici est double. D’une part, rares au Québec sont les journalistes suffisamment informés et compétents pour traiter des questions de politiques internationales. Sur ces questions, le journalisme québécois est en général pitoyable. D’autre part, les médias au Québec semblent croire que parler au « vrai monde » des « vraies affaires » se limite à ne couvrir que des événements provinciaux et locaux, très souvent des faits divers. Une poutre est tombée sur l’autoroute machin-chose. Accident de voiture sur la 40. Mini-tornade au lac Saint-Jean. Un meurtre à tel endroit. Etc. L’ouverture sur le monde se limiterait à cela, et on laisse ensuite toute la place au divertissement facile. Pathétique. Et l’été, c’est pire que pire. Vivement septembre!

Pour ce qui est des hommes et femmes politiques, il est évident que notre situation provinciale conditionne directement nos débats et notre vie politique. Le fédéralisme canadien nous pousse au repli sur soi provincial, cela est très clair. Comme nous n’avons pas de siège dans les forums internationaux majeurs (hormis dans la Francophonie, qui n’est pas le forum le plus influent), on laisse Ottawa dire n’importe quoi en notre nom. Nos représentants n’essaient même pas de prendre la parole. À quand remonte la dernière déclaration majeure du ou de la ministre des Relations internationales du Québec? Ou même du premier ministre? Les élites politiques québécoises sont enfermées dans le provincialisme jusqu’aux oreilles et abdiquent complètement face à Ottawa quant à la politique internationale du Québec. Stephen Harper parle en votre nom et il ne faut pas compter sur Jean Charest pour le contredire. Ce qui est le comble, c’est qu’il ne faut pas compter sur Pauline Marois pour le faire non plus. Pour une cheffe de parti qui prétend vouloir inclure le Québec dans le concert des nations, le silence du PQ et de sa cheffe est une vraie honte.

Pour ma part, je voudrais profiter de cette chronique pour dire à mes amis Palestiniens que ma conscience politique ne s’arrête pas aux frontières de la « province ». Je voudrais leur dire que Stephen Harper ne parle pas au nom des Québécois. Je voudrais dire qu’un jour, j’espère, le délégué du Québec indépendant à l’ONU se lèvera pour reconnaître la Palestine indépendante. Je souhaite qu’un jour, enfin, le Québec puisse jouer son rôle sur la scène internationale et contribuer, à la hauteur de ses moyens, à la résolution des conflits, à la fin du colonialisme et de l’impérialisme. Je rêve d’un Québec indépendant qui appuie une paix négociée dans la justice entre un État d’Israël et un État de Palestine tous deux reconnus, libres et souverains. Je rêve? On peut encore rêver, non?

En tout cas, je préfère rêver à un Québec à l’ONU, à un Québec qui parle et agit dans le monde, que de me contenter des débats provinciaux qui nos bouchent les yeux et nous marginalisent. Je refuse de me laisser endormir par le ronron quotidien de la gestion provinciale. Je refuse de laisser ma conscience nationale et internationale disparaître dans la poutine provinciale insipide et les divertissements débiles que nous servent nos médias. Et je refuse que le Canada parle en mon nom.

En terminant, j’ai redécouvert récemment la poésie du grand poète palestinien Mahmoud Darwich, que m’avait jadis fait découvrir mon ami Pierre Falardeau. Lisez un peu :

« Tant que nos chansons
Resteront des épées lorsque nous les brandirons
Tu seras fidèle comme le blé
Tant que nos chansons
Resteront comme levain lorsque nous les sèmerons
Et toi, comme un palmier obsédant
La tempête et le bûcheron n’ont pu l’assujettir
Les fauves du désert et de la forêt
N’ont pu couper ses tresses
Mais moi l’exilé par-delà la porte et la muraille
Prends-moi sous tes yeux
Où que tu sois, prends-moi
Rends-moi la couleur du visage et du corps
La lumière du cœur et des yeux
Le sel du pain et de la mélodie
Rends-moi le goût de la terre et de la patrie!
Prends-moi sous tes yeux
Prends-moi comme une peinture dans la chaumière des soupirs
Prends-moi comme un verset dans le livre de ma tragédie
Prends-moi comme un jouet, une pierre de la maison
Afin que la génération future
Sache reconnaître
Le chemin de la maison!
Palestiniens tes yeux et ton tatouage
Palestinien ton nom
Palestiniens tes rêves et tes soucis
Palestiniens ton foulard, tes pieds et ta stature
Palestiniens ton silence et tes paroles
Palestinienne ta voix
Palestiniennes ta naissance et ta mort
En ton nom, j’ai crié à la face des ennemis
Ô vers, si jamais je dors, dévorez ma chair! »

– Mahmoud  Darwich, extrait d’Une nation en exil

 Ça vaut la peine, non? Et ça me fait soudain penser à Gaston Miron, mais ce sera pour une autre chronique…

 Vive le Québec libre et ouvert sur le monde. Vive le Québec qui pense et qui agit avec envergure pour la liberté et l’indépendance des peuples. Et basta le provincialisme réducteur de nos élites.

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