Dans un petit bureau de l’Assemblée Nationale, assis sur une petite chaise, face au mur et les menottes aux poings, je réfléchis à ce que je viens de faire. Soudain, je me retrouve plongé en enfance, quand après une bagarre dans la cours de récré, j’attends l’arrivée de la directrice pour subir son jugement. Le même type de malaise, de silence et d’impatience se dégage de l’attente, à la différence que la surveillante est désormais remplacée par deux officiers de police de la Sûreté du Québec. Dans le couloir, les échos de notre action semblent se répercuter à travers les membres du personnel. La nouvelle semble se répandre comme une trainée de poudre, une excitation est palpable dans la voix de deux employés dont je ne connaitrai jamais la fonction.
– C’est le Réseau de résistance du Québécois, une action contre la loi 103…
– C’est quoi déjà la loi 103?, demande une voie féminine vaguement inquiète.
– La loi 103, c’est la loi sur les écoles-passerelles, ce qui va permettre aux jeunes d’aller à l’école anglaise si leurs parents en ont les moyens.
Puis plus rien, les deux employés retournent à leurs postes.
Près d’une demi-heure plus tôt, le stress me gèle le sang, je viens de passer le contrôle de sécurité, une immense bannière revendiquant notre action attachée soigneusement autour de mon torse, sous mon t-shirt. Je respire difficilement, je crois l’avoir attaché trop serrée de peur d’attirer l’attention. Les détecteurs de métal n’ont pas sonné pour moi. Je monte alors les escaliers et je suis soudain pris d’une certaine tristesse en découvrant la beauté des lieux. Un magnifique vitrail à travers lequel passe les rayons du matin raconte l’histoire du Québec en quelques images.
Je ne le reverrai plus, après aujourd’hui, je suis banni à vie de l’Assemblée. Après l’indépendance, peut-être seront nous graciés? Raison de plus de la faire alors.
– Veux-tu un verre d’eau?
– S’il vous plaît monsieur.
On me détache avec grande précaution, pour me rattacher les mains en avant, question que je puisse boire mon verre d’eau glacée avec une certaine liberté.
Les menottes sont fabriquées aux États-Unis. Les spécialistes dans le domaine de la répression. Ça me fait sourire.
– Ton verre d’eau…
Ces agents ont une drôle de façon de me traiter. D’un côté, ils semblent craindre que je ne tente quelque chose à nouveau, de l’autre, ils s’assurent avec un zèle particulier que mes menottes ne soient pas trop serrées, que je n’aie pas soif ou encore s’excusent carrément de la longueur du processus.
– J’m’excuse les gars d’vous mettre dans c’te situation-là, c’était pas pour vous écœurer.
– Bah, c’est pas grave, ça nous fait un peu d’action, y se passe jamais rien ici.
Un peu d’action qui risque de me coûter cher que je me dis.
Assis dans la grande salle, le débat n’a pas encore commencé. Je retrouve mon ami Patrick Bourgeois, assis juste en avant de moi. Magnifique coïncidence, on avait convenu que c’était de lui que devait partir le signal de mon action. Dans la salle, près d’une vingtaine de mes camarades attendent le signal. Je reconnais des visages dans les gradins. Je reconnais également étrangement les lieux. J’ai passé les derniers jours à étudier toutes les photos disponibles de cette salle. Je sais exactement où aller et quoi faire. Reste à savoir à quel moment maintenant. Le débat est commencé, c’est ennuyeux à se trancher les veines avec une pelle à neige en plastique. Ça s’éternise. Je sens la tension monter chez les militants les plus près de moi. Qu’est-ce qu’on attend? Le bannissement à vie finalement ça va avoir ses avantages, plus besoin d’endurer ça… À vie! Patrick se retourne vers moi.
– T’es-tu prêt l’jeune?
– Ça fait une demi-heure que je te pioche le pied pour que tu y ailles… Oui!
– Non à la loi 103!
– T’as des accusations criminelles qui te pendent au bout du nez, tu le sais ça?
– Oui monsieur.
– Tu risques une grosse amende, 15 000$ pour ce que tu as fait, ça aussi tu le sais?
– Oui monsieur.
– Chose certaine, tu remettras plus jamais les pieds ici.
– Je sais monsieur.
– On va te détacher, si tu tentes quelque chose tu vas avoir à faire aux deux agents ici, regarde-les, sont pas mal plus gros que toi.
– Je comprends monsieur, j’ai fait ce que j’avais à faire dans le Salon bleu, j’ai rien à gagner à tenter quoi que ce soit ici.
– T’as fait plus que ta part jeune homme.
L’officier de la SQ est un peu moins compréhensif que les autres, c’est normal, c’est un bris sur sa sécurité, ça doit pas être super agréable. Il ne semble pas comprendre les motivations de mon geste. Le principe de désobéissance civile n’est pas très repandu au Québec… Pas encore.
Dans la salle, les militants hurlent maintenant « Non à la loi 103! », les agents se ruent sur eux, les spectateurs sont ébahis, pis les journalistes… Pis fuck les journalistes, faut que je fonce. Je charge, tout en tentant de retirer ma banderole solidement attachée autour de mon torse, les tie-warp disposés sur celle-ci me permettront de l’attacher sur la balustrade face aux libéraux. Une main me retient, elle me relâche un peu, je continue. J’y suis presque. Je suis plaqué au sol, trop de poids, trop lourd pour moi, un genou dans le dos…
– Calice!
– Mets tes mains dans ton dos… Tout de suite!
J’ai pas le choix, je me suis faite pogner. J’ai manqué de peu ma mission. Mais merde j’ai encore le temps de leur donner un bon show. Je suis menotté, le fer américain mord mes poignets. Je suis cuit, en me relevant, tout le monde me regarde. L’Assemblée au complet. C’est calme. Où sont mes camarades? Évacués? Si rapidement.
En bas, les ministres se remettent de leur choc initial. On m’amène vers la sortie. Je regarde une dernière fois ce Salon bleu. J’aperçois Charest, c’est plus fort que moi, je hurle comme un cochon à l’abattoir.
– NON À LA LOI 103… Non à la loi… Brgh
L’agent m’a mis la main sur la bouche. Au moins, les journalistes auront compris. On tente de m’interroger, en français, en anglais. Les policiers de la SQ m’attrapent et me sortent rapidement de là. D’autres repoussent les journalistes. En descendant, je revois le vitrail et j’ai le plaisir de l’admirer un autre moment. Je dois avoir l’air pas mal serein pour un gars qui se fait trainer menottes aux poings par deux agents de la Sureté.
– On va te laisser sortir, t’auras pas besoin d’appeler ton avocat.
Je suis déboussolé, après tant de menaces, je croyais au moins faire un petit tour en prison, histoire de dire.
– Ah, cool.
– C’est quoi ton nom?
– Benjamin Tessier.
– T’as-tu un tatoo ou autre marque de naissance?
– Un tatoo, sur le bras.
Je lui montre.
– Hahaha, c’est de circonstance ça!
Il griffonne mes informations sur un papier, me tend la main et me la serre.
– Vous mettez plus les pieds ici, on est d’accord.
– Oui monsieur.
En sortant, je retrouve mes camarades et je me dis au moins que notre action, même infructueuse dans son ensemble, aura au moins servi à attirer l’attention médiatique sur le problème de la loi 103.
Pierre Duchesne en fera mention… sur Twitter. Le lendemain, le Journal de Québec glissera une mention de cette action sur une de ses pages, entre une annonce de char et un article sur un prédateur sexuel remis en liberté. Néanmoins, je ne regrette pas mon action, un premier acte de résistance est toujours prématuré et voué à l’échec, mais il faut bien que des gens, quelque part, commencent.
Benjamin Tessier