Vers une rupture du pont intergénérationel

Bernard Landry a passé des années à annoncer sur toutes les tribunes l’avènement prochain d’une grande alliance intergénérationnelle en faveur de l’indépendance. Pour la première fois de l’histoire, les plus vieux allaient être aussi indépendantistes que les plus jeunes.

Ironie du sort, le phénomène prophétisé par Landry se réalise, mais en sens inverse de ce qu’il avait prévu: les jeunes sont désormais aussi peu indépendantistes que les plus vieux. Les baby-boomers, s’ils sont encore indépendantistes de coeur, ont aujourd’hui remisé leurs ambitions en ce sens et, soit ont troqué l’indépendantisme pour le péquisme, i.e. l’assouvissement du réflexe partisan dans la quête rabougrie du pouvoir provincial sans objet indépendantiste, soit se sont réfugiés à la CAQ, ce qui revient à peu près au même. Selon la formule consacrée, « après nous, le déluge », semblent-ils dire à ceux qui, parmi les plus jeunes, pourraient vouloir remettre l’indépendance à l’ordre du jour. Ceux-là, toutefois, sont désormais minoritaires dans les tranches d’âge les plus basses.

En effet, après une génération de silence conscient, auto-imposé et autodestructeur de l’élite indépendantiste, le résultat est à l’avenant. Le contentieux Québec-Canada est complètement sorti de l’actualité et le jeune adulte d’aujourd’hui n’a jamais entendu de sa vie une proposition indépendantiste, sinon inspirante, ne serait-ce qu’intelligible.

Non seulement la passation du flambeau n’a-t-elle pas eu lieu, mais la vieille garde indépendantiste s’y agrippe rageusement, sommant la relève de prendre ses gravols et de dormir au gaz jusqu’en 2022, au strict minimum.

Au milieu de cet axe re-provincialisant se trouve, un peu perdue, comme toujours, la génération X, qui est la mienne, mais aussi, incidemment (ou pas), celle de Jean-Martin Aussant et de Martine Ouellet. En fait, ce n’est pas un hasard si ceux qui tentent ou ont tenté de réactiver un indépendantisme à la Parizeau sont souvent issus de cette génération-là. Nous sommes à la fois assez vieux pour avoir connu une vraie démarche indépendantiste et en avoir complètement intégré la grille d’analyse, et assez jeunes pour avoir encore envie de prendre l’initiative et d’être au coeur de l’action.

Sauf que la génération X a depuis toujours appris à moduler ses aspirations en fonction de l’état d’esprit des baby-boomers. C’est ce que fait aujourd’hui Jean-Martin Aussant, en mettant beaucoup d’eau dans son vin — doux euphémisme — pour se conformer à la ligne de parti péquiste; c’est ce à quoi se refuse obstinément Martine Ouellet, avec le résultat que l’on sait.

Que peuvent faire, devant cette purée de pois, ceux qui pensent que le monde ne pourrait que s’enrichir au contact d’une nouvelle voix, singulière et pertinente en regard des défis de notre temps, celle d’un Québec parlant enfin en son propre nom? D’abord, se libérer des a priori défaitistes du souverainisme traditionnel. Il faut se le dire et se le redire: malgré une tendance actuellement défavorable, l’indépendance demeure une idée puissante, profondément ancrée dans la psyché collective québécoise. Aucun projet politique au Québec, à ce jour, ne bénéficie d’assises aussi larges, transcendant le spectre gauche-droite aussi bien que, dans une appréciable mesure, les classes sociales.

Ensuite, éviter le piège du péquisme, et de sa calamiteuse volonté de garder bien fermé, « barré à double tour », le dossier de l’indépendance pour plusieurs années encore, avec pour résultat prévisible qu’une fois rendus à l’échéance, on se dira — surprise! — qu’on n’est pas plus avancés qu’en 1998, en 2003, en 2008, en 2012, en 2014 ou en 2018, et qu’il faut par conséquent tout reporter à 2026 ou à 2030.

À l’approche des élections d’octobre, permettons-nous un constat sans complaisance: entre une victoire de la CAQ, une victoire du PLQ et une victoire du PQ, seule cette dernière garantit plusieurs années de silence et d’inaction indépendantiste. Un mandat complet au minimum. Pourquoi des indépendantistes motivés voudraient-ils faire courrir cet immense risque à l’option qu’ils défendent?

Les habitudes politiques se cristallisent pour une majorité d’individus quelque part dans les premières années de la vie adulte. Ceux qui ont vingt ans en ce moment peuvent encore, à court terme, s’ouvrir à l’indépendantisme et ainsi sauver la grande alliance promise autrefois par Bernard Landry. Mais il est moins une. Attendre encore cinq ou dix ans avant d’entrer en contact avec eux, c’est prendre le risque, voire s’assurer de les perdre définitivement au profit de la re-canadianisation tranquille.

Et la gauche bourgeoise de Québec solidaire, dans tout cela? Souverainiste à ses heures, elle constitue bien, à sa modeste mesure, un pont intergénérationnel. Mais elle demeure à ce jour trop en rupture avec le peuple pour devenir un pôle de ralliement dominant, et trop peu commise aux raisons fondamentales de l’indépendantisme pour en être la locomotive. Il n’en demeure pas moins que QS sera, en octobre, du moins sur papier, la seule offre indépendantiste sur le bulletin de vote, hormis ce que pourrait proposer quelque parti hyper marginal.

En cette période pré-électorale, cette réflexion ne sera pas très bien accueillie par les chauds partisans des formations qui se disent souverainistes. Mais nous sommes quand même nombreux, je crois, à pouvoir s’y intéresser, y participer et la faire fructifier.

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