Terroristes ou Patriotes?

Le 18 mai 2015 se tiendra la Journée nationale des Patriotes. Pour une treizième fois officiellement (bien que des rassemblements de la sorte se soient tenus de façon officieuse depuis 1937), des milliers de Québécois se réuniront à différents endroits dans le pays pour rendre hommage à ces gens qui ont combattu pour l’émancipation de la nation française du Bas-Canada.

Au début du 19ème siècle, pendant plus d’une décennie, le Parti patriote, et avant lui le Parti canadien, s’est coltaillé avec le Parti bureaucrate ainsi qu’avec les autorités coloniales britanniques pour que cessent les injustices liées, entre autres, à la mauvaise représentation de la majorité conquise, au sein d’un gouvernement miné par le népotisme et la corruption. Devant l’évidente obstination des Anglais à refuser, par la voix de leurs gouverneurs successifs dans la colonie, toutes demandes des Patriotes, ce qui devait arriver arriva. Nos chefs, n’étant pas de nature à s’écraser, informèrent le peuple en convoquant des assemblées populaires, ce qui eut pour effet de faire monter la tension et de solidariser la nation derrière les revendications patriotes. De nombreux journaux firent aussi un travail magistral pour faire comprendre à la population du Bas-Canada que l’Empire leur était défavorable et que l’heure était venue de s’y confronter. L’échec de plusieurs décennies de parlementarisme devint évident. On bascula alors dans la lutte armée.

L’automne de 1837 ainsi que la même saison de l’année suivante furent des périodes de troubles pendant lesquelles les Patriotes durent affronter la plus puissante machine de guerre du monde: l’armée britannique. Mal équipés et peu préparés à de tels affrontements, nos ancêtres furent vaincus, malgré une victoire unique à la bataille de Saint-Denis. Nos femmes violées, nos maisons brûlées, nos hommes emprisonnés, condamnés à l’exil ou pendus haut et court. Voilà ce que les conquérants réservaient à ceux qui avaient osé tenter de s’en libérer. Je résume ici très grossièrement, et je donne certainement de l’urticaire à certains historiens, mais disons que c’est à peu près la trame de fond. De nombreux ouvrages pourront vous faire découvrir les détails de cette époque qui marquera notre peuple à jamais. Je ne vous en nomme que deux : «Histoire des Patriotes» de Gérard Filteau (paru pour la première fois en 1937) et «Brève histoire des Patriotes» de Gilles Laporte (nouvellement édité chez Septentrion).

Le Canada tel qu’on le connait aujourd’hui est la résultante de ces rébellions matées ainsi que des réponses coloniales qui ont suivies. Mais bon, nonobstant leur défaite, il n’empêche que leur immense courage est à saluer. Le fameux «devoir de mémoire» exige de nous que nous rendions hommage à ceux qui ont cru à la nation et qui ont combattu l’oppresseur afin de nous donner un avenir plus juste. Leur place dans l’histoire du peuple québécois est immense. C’est cette place que nous ferons briller, en grand nombre j’espère, le 18 mai prochain en rappelant à tous l’importance de cette lutte à finir.

Récemment, à Saint-Hubert, dans le parc adjacent au planchodrome, une stèle a été érigée en honneur au Patriote Joseph Vincent qui fut le maître d’oeuvre d’une embuscade visant à libérer deux otages qui étaient aux mains des Anglais. C’était le 17 novembre 1837. Avec l’aide de Bonaventure Viger et d’environ 150 Patriotes en armes, notre homme a attaqué le peloton de la «Royal Montreal Cavalry» qui détenait leurs deux amis : Pierre-Paul Desmarais et le docteur Joseph-François Davignon. Le guet-apens fut une réussite et, pour avoir héroïquement rendu la liberté à deux prisonniers, Joseph Vincent est passé à l’histoire comme étant «l’instigateur des premiers coups de feu victorieux de la rébellion des Patriotes le 17 novembre 1837». C’est exactement ce qui est gravé sur la stèle.

Quand j’y suis allé pour me recueillir un bref instant, une idée qui ne cesse de me hanter depuis s’est imposée à moi. La voici : si, en tant que peuple, nous sommes capables d’élever une stèle à Joseph Vincent, d’avoir une rue importante de Montréal nommée d’après De Lorimier, d’installer un buste de Chénier à Saint-Eustache, de marcher fièrement sur la rue Nelson à Saint-Hyacinthe, si nous sommes capables d’honorer ces braves hommes qui, tous, ont eu une arme à la main et s’en sont servis contre les colonisateurs, pourquoi ne serions-nous pas capables d’avoir la même attitude envers des gens qui, plus d’un siècle plus tard, ont eux aussi utilisé des armes en croyant, naïvement peut-être, qu’ils accéléreraient la marche de la nation vers sa libération, j’ai nommé, bien sûr, les felquistes? En termes plus succincts (pour les «durs de comprenure») : nous honorons les Patriotes, ne pourrions-nous pas aussi honorer les felquistes?

Une telle proposition provoque chez mes lecteurs, j’en suis convaincu, des réactions diamétralement opposées. Certains d’entre vous exultent avec enthousiasme, le poing levé, tandis que d’autres se cachent le visage de honte et sont dégoûtés par la simple évocation d’une telle idée. Une troisième catégorie, la plus désolante, continue à lire sans réaction, neutre, tiède, plate. Mais pensons-y ensemble un court moment si vous le voulez bien.

Les Patriotes du 19ème siècle étaient largement influencés par des gens qui, ailleurs dans le monde, avaient su prendre en main le destin de leur pays et rendre le pouvoir au peuple en le soutirant aux autorités en place, qu’elles soient coloniales ou monarchiques. Ainsi, la guerre d’indépendance américaine et la révolution française ont été deux sources d’inspiration indéniables pour nos ancêtres patriotes. N’oublions pas les nombreux autres peuples qui se battaient contre des empires à la même époque. Ces peuples n’ont vraisemblablement pas été sans importance pour Papineau et ses camarades. La nation grecque cherchait à se libérer des Turcs, la Pologne était en révolte contre la Russie tsariste et les Irlandais avaient le même ennemi que nous: l’empire britannique. C’est donc dire que la planète était en effervescence et notre petit coin de pays ne serait pas en reste.

De la même manière, les felquistes se sont tournés eux aussi vers l’international afin d’aller puiser dans ce qui se faisait comme mouvements de libération ailleurs sur le globe. C’était la période pendant laquelle l’IRA faisait la pluie et le beau temps en Irlande du Nord, où l’ALN et le FLN brassaient la cage en Algérie et où l’ETA s’en donnait à coeur joie dans le pays basque espagnol. Cuba était en pleine ébullition, le Vietnam aussi. Plus près de chez nous, les Black Panthers prônaient la lutte armée pour l’émancipation du peuple noir. Dans un tel contexte, peut-on se surprendre que certains indépendantistes conceptualisant la libération nationale du Québec à travers une optique révolutionnaire se soient sentis appelés par la violence et la clandestinité? D’autant plus que cette violence n’était qu’un moyen parmi tant d’autres. En effet, dès le début des années ’60, le RIN s’était converti en parti politique, déterminé à mener le combat par le biais des institutions démocratiques. Il est important de se rappeler que bon nombre de felquistes étaient aussi des membres du RIN, parfois même nommés à des positions d’importance à l’intérieur du parti. Le FLQ était donc, dans ces circonstances, légitimé de se considérer comme l’aile armée du mouvement. Un peu à la manière de l’IRA qui a joué ce même rôle pour le Sinn Féin.

Ainsi, la lutte se jouait sur trois fronts: sur la scène électorale, dans la société civile et par une agitation violente et clandestine. Nous étions en selle pour la révolution! Comme nous le savons tous, l’histoire en a décidé autrement… Il n’en reste pas moins que des centaines de Québécois se sont engagés sincèrement et totalement dans un projet grandiose, projet qui à ce jour reste malheureusement inachevé. Comme pour les Patriotes de ’37-’38, il y eut des emprisonnements à la pelletée, de nombreux  exilés et certains payèrent même le sacrifice ultime.

Au 19ème siècle, la révolution avortée avait eu des conséquences terribles: le rapport Durham, l’Acte d’Union de 1840, la Confédération de 1867 etc… Au 20ème siècle, la révolution ratée eut aussi des répercussions désastreuses: la loi des mesures de guerre, le rapatriement de la Constitution de 1982, les deux échecs référendaires et la loi sur la clarté qui suivit le vol de ’95 etc… Aujourd’hui, rares sont les reportages, les documentaires ou que sais-je encore qui ne présentent pas les felquistes comme de simples terroristes attardés. Pourtant, un peu plus de 50 ans nous séparent des premières bombes posées par le FLQ. Cinquante ans pendant lesquels la société québécoise a réussi quelques percées, quelques grands bonds vers l’avant, mais toujours à l’intérieur du carcan fédéral, sous l’oeil méfiant et inquisiteur d’Ottawa. Cinquante ans pendant lesquels le régime néo-colonialiste canadien a continué à considérer le Québec comme une nuisance, comme une irrégularité à assimiler. Mais surtout, cinquante ans pendant lesquels les felquistes ont subi la honte et l’opprobre de tout un peuple qui les a condamnés, quand il aurait plutôt dû les remercier d’avoir essayé, d’avoir tenté quelque chose, d’y avoir cru. Et l’ironie, c’est que s’ils avaient réussi, ils auraient fort probablement été traités en héros!

Graduellement, les uns après les autres, les felquistes se sont éteints sans jamais obtenir collectivement, ni le pardon, ni la reconnaissance de la nation. Je crois qu’il est plus que temps de rétablir cette situation. Nous avons laissé partir Pierre Vallières, Paul Rose, François Schirm, Richard Bizier, Francis Simard et tant d’autres. Mais il reste encore Robert Comeau, Raymond Villeneuve, Pierre Schneider, Jacques Lanctôt et les autres qui vivent dans l’anonymat. Faisons-les sortir de leurs tanières avant qu’il ne soit trop tard et honorons-les comme il est de notre devoir d’indépendantistes de le faire. Je profite de ma très modeste tribune ici, au journal «Le Québécois», pour proposer la création d’une «Journée nationale en mémoire des felquistes», ces Patriotes du 20ème siècle. Sachons bien évaluer les contextes historiques, passons par-dessus nos remords de colonisés et offrons à nos camarades un hommage libre de toute honte. En espérant que cet appel ouvrira la discussion. Nous vaincrons!

P.S. Si cette idée vous interpelle, ou vous dégoûte, venez en jaser avec moi le 18 mai 2015 à la marche des Patriotes à Montréal. Le rendez-vous est à 13 heures, sur la Place…du Canada (!!!)

Publié le chroniques politique québécoise, Journal Le Québécois et étiqueté , , , , , , , , .

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