Souffrez en silence

À écouter les discours de peur des politiciens français repris en chœur par les élites intellectuelles et médiatiques, le mouvement des Gilets jaunes aurait réussi quelque chose d’assez rare dans l’histoire de l’humanité, la grande alliance entre des putschistes homophobes d’extrême-droite et des casseurs anti-sémites d’extrême-gauche, qui en veulent à la République afin de bâtir un califat prolétaire à l’Élysée. Je charrie à peine.

Si vous n’avez pas suivi du tout ce mouvement sans précédent dans l’histoire de la France, vous risquez peut-être d’être un peu perdu dans mon texte, mais vous pourrez tout de même en saisir l’essentiel.

D’abord, parlons de Christophe Dettinger, ce boxeur, gitan et manifestant qui a fait reculer des flics de l’anti-émeute en armure, par la seule force de ses poings.

Devenu rapidement un héros pour cette France des sans-voix ou le diable en personne pour cette élite politico-médiatique (nous reviendrons sur ce terme), comment ne pas sentir la sincérité de son cri du cœur dans sa vidéo tournée juste avant de se livrer lui-même aux autorités?

Il faut bien comprendre ce qu’est un boxeur lorsqu’on dépasse le stade du préjugé de la brute épaisse qui casse la gueule à des gens. Traditionnellement, c’est un type, parfois sans grande éducation, sans avenue intéressante pour gagner sa vie qui le fait finalement en mettant sa santé et sa vie en jeu plusieurs fois par année dans un ring pour quelques centaines de dollars, face à d’autres types comme lui, et qui a de bonnes chances d’en garder des séquelles permanentes. Pour un Floyd Mayweather qui gagne 30 millions par combat, tu as des milliers de Christophe Dettinger, condamnés à souffrir en silence, pauvres, maganés, même après une carrière respectable. Même si les boxeurs ne viennent plus tous de la misère, disons qu’on comprend que ce ne sont pas des fils de banquiers ou de diplomates qui deviennent des boxeurs. Voici pourquoi ce bonhomme cadre parfaitement dans cette révolte de gagne-petit.

Ceci étant dit, pour le pouvoir en place, ce rustre est le parfait exemple qu’il leur fallait pour symboliser « la violence des gilets jaunes ». Il s’attaque à des policiers dans l’exercice de leurs fonctions, il s’attaque directement à la République tonneront en canon les élites, avec en tête Marlene Schiappa, secrétaire d’État du premier ministre, qui assimile à de la complicité le fait d’avoir contribué à la cagnotte pour aider le boxeur à payer ses frais judiciaires.

Petite parenthèse. À l’émission dite littéraire de Radio-Canada, Plus on est de fous, plus on lit, on demande à l’invité français, Arthur Dreyfus, de nous donner un portrait de la situation des Gilets jaunes. Évidemment, on ne prend jamais la peine de nous préciser que le bonhomme en question est l’un des artistes venus appuyer Emmanuel Macron publiquement lors de son rassemblement à Lyon avant d’être consacré Président de la République. Alors son avis de petit prétentieux méprisant, je pense qu’on s’en tamponne. Je dis ça, je dis rien.

C’est bien sûr que, dans tout mouvement de révolte populaire, il y a un peu de tout. Du beau et du moins beau. De la violence? Sans aucun doute. Mais la violence, est-elle exclusive aux manifestants? Et la violence d’État, la violence de la répression des manifestants qui perdent l’usage d’un œil ou qui ont la mâchoire fracturée lorsque les flics utilisent de manière décomplexée des armes dites « non-létales » ou des balles « défensives »? Ah, le vocabulaire.

Et il y a la violence d’une société inégalitaire, la violence de travailler toute la semaine pour compter ses centimes à la fin du mois, la violence de cette mère de famille qui prie pour qu’il lui reste assez sur sa carte bancaire alors qu’elle calcule mentalement le prix des items dans son panier d’épicerie, la violence de ne pas pouvoir expliquer à ton enfant qu’il va devoir endurer son blouson déchiré pendant encore quelques semaines, la violence du retraité qui survit avec une pension de misère après avoir donné 40 ans de sa vie à la collectivité comme instituteur.

C’est de ce genre de violence dont parlait l’Abbé Pierre : « Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette, laissant les assiettes des autres vides, et qui ayant tout disent avec une bonne figure : « Nous qui avons tout, nous sommes pour la paix ! » Je sais ce que je dois leur crier à ceux-là : les premiers violents, les provocateurs, c’est vous ! Quand le soir, dans vos belles maisons, vous allez embrasser vos petits-enfants, avec votre bonne conscience, vous avez probablement plus de sang sur vos mains d’inconscients, au regard de Dieu, que n’en aura jamais le désespéré qui a pris les armes pour essayer de sortir de son désespoir. »

Comparativement à cette sincérité, pensez-vous que les gens qui ont le courage de descendre dans les rues en ce moment peuvent croire la soi-disant compassion de cet acteur de série B, ancien banquier des Rothschild?

Quand on regarde Macron, Schiappa ou Édouard Philippe, difficile de ne pas la sentir cette distance d’avec la France des sans-voix. Un système de castes à la française.

En fait, dans la révolte des Gilets jaunes, on retrouve la bonne vieille lutte des classes. Avec un bon vieux fond nationaliste. On les entend clamer leur fierté d’être Français, on les entend réclamer un retour à la souveraineté populaire de leur République face aux diktats des financiers au service de l’Union Européenne. Et ça, le pouvoir le craint; un soulèvement de citoyens unis derrière un idéal national de dignité et de lutte des classes.

Que fait le pouvoir? Il répond avec tous les outils à sa disposition, toutes les méthodes de contre-insurrections possibles, mêlant la répression policière violente, la judiciarisation des manifestants et la guerre psychologique avec une diabolisation évidente du mouvement. Accusé tour à tour d’être un mouvement pourri par l’extrême-droite, puis par l’extrême-gauche, puis antisémite et homophobe, puis le même chantage avec quelques variations repris en chœur sur BFMTV ou Europe 1.

Ces manipulations médiatiques de bas étages n’ont rien d’étonnant lorsqu’on connaît la proximité entre le pouvoir politique et les pouvoirs économiques et médiatiques. En effet, tout ce beau monde, membres du club privé Le Siècle, un haut lieu de « sociabilité des élites », se rencontrent le dernier mercredi de chaque mois pour papoter et prendre un martini.

Les plus grandes fortunes de France possèdent une grande part des médias français et l’autre part appartient à l’État. Comment peut-on espérer une couverture honnête d’une révolte contre l’ordre économique dominant quand on sait que ce sont ces mêmes consortiums qui tirent profit de la politique étrangère de la France comme de sa politique intérieure? Ces mêmes salopards qui vendent des armes ou pillent l’Afrique placent leur laquais au pouvoir et ils osent l’appeler Président de la République.

Voici un petit aperçu de cet état de fait, tel que compilé par Le Monde Diplomatique et je prends la peine de ne nommer que deux ou trois médias par famille, alors que chacune en possède des dizaines.

Famille Bouygues : 28e fortune de France, TF1, LCI
Famille Dassault : 7e fortune de France, Le Figaro, Le particulier
Bernard Arnault : 1ère fortune de France, Le Parisien, Les Echos, L’Opinion
Vincent Bolloré : 11e fortune de France, CNews, Canal +
François Pinault : 6e fortune de France, Le point, L’AGEFI
Xavier Niel : 13e fortune de France, Le Monde, Courrier international, Huffington Post
Patrick Drahi : 12e fortune de France, Libération, BFMTV, L’Express
République française : France 2, 3, 4, 5, TV5 Monde, France Inter

On commence à comprendre comment ça fonctionne. La première bataille est bien celle de l’information. Après la diabolisation, on a tenté l’indifférence. « Le mouvement s’essouffle, les gens sont rentrés chez eux ». Puis un retour à la diabolisation. Grâce au human interest : un tenancier en pleurs qui a vu son commerce saccagé, un policier anonyme qui raconte son bras cassé, Marlene Schiappa qui a reçu des insultes. Ajoutons à cela les tentatives de limiter les dégâts en prévenant les gens contre les fake news, histoire de garder le monopole de la nouvelle : « regardez les médias en qui vous pouvez avoir confiance comme France 2 ou BFMTV et pas les lubies de fanatiques sur les réseaux sociaux ou dans des médias alternatifs ». Sans oublier la tentative désespérée de tenter de lier le mouvement des Gilets jaunes à l’ingérence étrangère. Laquelle? Russe ou italienne, dirait-on. Ne manque plus que la Corée du nord, bordel.

Quant aux donneurs d’opinions serviles, ces pseudo-intellos, toujours prêts à passer l’éponge lorsqu’il s’agit de « rebelles » ou de « djihadistes modérés » qui prennent les armes en Libye, en Syrie ou en Ukraine, vont taxer un mouvement populaire composé de mamies, de petits ouvriers ou d’instituteurs à la retraite de fascistes et osent se proclamer défenseurs de la démocratie. Les Caroline Fourest, BHL, Patrick Cohen de ce monde seraient mieux de se réfugier dans leur villa italienne parce que ces gens qu’ils auront méprisés n’auront pas la mémoire courte. De toute façon, comment ces valets du pouvoir pourraient-ils consciemment comprendre la douleur d’une fin de mois difficile, eux qui ont des femmes de ménage, des chauffeurs, des nounous. Et je passe sur le mot d’ordre pleutre d’une brochette de bonzes du showbiz qui cachent leur lâcheté derrière leur appel au dialogue, une façon de dire : « ne cramez pas ma Mercedes que je stationne parfois sur les Champs Élysées».

Il reste la question des policiers qui défendent le 1%. En réalité, ils sont dans le même bateau que les Gilets jaunes et c’est bien souvent lorsque les forces de l’ordre changent de camp qu’une révolution triomphe. Si leur devoir c’est de protéger la République, alors ils devraient se modérer et réfléchir sérieusement. J’avoue que je ne saisis toujours pas comment ces hommes et ces femmes qui ne sont manifestement pas dans la caste qui exerce le pouvoir en France peuvent continuer à taper sur des mamies qui pourraient être la leur, à tirer des balles « défensives» à la gueule de gamins de 15 ans qui pourraient être leur neveu, de tabasser des gens ordinaires qui pourraient être leur oncle ou leur tante. Est-ce qu’on les a brainwashés ou est-ce que c’est l’effet d’entraînement? Ce serait intéressant d’avoir le point de vue d’un ancien flic, retraité, qui aurait assez de recul pour nous expliquer leurs agissements. Pourquoi pas à Plus on est de fous plus on lit

Il reste à voir comment la situation évoluera. Il se peut que le peuple qui descend dans les rues depuis maintenant dix semaines finisse par s’épuiser. Le pouvoir demande le dialogue, mais tentera de créer toujours plus de division dans l’espoir de briser le mouvement. Il demande la paix, mais fait la guerre. Il se peut aussi que le peuple ne se fatigue pas et qu’en désespoir de cause l’élite sacrifie Macron pour le remplacer par un autre serviteur de l’oligarchie pour enlever un peu de pression. Toujours à recommencer.

Pour conclure, je repense encore à l’Abbé Pierre qui avait une façon très inspirante de parler de ce qui est légal. C’était à l’hiver 1954, alors que la vague de froid qui envahissait la France tuait des pauvres gens qui dormaient dans la rue. Il avait alors réussi à créer un énorme mouvement citoyen pour justement venir en aide à ces déshérités, alors que le pouvoir, sourd et aveugle, n’agissait pas.

« Si c’est illégal et nécessaire, changez vos lois (…) J’aime mieux voir vivre ces gosses illégalement, que de les voir mourir légalement » – l’Abbé Pierre

C’est cette France que je trouve inspirante. Pas cette France d’apparat, de vedettes de télé-réalités gonflées au silicone, de plateaux de TV tous plus débiles les uns que les autres et de philosophes milliardaires à la chemise ouverte qui se prennent pour les libérateurs de la Libye. Cette France de ces sans-voix qui n’acceptent pas de mourir en silence.

 

Posted in à la une, chroniques politique étrangère, Journal Le Québécois.

3 commentaires

  1. Les gilets jaunes sont l’expression des effets du néolibéralisme sauvage qui cause tous les maux dans beaucoup de pays.
    Il est le premier ennemi de l’écologie car il exige de la croissance ce qui ruine la planète en consommant ses ressources.
    Il devrait donner l’argent qui fait vivre mais au contraire, il paupérise par sa sauvagerie du gagner pour ne pas perdre.
    Le premier geste écologique, serait de donner à tous les humains l’argent minimum pour vivre et rester dans le juste nécessaire sans être pris dans la spirale du néolibéralisme, et du toujours plus pour éviter de rester sans rien.
    https://lejustenecessaire.wordpress.com/premier-article-de-blog/
    Donner à tous les humains un revenu au-delà du seuil de pauvreté est le premier geste écolo qui fédérera sur l’écologie.
    L’aveuglement ou la complicité des dirigeants politiques doit être dénoncée, l’humanité est en danger à cause d’eux.
    Nous devrions être tous des gilets jaunes contre cette économie prédatrice de l’humain et de ce qui vit sur la planète.

  2. https://external.fymy1-2.fna.fbcdn.net/safe_image.php?d=AQBzdQuRv_NarjhB&w=540&h=282&url=https%3A%2F%2Fwww.egaliteetreconciliation.fr%2FIMG%2Farton53529.png%3F1547649068&cfs=1&upscale=1&fallback=news_d_placeholder_publisher&_nc_hash=AQCzk-G6frS0eljm

    Cher Jules,
    J’aime votre façon de travailler. Vous faites des recherches qui sont pertinentes.
    J’ajouterais ceci, à l’émission de Madame Arsenault (toujours branchée sur le 220) on ne s’attarde pas sur la vérité mais sur l’effet, le spectaculaire et le rire (comme chez G.A. Lepage).
    Merci.

  3. Wouah!!! Magnifique article ! Merci infiniment pour vos vérités sur la réalité que vivent des millions de français et de françaises en ce moment. Nous nous réveillons après avoir été endormi pendant 45 ans ! Je suis gilet jaune depuis le 17 novembre 2018, j ai 60 ans et je me bat pour mes enfants et petits enfants pour leur éviter l étouffement de la France par la dictature financière. Je souhaite que tous les pays du monde qui sont sous l emprise des rodchild, ouvrent les yeux, s’informent et se soulèvent. Merci encore pour votre article

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