Du Canada, le pays d’à côté qui nous enserre malgré nous, qui refuse de reconnaître l’État palestinien à l’ONU? Et ce, alors qu’il est manifeste qu’une majorité de Québécois sont sympathiques à l’indépendance de la Palestine? Ça s’appelle vivre dans un pays étranger; on subit les décisions de l’Autre. À quand le Québec à l’ONU pour exprimer réellement la volonté des Québécois? Va falloir militer et travailler fort à l’indépendance… Nous ne sommes pas encore rendus et c’est présentement Harper qui parle en notre nom. Trop révoltant. Autre sujet.
Je vais donc vous parler d’une récente lecture. Ou plutôt une relecture.
En fait, je relisais récemment un texte peu connu du grand Pierre Vadeboncoeur. Un texte méconnu, mais néanmoins majeur. Ça s’intitule « Le Québec expliqué aux Anglais », car il s’agit du texte d’une conférence donnée à Southampton, Angleterre, en mars 1988, par le grand penseur québécois. On peut retrouver ce texte dans un ouvrage lui aussi fort intéressant : Pierre Vadeboncoeur, un homme attentif, de Paul-Émile Roy. Qu’ai-je retenu de cette lecture? La fragilité de notre culture et la rapidité avec laquelle elle pourrait se folkloriser si un coup de barre n’est pas donné.
Dans son texte, Vadeboncoeur aborde l’évolution du Québec des années de son enfance (début des années 1930) aux années 1980 (alors qu’il prononce sa conférence). La Révolution tranquille occupe évidemment une place centrale dans son récit. L’intellectuel souligne notamment à quel point cette Révolution tranquille aurait fait table rase du passé québécois de manière extrêmement rapide. En quelques années, le Québec serait passé d’un monde à un autre. Ou presque. Si je suis assez d’accord avec ceux qui disent que la Révolution tranquille fut davantage un moment de grandes réformes au plan politique qu’une réelle révolution, il faut reconnaître comme Vadeboncoeur que cette période marque un changement de cap majeur à maints égards. Plus précisément, si cette période n’a pas conduit à une réelle révolution que plusieurs réclamaient pourtant (le Québec n’a ni fait l’indépendance ni adhéré au socialisme), on peut constater que les valeurs et la culture de la société québécoise se sont transformées radicalement. L’auteur parle même d’effondrement. Notez qu’il est heureux que certaines valeurs se soient effondrées, mais l’on peut aussi se désoler de l’effondrement de certaines autres.
Lisons un peu Vadeboncoeur :
« En dix ou vingt ans, l’essentiel, sauf la langue française, a en bonne partie disparu, comme s’il n’avait eu jusque-là aucune nécessité. La pratique religieuse, la domination si étendue du clergé, la famille, les mœurs, l’enseignement classique, l’esprit historique, mais aussi, par contre et heureusement, la sclérose, la fixation sur le passé, l’esprit d’infériorité, l’acceptation pratique du statut de dominé, toutes ces choses ont diminué ou se sont évanouies comme par magie. Comment cela fut-il possible? Avions-nous vécu dans une coquille vide? »
Si l’on accepte cette analyse, qui m’apparaît juste, comment alors expliquer ce phénomène? La culture québécoise était-elle une « coquille vide »?
Poursuivons avec Vadeboncoeur :
« Peut-on prétendre que les traditions québécoises tenaient à peu de choses? Je ne le pense pas. Mais alors, sans doute faut-il s’aviser d’une loi redoutable, à savoir que les cultures sont beaucoup plus fragiles qu’on ne l’aurait cru jusque-là. Notre époque a d’ailleurs découvert des secrets inédits sur les moyens d’agir contre elles. Quel enseignement! Le Québec peut, il me semble, enseigner ceci : les cultures sont fragiles et un vaste courant ou les données d’une conjoncture nouvelle sont à n’importe quel moment susceptibles de les emporter. »
Cela me ramène à la situation actuelle. De nombreux commentateurs parlent d’un changement de paradigme dans le Québec. Pour certains, c’est la fin des valeurs de la Révolution tranquille; pour d’autres, c’est la fin du cycle inauguré par le débat sur les accords du lac Meech… J’ai peur qu’ils aient peut-être raison. Et alors de quoi la société québécoise ferait-elle table rase? De la défense de la langue française? De notre désir d’indépendance ou même de notre affirmation nationale? De notre solidarité? De notre soif de justice sociale? De l’espoir d’une société meilleure? N’est-ce pas là les valeurs au cœur du projet de société québécois depuis la Révolution tranquille?
En tout cas, je ne pense pas qu’il soit trop tard et j’ai encore plein d’espoir, mais il est clair qu’il faut faire vite pour empêcher une dérive fatale du Québec dans l’individualisme le plus crasse, dans la honte de soi collective, dans le piétinement de sa propre langue, dans la résignation qui se mue en loyalisme canadian, dans le cynisme qui mène à la démagogie et au désespoir…
Oui, les cultures sont fragiles. La fragilité culturelle d’un peuple de langue française qui ne forme que 2 % de la toute puissante Amérique anglo-saxonne n’est d’ailleurs plus à prouver. Et Vadeboncoeur nous rappelle que l’effondrement d’une culture peut se faire avec une extrême rapidité. Entre le sport, les variétés et la gouvernance provinciale qui occupent toute l’attention médiatique, il faudrait peut-être y penser, non?
P.S. N’oubliez pas le lancement du livre de Pierre Schneider ce mercredi 19h à la SSJBM.