Quitte à tout faire dérailler

Au rythme où les choses évoluent (ou régressent, c’est selon…), il me semble inévitable que, dans la décennie à venir, Québec solidaire finisse par abandonner l’idée d’indépendance et même, le concept de « français langue commune », de la même façon qu’ils l’ont fait avec la laïcité de type « compromis Bouchard-Taylor ». La base ultra-progressiste de ce parti s’est engagée sur la piste de l’intersectionnalité, et à vouloir tant et tellement embrasser ces nouvelles idéologies à la mode, elle finira inéluctablement par exiger du parti qu’il se repositionne sur les enjeux identitaires que sont la langue et l’indépendance nationale. C’est écrit dans le ciel. À voir comment les militants woke vilipendent tout ce qui touche de près ou de loin à la nation et n’y voient que l’expression d’un suprématisme blanc ou je ne sais trop quelle autre débilité du même acabit, il est parfaitement logique d’imaginer que, pour eux, l’indépendance du Québec soit une idée rétrograde et réactionnaire, et que le fait d’exiger une protection accrue du français relève d’une forme de racisme envers la « minorité » anglo-québécoise, ou du moins, d’une domination basée sur un nationalisme ethnique. Vous riez? Vous avez raison. Mais regardez-les bien s’agiter. Ce n’est qu’une question de temps. Et le temps, en cette époque démente, file à une vitesse folle…

Cela étant dit, pour l’instant, le programme du parti est clair : Québec solidaire est indépendantiste. Dans la déclaration de principes du parti, on trouve ceci : « Le Québec doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires à son plein développement aux plans social, économique, culturel et politique, ce qui lui est refusé dans le cadre fédéral. Notre parti opte donc pour la souveraineté ». Et plus loin, dans le programme, au point 11.1.1 alinéa b (oui, oui, je sais…), on peut lire : « Québec solidaire considère comme essentielle l’accession du Québec au statut de pays, parce qu’elle est nécessaire à la préservation et au développement d’une nation unique par son histoire et sa culture en constante évolution, autour d’une langue commune, le français ».

Bon, il faudrait peut-être en avertir leurs membres ainsi que leurs électeurs qui, selon les nombreux sondages, sont en minorité à se déclarer en faveur de l’indépendance, mais passons; quoiqu’il y a possiblement quelque chose à creuser là : ils aiment ça, les minorités, chez QS… Allez, je rigole. Reprenons.

J’écoutais il y a une semaine ou deux, une discussion à QUB radio entre Sophie Durocher et Christian Rioux. Le chroniqueur parlait de la Catalogne et évoquait la complexité du mouvement indépendantiste de là-bas. Il parlait des alliances que les différents partis indépendantistes faisaient afin de garder le cap sur leur destination commune, soit leur sécession d’avec l’Espagne. À un moment, il lâche comme ça, tout bonnement, qu’il y avait quatre partis indépendantistes reconnus en Catalogne, contrairement au Québec qui n’en comptait que deux. C’est à ce moment que Durocher a paru très surprise et a demandé quelque chose comme: « Deux?!? Comment ça, deux partis indépendantistes?!? Ah! Vous voulez dire un à Québec et un à Ottawa? », comme s’il n’y avait que le PQ et le Bloc à se réclamer de l’indépendantisme.

Évidemment, elle sait pertinemment que QS se revendique lui aussi de ce courant politique, mais pour faire sa drôle (c’est raté), elle a choisi de faire comme si elle l’ignorait, ou pire, comme si le parti des solidaires s’inscrivait dans la famille fédéraliste. Rioux, quant à lui, s’est contenté d’émettre un petit ricanement malaisé pour ensuite reprendre sa chronique, sans relever la remarque enfantine, la piètre pitrerie, de Durocher. J’ai trouvé ça élégant. Et inattendu, pour tout vous dire.

Partout, sur les réseaux sociaux, des péquistes en colère répètent jour après jour que Québec solidaire n’est pas indépendantiste. C’est faux. Et j’en ai marre. Et je n’en reviens pas que je sois obligé de défendre QS parce que vous êtes trop cons pour lire un foutu programme! Ou trop bornés pour réaliser qu’on peut plaider pour l’indépendance sur un autre terrain que celui qu’occupe le PQ! Le parti n’est peut-être pas indépendantiste de la façon que vous voudriez qu’il soit, mais il l’est; indéniablement. Il a des positions qui vous déplaisent, il défend des idées qui ne rejoignent pas les vôtres, il se bat pour des notions contre lesquelles vous en avez, mais ça ne vous donne pas le droit d’ignorer les faits. Ce n’est pas parce que QS avance dans l’espace politique avec des combats qui vous insupportent que vous pouvez inventer n’importe quoi. Si les solidaires ne chantent pas les louanges de l’indépendance sur le même mode que vous, ou que moi, ils n’en sont pas moins des porte-paroles, et ils ne méritent pas qu’on leur accole l’étiquette de fédéraliste. Merde! Même mon propre parti ne porte pas l’indépendantisme de la manière qui me plairait! Ça ne fait pas de lui un défenseur du statu quo pour autant! J’en ai plein mon colon d’être obligé de répéter que QS est indépendantiste! D’autant plus que, mis à part ce que je vous disais au début de ce texte, soit que ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne vire sa veste, le réel problème avec son programme se situe ailleurs. Suivez-moi.

Mais tout d’abord, laissez-moi vous avertir que je vais devoir élaguer dans les détails afin de vous présenter la chose le plus simplement possible, d’accord? Vous me pardonnerez donc d’un peu tourner les coins ronds. J’vous ai gardés jusqu’ici, c’est pas l’temps d’vous perdre… C’est bon? On y va!

Québec solidaire, par souci démocratique, veut cheminer vers l’indépendance par une démarche d’assemblée constituante suivi d’un référendum, démarche qui serait lancée dès l’arrivée au pouvoir de QS. En gros, l’assemblée constituante, formée de citoyens élus au suffrage universel, sera chargée d’élaborer un projet de constitution d’un Québec souverain. Une fois cette constitution rédigée, c’est ce document qui sera soumis à la population par référendum. Et si les citoyens votent OUI pour approuver ladite constitution, l’indépendance est déclarée et on entame le processus de sécession.

Ça semble beau comme ça, mais il y a un os. Admettons que le document rédigé par l’assemblée constituante soit trop conservateur au goût de QS, ou trop identitaire, ou pas assez ceci ou cela, le parti choisirait de s’y opposer. Connaissant le côté tatillon et capricieux, pour ne pas dire dogmatique et autoritaire, du parti en question, on est en droit de supposer que QS trouverait inévitablement des bébittes qui les effraieraient dans la future constitution d’un Québec souverain, oui? On se retrouverait alors dans la situation absurde ou un gouvernement soumettrait un projet de constitution à la population tout en se voyant forcé de militer dans le camp du NON! Un scénario absolument surréaliste où un gouvernement indépendantiste passerait toute la campagne référendaire à tenter de convaincre les citoyens de NE PAS faire l’indépendance!

Encore une fois, on en revient au désormais fameux et inextricable « mettre des conditions à l’indépendance » de Falardeau. Québec solidaire, qu’il soit dans l’opposition ou au gouvernement, n’acceptera jamais de défendre l’idée que l’indépendance est bénéfique en elle-même. Ce parti veut une indépendance conditionnelle. Quitte à tout faire dérailler.

Évidemment, vous ferez bien ce que vous voudrez de ce texte un peu broche à foin écrit avec mon index sur mon cellulaire. Vous prendrez vos propres décisions à la prochaine élection. Je ne suis qu’un autre indépendantiste, parfois un peu fâché moi-même, qui milite au quotidien pour que le Québec s’active et retrouve l’envie de se donner un pays. Un pays qu’il mérite, après toutes ces années de survivance. Un pays qu’il façonnera à son image, tantôt à gauche, tantôt à droite. Un pays libre.

Arrêtez de dire que QS n’est pas indépendantiste. Demandez-vous plutôt sous quelles conditions il l’est, et jusqu’à quand…

Posted in à la une, chroniques politique québécoise, Journal Le Québécois.